La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— Qu’a-t-elle donc aujourd’hui ? pensa-t-elle.
Et la jeune fille faillit interroger la domestique, mais elle y renonca.
H'el`ene 'etait donc rest'ee seule et, s’'etendant voluptueusement sur une confortable berg`ere, avait repris sa lecture.
Mais soudain la jeune fille bondit hors de son si`ege. Par une porte dissimul'ee dans la moulure de la cloison et qui jusqu’alors n’avait jamais 'et'e ouverte, quelqu’un venait de s’introduire qui souriait b'eatement en regardant la jeune fille. C’'etait un homme tout jeune, de vingt-cinq `a trente ans au plus, v^etu `a la derni`ere mode et avec une extr^eme recherche, brun, le visage 'energique, la moustache conqu'erante, le menton bleu. L’inconnu cependant s’approchait avec une aisance parfaite.
— Madame, dit-il.
— Monsieur…
L’Espagnol, enfin, s’enhardit :
— Je vous suis reconnaissant, Madame, fit-il, bien reconnaissant d’avoir accept'e de venir, d’avoir risqu'e tant de choses et d’avoir si longtemps attendu que nous puissions nous rencontrer. Je m’excuse vivement de n’^etre pas arriv'e depuis deux jours, comme je le d'esirais, mais des affaires de la plus haute importance m’ont retenu `a Madrid, aupr`es de qui vous savez.
— Veuillez continuer, je vous prie.
— Je ne vous ai vue qu’une fois mais, `a dater de ce jour, mon coeur a 'et'e conquis. Il m’a suffi de vous rencontrer, de vous apercevoir, ce fameux soir o`u vous vous promeniez sur la grand-route, tout pr`es du ch^ateau de Garros pour m’'eprendre de vous. Ah, que vous ^etes belle, Madame. Dix fois, cent fois plus que je ne l’avais cru. Je m’attendais, ce soir, `a trouver ici une jolie femme, c’est une beaut'e divine qui se r'ev`ele.
— Ah c`a, Monsieur, mais que pr'etendez-vous faire ? que voulez-vous de moi ?
— Ce que je veux faire de vous, mon coeur est tout pr^et `a vous le dire et ce que j’attends de votre d'elicieuse personne, oh, c’est facile `a comprendre et je crois d’ailleurs que vous l’avez d'ej`a compris, puisque vous avez 'et'e assez bonne, assez charmante, assez exquise, assez d'elicieuse, pour consentir `a ce rendez-vous que je souhaitais si ardemment, pour bien vouloir vous laisser enlever.
H'el`ene, d’un geste brusque, interrompit son interlocuteur :
— Pardon, je ne sais pas ce que vous voulez dire, jamais je n’ai consenti `a rien et si je suis ici c’est bien contre mon gr'e.
— Je sais, je sais, fit l’Espagnol, mes amis m’ont mis au courant de la spirituelle com'edie que vous 'etiez convenue de jouer. Oh, je vous avoue que j’ai trouv'e la chose d'elicieuse, exquise. Il n’y a d'ecid'ement que les Francaises pour avoir tant d’esprit.
— Monsieur, r'ep'eta encore H'el`ene, je vous supplie de vous expliquer, je ne comprends rien `a vos sous-entendus. Soyez plus clair, plus cat'egorique.
— H'elas, comment voulez-vous que s’exprime un pauvre 'etranger qui ne poss`ede point `a fond les finesses de votre gracieuse langue francaise ? J’ai peur d’^etre ridicule et de perdre `a vos yeux le petit prestige que j’esp`ere avoir acquis par le seul fait que je vous aime.
— Je vous en prie. Monsieur, insista la jeune fille, cessons cette plaisanterie, soyez net et franc. Dites-moi, voici pr`es de quatre jours que je vis seule, prisonni`ere dans cette maison, apr`es avoir 'et'e victime d’un enl`evement odieux. Si vous en ^etes l’auteur, dites-le, je saurai ce qui me reste `a faire.
