La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— Oui, fit le magistrat d’une voix oppress'ee. Ah h'elas, je sais qu’il est beau, jeune, qu’il porte un superbe uniforme, tandis que moi…
— Vous, mon cher ami, vous ^etes le plus charmant, mais le plus na"if des hommes que j’aie jamais connus, certes, je suis convaincue que vous ^etes un magistrat perspicace, mais en mati`ere de femme, d’amour et de jalousie, un aveugle vous en remontrerait sur le chapitre de la clairvoyance.
— Vraiment ? oh, que je suis heureux. Alors ? ce spahi ?
— Ce spahi, reprit en riant Mme Borel, c’est `a peine si je l’ai vu trois ou quatre fois dans mon existence et si nous avons 'echang'e dix paroles. Il se peut qu’il me trouve `a son go^ut, mais il n’a jamais eu l’audace de me le dire, quant `a moi, je l’ai si peu remarqu'e que, vous venez de le voir, il m’a fallu faire un effort de m'emoire pour me souvenir qu’il s’agissait de lui.
Le procureur s’'etait lev'e, il prenait les mains de Mme Borel, les serra chaleureusement entre les siennes :
— Merci, dit-il, ah, je suis heureux, bien heureux, d’abord de vous voir vivante, en bonne sant'e, ensuite de comprendre que vous ne m’en voulez pas trop, que vous avez peut-^etre pour moi un peu de sympathie, plus m^eme que de la sympathie.
Le magistrat, `a l’instar d’un adolescent qui, pour la premi`ere fois aime et ne sait comment exprimer son amour, balbutia des mots vagues et sans suite en rougissant comme une jeune fille. Mme Borel semblait s’amuser infiniment de l’attitude du procureur. Toutefois, elle le reconduisait doucement jusqu’`a la porte et un observateur perspicace se serait nettement rendu compte que la jolie femme devait trouver que la visite avait suffisamment dur'e et ne gu`ere tenir aux galanteries du vieux magistrat. Cependant, pour ne point le laisser partir sur une impression mauvaise, Mme Borel rendit au procureur sa poign'ee de main sinc`ere, elle eut pour lui un regard aimable, tendre presque :
— `A bient^ot, dit-elle, j’irai vous voir `a Bayonne, nous causerons de tout cela. Probablement, conclut-elle, je vais attendre le retour de mon mari. D`es qu’il sera l`a, nous partirons ensemble pour savoir ce qui se passe chez nous.
— Que ne puis-je y aller avec vous ? s’'ecria le magistrat. Je suis h'elas trop occup'e en ce moment par mon service, mais vous y trouverez Juve, le policier Juve.
`A ce nom, Mme Borel, malgr'e tout l’empire qu’elle avait sur elle-m^eme, tressaillit et p^alit tellement qu’Anselme Roche s’en apercut :
— Qu’avez-vous ? dit-il, ^etes-vous souffrante ?
— Non, fit la myst'erieuse personne.
Mais elle h^ata les adieux. Modestement, par le tramway, M. Anselme Roche regagna Bayonne. Il 'etait tout heureux des derni`eres paroles de Mme Borel.
— Elle viendra me voir, se r'ep'etait-il, elle viendra me voir `a Bayonne, et nous causerons de tout cela, de tout cela, ce ne peut ^etre que mon amour, oserai-je dire de notre amour ?
Une autre pens'ee vint `a l’esprit du magistrat. Du moment que Mme Borel 'etait vivante, bien vivante, c’est qu’assur'ement le spahi ne l’avait pas assassin'ee, ce militaire 'etait donc innocent et le magistrat s’applaudissait de ne pas l’avoir fait arr^eter.
— Comme il est bon de r'efl'echir et de ne pas agir trop vite, se disait-il. J’allais commettre une belle gaffe, certainement il ne s’est rien pass'e du tout, et quand on y r'efl'echit, on ne sait plus de quel c^ot'e en cette affaire s’est trouv'e le v'eritable idiot : si c’est ce malheureux Saturnin qui a affol'e tout le monde par son r'ecit invraisemblable, ou si c’est la justice qui a ajout'e foi aux propos d’un innocent ? Il n’y a pas de doutes, c’est la justice, c’est-`a-dire Juve, moi, qui avons 'et'e stupides. Non, ce n’est pas possible qu’il ne se soit rien pass'e. Sapristi, j’allais oublier ces traces de sang que l’on a d'ecouvertes et puis enfin, on a beau dire, il n’y a pas de fum'ee sans feu.
***
Cependant, `a l’Imp'erial H^otel depuis le commencement de cette journ'ee, le personnel 'etait sens dessus dessous. Les valets de chambre n’arr^etaient pas de nettoyer les appartements du premier 'etage, les hommes de peine fourbissaient les cuivres, astiquaient les boutons de porte, les poign'ees de fen^etre. Des femmes apportaient du linge, changeaient des draps, des serviettes.
Assur'ement on attendait des h^otes importants pour occuper ces appartements les plus luxueux de l’Imp'erial H^otel. Anselme Roche n’avait pas quitt'e Mme Borel depuis dix minutes que, devant le perron de l’Imp'erial venait se ranger une superbe automobile, blanche de poussi`ere. Deux messieurs en descendaient et le m'ecanicien, d^ument styl'e d'emarrait aussit^ot, quittait le perron, se dirigeait vers le garage.
Il convenait de faire place, en effet, car une autre automobile, encore plus luxueuse, munie d’une 'el'egante carrosserie landaulet, venait encore s’arr^eter au pied des marches de l’h^otel. Trois voyageurs, cette fois, sortirent de ce v'ehicule, puis, encore, survenaient deux autres voitures.
Le personnel de l’h^otel, le portier et ses aides, le g'erant, 'etaient venus faire la haie et, respectueusement, s’inclinaient tr`es bas devant l’un des voyageurs qui, pr'ec'edant les autres, montait `a vive allure l’escalier de marbre qui conduit au hall.
C’'etait un homme tr`es brun, d’une 'el'egance raffin'ee et d’une extr^eme distinction. Il y avait beaucoup d’aisance dans sa d'emarche, de gr^ace dans sa tournure. Assur'ement c’'etait un grand seigneur, rien qu’`a juger par son attitude et aussi par sa suite.
Des promeneurs ayant vu arriver ces luxueux 'equipages, 'etaient venus, curieux, grossir la haie qui s’'etait form'ee sur le court espace r'eserv'e au nouvel arrivant.
Et, dans cette foule admirative et polie, courait sur toutes les l`evres le nom du personnage :
Don Eugenio d’Aragon, infant d’Espagne !
C’'etait en effet, le cousin du roi qui faisait son entr'ee solennelle `a l’Imp'erial H^otel o`u il venait s’installer pour une quinzaine de jours. C’est pour ce grand personnage qu’on avait si minutieusement pr'epar'e les appartements du premier 'etage.
Comme il passait, quelques cris s’'elev`erent de la foule :
— Vive l’Infant ! Vive l’Espagne !
Don Eugenio entendit. Avec une gr^ace charmante, il sourit en inclinant la t^ete, remercia d’un geste. Puis, le parent du roi suivi de ses chambellans, p'en'etra dans l’h^otel. L’ascenseur le monta au premier 'etage de ses appartements.