La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— Vous vous moquez du monde, Madame ?
— Je vous assure que non.
— Madame, je ne veux plus entendre vos propositions, allez-vous-en.
— Je ne sortirai pas.
— Pourtant, il le faudra bien.
Les deux femmes se mesur`erent du regard. H'el`ene reprit d’un ton tr`es pos'e :
— Vous allez accepter de me garder chez vous. Si vous vous y refusez encore, j’irai de ce pas, r'ev'eler `a votre mari, votre conduite de cette nuit.
Delphine Fargeaux baissa les yeux, se tordit les mains :
— C’est du chantage, fit-elle.
H'el`ene rougit. Elle r'epliqua embarrass'ee, mais sur un ton d’absolue sinc'erit'e :
— Vous avez dit le mot, Madame, c’est du chantage, mais soyez assur'ee qu’il n’est inspir'e par aucun mauvais sentiment, bien au contraire. Je ne tiens pas `a vous trahir, et cependant, il est indispensable que j’obtienne de vous ce que je veux. Il est n'ecessaire que j’habite votre maison pendant quelques jours, il y a, `a cela, des motifs graves que je ne puis vous r'ev'eler pour le moment. Je m’en excuserai plus tard aupr`es de vous, je me justifierai, et vous reconna^itrez que si j’ai agi de la sorte c’est parce que j’y 'etais contrainte et forc'ee, il y va d’ailleurs de votre int'er^et et de votre honneur.
— Qu’est-ce qu’ils ont tous, `a s’occuper ainsi de mon honneur ?
N'eanmoins, se rendant compte que cette jeune femme avait d'ecid'ement des motifs graves, pour lui faire son 'etrange requ^ete avec autant d’insistance, Delphine Fargeaux r'epondit :
— Soit, en principe, je ne dis pas non. Supposons donc que j’accepte de satisfaire `a votre d'esir et que vous allez passer d'esormais pour la gouvernante de la maison. Est-ce tout ce que vous voulez ?
H'el`ene hocha la t^ete :
— Non, Madame, il y a autre chose.
— Quoi, grands dieux ?
— Il s’agit de votre fr`ere. M. Martial Altar`es, spahi, est bien votre fr`ere, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Savez-vous qu’il est arr^et'e ?
Cette question 'etait si brusque que Delphine Fargeaux vacilla sur ses jambes et dut s’asseoir sur un fauteuil.
— Que racontez-vous l`a, Madame ?
— Mademoiselle.
Mme Fargeaux reprit :
— Que racontez-vous l`a. Mademoiselle ? Mon fr`ere est arr^et'e ? Pourquoi ? qu’a-t-il fait ?
— Il a tir'e sur moi un coup de revolver et m’a bless'ee `a l’'epaule.
Delphine, en effet, ne savait rien de ce qui s’'etait pass'e sit^ot apr`es son d'epart des appartements de Son Altesse Royale, qu’elle avait quitt'es pr'ecipitamment. Elle avait connu le d'ebut du vaudeville qui s’'etait d'eroul'e entre elle, H'el`ene et l’infant d’Espagne, elle avait ignor'e le drame dont son fr`ere, jaloux de l’honneur de la famille avait 'et'e le h'eros principal et H'el`ene, la victime qui n’en pouvait mais.
Cette derni`ere mit rapidement Mme Fargeaux au courant de l’aventure. H'el`ene avait compris ce qui s’'etait pass'e en apprenant par l’interne que Martial Altar`es 'etait le fr`ere de Delphine Fargeaux et elle s’'etait rendu compte qu’elle avait 'et'e victime d’une erreur. Le spahi avait voulu tirer soit sur sa soeur fautive, soit sur l’infant coupable. Il avait atteint un tiers, par le plus grand des hasards.
Delphine Fargeaux 'ecoutait ce r'ecit, qu’elle n’interrompait que d’interjections 'etouff'ees, d’exclamations plaintives, et soudain, une pens'ee lui vint `a l’esprit :
— D’abord, interrogea-t-elle, en fixant H'el`ene dans les yeux, comment 'etiez-vous l`a, `a l’Imp'erial H^otel, en t^ete-`a-t^ete avec l’infant ?
— Cela, avoua la jeune fille, je dois dire que je n’en sais absolument rien. C’est un myst`ere que j’'eclaircirai sans doute un jour. Pour le moment, je ne puis vous renseigner. Mais, revenons `a notre sujet. Il faut, Madame, que vous sauviez votre fr`ere. Il est actuellement sous le coup d’une grave accusation, il risque un ch^atiment terrible, celui des assassins vulgaires, il est indispensable que vous le sachiez.
— Que dois-je faire ?
— Il faut, d'eclara celle-ci, que vous alliez dire la v'erit'e tout enti`ere `a la Justice.
— Mon Dieu, mais c’est 'epouvantable, c’est affreux, la situation dans laquelle je me trouve est unique au monde, il n’en est pas de plus atroce.
— Pourquoi ?
— Parce que si je dis la v'erit'e, je suis perdue.
— Votre fr`ere sera sauv'e. Si on le juge sous l’inculpation d’avoir tir'e un coup de revolver sur une inconnue, il passera pour une simple brute et il sera durement condamn'e, tandis que si on conna^it les motifs qui ont arm'e son bras, si l’on sait que c’est pour prot'eger sa soeur, pour la d'efendre contre un amoureux entreprenant, si l’on apprend que ce militaire a fait feu pour sauvegarder l’honneur de sa famille, on lui pardonnera, il sera remis en libert'e.
— Mais alors, si je parle, je me d'eshonore `a tout jamais, car il me faudra dire les motifs pour lesquels je me trouvais aupr`es de l’infant.
— Il vous faudra dire la v'erit'e, Madame, le devoir de tout ^etre humain c’est de dire la v'erit'e et vous le ferez quoi qu’il arrive, n’est-il pas vrai ?
Un instant, Delphine Fargeaux r'efl'echit. Tout son ^etre se crispa.
— Je serai courageuse, murmura-t-elle enfin, vous avez en effet raison. J’irai d`es cet apr`es-midi `a Bayonne, je verrai les gens de justice et je leur parlerai. Toutefois, poursuivit-elle, en essuyant une larme, plus jamais, au grand jamais je n’oserai repara^itre ici, me montrer `a mon mari. Pauvre Timol'eon, que va-t-il penser de moi lorsqu’il saura… Je vous remercie. Mademoiselle, des bons conseils que vous m’avez donn'es. Il me reste `a vous demander une faveur.
— Laquelle, Madame ?
— Eh bien, voici : en sortant du Tribunal, cet apr`es-midi, je partirai pour l’'etranger, j’irai loin, tr`es loin. On ne saura jamais ce que je suis devenue. Alors, je compte sur vous pour dire `a mon mari… Mon Dieu, tout ce qui vous plaira. `A la condition simplement, qu’il ne sache point ce qui s’est pass'e, qu’il conserve toujours un souvenir tendre et pur de sa petite Delphine.
Mme Fargeaux ne pouvait plus continuer. `A demi 'ecroul'ee sur le plancher, elle sanglotait 'eperdument ; H'el`ene eut piti'e de cette grande douleur. Elle s’approcha, lui prit les mains :