— Mais calmez-vous, Madame, s’'ecria-t-il, nous sommes seuls ici, tous les deux, absolument seuls, il est inutile de jouer cette com'edie de l’indignation, personne ne peut nous entendre. Votre excellent mari est loin de se douter…
— Mon mari ? interrompait H'el`ene interloqu'ee, ah c`a, Monsieur, mais que signifie toute cette histoire ? Je ne suis pas mari'ee, je ne…
— Nierez-vous donc que vous soyez Madame Delphine Fargeaux ?
H'el`ene ne r'epondit pas, elle 'etait de plus en plus abasourdie, et au surplus un nouvel incident venait de se produire. `A sa grande surprise, `a la surprise 'egalement de son interlocuteur, la porte du salon dans lequel ils se trouvaient tous deux, porte qui communiquait avec le couloir, venait de s’ouvrir, livrant passage `a une femme qui, croisant les bras sur sa poitrine, d'eclara sur un ton de col`ere `a peine d'eguis'ee :
— Mme Fargeaux, c’est moi et personne d’autre.
***
Quelques jours auparavant, si quelqu’un avait 'eprouv'e `a la fois de la surprise et de l’'etonnement, et aussi du d'epit, c’'etait sans contredit la petite Mme Fargeaux, lorsqu’elle avait attendu pendant pr`es d’une nuit enti`ere les gens auxquels elle avait donn'e rendez-vous et qui n’'etaient pas venus.
Quatre jours auparavant, Mme Fargeaux, profitant de ce que son mari et son fr`ere, qui d^inaient avec elle, 'etaient lanc'es dans une discussion fort importante sur la mani`ere de soigner les boeufs, 'etait sortie subrepticement de son ch^ateau pour rejoindre pr`es du pavillon de chasse deux Espagnols avec lesquels elle avait h^ativement r'egl'e les derni`eres conditions de son prochain enl`evement.
Mme Fargeaux, en effet, avait 'et'e remarqu'ee quelques jours auparavant par un superbe Espagnol qui passait en automobile non loin de sa propri'et'e et qui s’'etait arr^et'e sur le bord de la route sous un pr'etexte quelconque. La jeune femme avait senti qu’elle plaisait `a l’'el'egant touriste et celui-ci produisait sur elle la meilleure impression. Elle en r^evait longtemps, aussi 'etait-ce avec une joie extr^eme qu’elle apprit un jour, par deux messieurs qu’elle rencontrait, comme par hasard, que le bel automobiliste apercu par elle n’'etait autre que don Eugenio, infant d’Espagne, fr`ere cadet du roi et que don Eugenio 'etait pr^et `a mourir de plaisir si la belle Mme Fargeaux consentait `a lui accorder une nuit, voire m^eme une heure de t^ete `a t^ete. Affol'ee, gris'ee par cette conqu^ete inattendue, la na"ive petite bourgeoise promit tout ce que l’on voulait. Et c’est pour cela que, le soir o`u son fr`ere le spahi d^inait chez elle, Delphine s’'etait 'eclips'ee pour aller causer des d'etails de l’enl`evement romanesque avec les envoy'es de l’infant d’Espagne.
Ceux-ci devaient la retrouver une dizaine de minutes apr`es le d'epart du spahi. Or, le spahi 'etait parti et Delphine Fargeaux, bien que toute pr^ete `a se laisser enlever, n’avait pu y parvenir, car les Espagnols ne venaient point la chercher.
Que s’'etait-il pass'e ?
Les Espagnols 'etaient bien revenus, en effet, ils avaient bien enlev'e une femme, seulement ils s’'etaient tromp'es et au lieu d’entra^iner dans leur automobile Mme Fargeaux, toute pr^ete `a se laisser faire, c’'etait H'el`ene qu’ils avaient conduite `a Biarritz.