La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Une large fen^etre par laquelle la pi`ece s’'eclairait abondamment s’ouvrait sur une jolie place de Bayonne, et comme le bureau du procureur se trouvait au second 'etage dans l’immeuble du tribunal, on pouvait apercevoir par-dessus les toits des autres maisons le panorama pittoresque qui s’'etendait, non seulement au premier plan, constitu'e par la jolie ville de Bayonne, mais encore dans le lointain, par del`a les fortifications historiques, jusqu’aux for^ets de pins qui vont jusqu’`a la mer.
Indiff'erent toutefois `a ce spectacle, car il s’y 'etait d'ej`a accoutum'e, M. Anselme Roche qui ne s’'etait approch'e de la fen^etre que pour jeter une allumette 'eteinte, revint `a son bureau de travail, prit place dans son fauteuil et s’emparant de son porte-plume, fit mine, sur le buvard immacul'e qui se trouvait devant lui, d’esquisser les jambages d’une lettre, puis d’un mot tout entier, d’un nom.
Le magistrat, machinalement murmurait :
— M… A… R… mar…
Puis il ajoutait un T dans sa pens'ee et finit par dessiner `a quelques millim`etres au-dessus du buvard, le nom de Martial.
— Martial, r'ep'eta-t-il machinalement.
Mais ce n’'etait pas tout. Le magistrat appuya presque la plume sur le buvard, traca un A, un L encore un T. Il s’arr^eta net, puis murmura cette fois, presque `a voix haute :
— Martial Altar`es, oui, il n’y a pas lieu d’h'esiter.
Le procureur g'en'eral posa sa plume cette fois, se mit `a se promener de long en large dans son cabinet en attendant le retour de l’attach'e du Parquet.
Dor'enavant, sa d'ecision 'etait prise. C’'etait le nom du spahi, de Martial Altar`es qu’il allait faire figurer sur le mandat d’amener que M. Bourrinas 'etait all'e chercher.
On frappa `a sa porte :
— Entrez, fit le procureur.
C’'etait l’attach'e du Parquet qui rapportait une liasse d’imprim'es :
— Voici quelques mandats, fit-il, Monsieur le Procureur.
Le magistrat, malgr'e ses pr'eoccupations ne put s’emp^echer de rire :
— Sapristi, fit-il, vous n’y allez pas de main morte, j’ai de quoi mettre en prison la ville enti`ere.
— Le greffier en a beaucoup, Monsieur, r'epliqua l’attach'e.
— Bien, fit-il, laissez-moi, j’ai `a travailler seul. Nous reprendrons cet apr`es-midi l’'etude du dossier dont vous ^etes venu m’entretenir.
Anselme Roche, seul encore une fois dans son cabinet, revint s’asseoir `a sa table de travail, mais il ne se d'ecida pas `a 'ecrire sur le mandat d’amener le nom de Martial Altar`es.
— C’est grave, ce que je vais faire, pensa-t-il, et cependant…
Le magistrat, brusquement, tressaillit. La sonnerie du t'el'ephone venait de retentir, impr'evue, brutale comme `a l’ordinaire, et toutes les fois que le timbre vibrait, le magistrat, nerveux au possible, 'eprouvait une impression d'esagr'eable, sentait son coeur se serrer.
Cette premi`ere 'emotion pass'ee, il courut `a l’appareil, d'ecrocha le r'ecepteur :
— Allo, qui me demande ?
Mais une nouvelle surprise l’attendait : `a l’autre bout du fil, on lui disait d’abord que quelqu’un lui parlait de l’Imp'erial H^otel `a Biarritz.
Intrigu'e, Anselme Roche restait `a l’appareil, silencieux quelques secondes, une voix bien connue de lui se percevait enfin.
Anselme Roche en eut une commotion :
— Vous ? dit-il, vous, Madame ? Est-ce possible ?
Anselme Roche avait lieu d’^etre 'etonn'e, vraisemblablement, car ses traits se d'ecomposaient litt'eralement et il agitait le bras qui lui restait libre, tout en r'epondant `a son interlocutrice :
— Vraiment ? Ah si je pouvais m’y attendre. Vous ^etes surprise de mon 'emotion. Pourtant, c’est bien naturel. Oui, au fait, vous avez raison, il est mauvais de parler trop longtemps au t'el'ephone.
`A ce moment le procureur s’exasp'era :
— Ne coupez donc pas, Mademoiselle ! hurla-t-il.
Puis, ayant obtenu que l’on r'etablisse la communication, il reprit :
— C’est bien simple, toute affaire cessante, je pars `a l’instant pour l’Imp'erial H^otel. Avec une automobile je serai dans un quart d’heure `a Biarritz. `A tout `a l’heure.
Lorsqu’il eut raccroch'e le r'ecepteur, le magistrat se prit la t^ete entre les mains, cependant que ses jambes vacillaient. Il 'etait abasourdi, fou.
— Ce n’est pas possible, murmura-t-il.
Puis il ajouta :
— Non, je ne puis pas en douter. Mais c’est trop de bonheur. Par exemple, voil`a qui va changer la face des choses.
En h^ate, le procureur prit dans un placard sa canne et son chapeau. Au moment de s’en aller, ses yeux tomb`erent sur le mandat d’arrestation qu’il avait laiss'e en blanc :
— Eh bien, se dit-il `a lui-m^eme, comme j’ai bien fait de ne parler de mon projet `a personne ici et surtout de ne pas encore l’avoir fait mettre `a ex'ecution.
Le magistrat, deux secondes plus tard sautait dans un taxi-auto :
— `A l’Imp'erial H^otel, `a Biarritz, dit-il au m'ecanicien.
Le v'ehicule s’arr^etait `a peine devant le perron du majestueux caravans'erail, qu’Anselme Roche, avec l’agilit'e d’un jeune homme, sauta hors de la voiture et p'en'etra dans le hall de l’h^otel.
D’une voix qui tremblait l'eg`erement, il interrogea le portier :
— Madame Borel, s’il vous pla^it ?
Le magistrat attendait avec anxi'et'e la r'eponse, doutant encore `a ce moment que la communication t'el'ephonique fut vraisemblable. Il poussa un soupir de soulagement, lorsque le concierge `a l’uniforme chamarr'e s’en fut revenu lui dire d’un ton maussade et terne :