La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— Voyez-vous, conclut le distingu'e magistrat, ce qu’il y a de plus surprenant dans toute cette affaire, mon cher Juve, c’est que les d'etails les plus extravagants semblent s’y rencontrer, l’aspect m^eme des lieux est surprenant. Le rez-de-chauss'ee est meubl'e `a la paysanne, rustiquement. Le premier 'etage, au contraire, est fort luxueux. Au rez-de-chauss'ee, tout est boulevers'e, les meubles sont renvers'es, les traces de lutte sont ind'eniables. Au premier 'etage, rien n’a 'et'e d'erang'e. Enfin je me demanderais si nous ne nous inqui'etons pas `a tort, s’il n’y avait pas, et cela par exemple, aussi bien au rez-de-chauss'ee qu’au premier 'etage, des traces de sang indiscutables, des traces de sang importantes, tr`es importantes, de v'eritables tra^in'ees.
— Et la baignoire ?
— La baignoire ? r'ep'eta M. Anselme Roche, que voulez-vous savoir sur cette baignoire ?
— Rel`eve-t-on des traces de pas et des traces de sang pr`es d’elle ?
— Non, les traces s’arr^etent `a un ou deux m`etres du paravent derri`ere lequel est cette baignoire. Et puis vous le notez bien, mon cher Juve, il y a encore cette invraisemblable affirmation de Saturnin se disant mordu par une femme qui prenait un bain tout habill'ee. Ca c’est idiot. C’est h'elas le cas de le dire, c’est absurde. Car enfin, il n’y aurait que Mme Borel…
Brusquement, M. Anselme Roche s’interrompit. Juve eut un petit sourire, un peu narquois, et cela g^ena le magistrat :
— Ah c`a, pensait ce dernier, est-ce que ce maudit policier a d'ej`a devin'e que je porte `a cette enqu^ete un int'er^et tout particulier, que je suis 'eperdument amoureux de Mme Borel ?
Juve cessa de sourire et ne laissa gu`ere le temps `a M. Anselme Roche de m'editer en paix.
— Voyons, voyons ! Monsieur Anselme Roche, n’y a-t-il pas autre chose que vous devriez me signaler maintenant ? Ce Saturnin Labour`es, est-ce que… ?
— Vous savez qu’il est mort, le pauvre, interrompait pr'ecipitamment le procureur, mais vous n’ignorez pas sans doute, que l’on accuse dans le village, un certain Bouzille, un chemineau d’avoir fait le coup. Saturnin Labour`es en somme, tout idiot qu’il 'etait, devait savoir quelque chose, avoir vu quelque chose. Si Bouzille a v'eritablement…
Mais Juve haussait les 'epaules :
— Bouzille, d'eclara le policier, est un insupportable bavard, un individu assommant, peut-^etre, un vagabond nuisible, mais ce n’est pas un assassin. Ah, au fait, Monsieur le procureur, je l’ai fait arr^eter tout `a l’heure, pour n’^etre pas continuellement importun'e par lui. Vous serez bien aimable de diriger contre sa personne un commencement d’enqu^ete. Nous le rel^acherons dans quelques jours.
— Juve, dit le procureur, je voudrais vous demander… Enfin, je pense… C’est-`a-dire… Ne croiriez-vous pas volontiers ?
— Quoi ?
— Que Fant^omas n’est pas 'etranger…
— Fant^omas a bon dos. D’un bout `a l’autre du territoire, et m^eme hors fronti`eres, maintenant, quand il se passe un fait myst'erieux, on est pr^et `a dire : c’est du Fant^omas. Que diable, il ne faut pas exag'erer ! Monsieur le procureur, voulez-vous m’accompagner jusqu’`a la Maison Borel ? Il serait bon que je puisse jeter un coup d’oeil.
Au m^eme moment, on frappa `a la porte de la salle de la mairie.
— Entrez, commanda Juve, consultant du regard le procureur de la R'epublique.
L’homme qui fit son apparition dans la pi`ece 'etait un soldat, un jeune spahi, 'el'egamment serr'e dans la courte veste rouge de son uniforme, ayant une figure fine et intelligente, d’admirables yeux bruns, la tenue et la d'emarche d’un homme du monde.
— Je n’abuserai pas de vos instants, dit le spahi, mais je crois que je ne puis tarder plus longtemps `a venir vous parler. Je me nomme Martial Altar`es.
D’un coup d’oeil, Juve interrogea le procureur. Peut-^etre M. Anselme Roche connaissait-il le jeune militaire ?
— Monsieur, expliqua, en effet, le procureur, est le fr`ere de Mme Delphine Fargeaux, 'epouse de M. Fargeaux, propri'etaire du ch^ateau de Garros, `a quelques kilom`etres d’ici. Nous vous 'ecoutons, Monsieur.
— H'elas, reprit le jeune spahi, ma d'eposition sera tr`es br`eve, mais je vous avoue que j’ai grand-peur qu’elle ne soit aussi tr`es grave. Messieurs, je me demande ce qu’est devenue ma soeur Delphine, qui a disparu.
— Votre soeur a disparu ? r'ep'eta Juve, elle a r'eellement disparu ? Eh, eh, c’est int'eressant. Mais voyons, ne vous trompez-vous pas ?
Le spahi, tout d’abord, s’'etait assis, lui aussi, sur un geste du procureur de la R'epublique. Mais il se releva `a son tour, une soudaine col`ere empourpra son visage. Il parlait non plus avec calme, mais avec une extr^eme violence :
— Je suis s^ur de mon fait. 'Ecoutez-moi. Ma soeur, Delphine est une femme exquise, mari'ee `a un rustre, un grossier personnage, une sorte de paysan enrichi, mon beau-fr`ere, M. Fargeaux. Un mariage, Messieurs, qui fait ma honte et mon d'esespoir. Voyez-vous ma soeur condamn'ee `a vivre dans ce ch^ateau de Garros, aux c^ot'es d’un homme qui n’est jamais pr'eoccup'e que du prix du ma"is, du co^ut de la r'esine ou m^eme de l’engraissement des cochons ? Une honte, vous dis-je. Enfin, je passe.
— Passez.
— Ma soeur n’a pas d’enfant. Elle s’ennuie. Sa seule distraction, l’unique distraction, entendez-vous, que lui permette son mari, consiste en de courtes promenades qu’elle fait aux environs de Garros. Moi, d’ordinaire, je suis absent, en garnison en Alg'erie. Exceptionnellement, j’ai un cong'e de convalescence, et c’est pourquoi vous me voyez ici. Bref, ma soeur est sortie, a 'et'e se promener sur la grand-route, des paysans l’ont vue, elle marchait tranquillement, et elle n’est pas revenue. Mon beau-fr`ere, naturellement, ne s’est inqui'et'e de rien, il m’a dit :
— Monsieur, d'eclara Juve, je me demande s’il y a la moindre co"incidence, le moindre rapprochement `a faire entre l’absence de Mme votre soeur et le drame qui nous pr'eoccupe. Connaissiez-vous les Borel ? Votre soeur avait-elle une raison de se rendre chez eux ?
De rouge qu’il 'etait, le spahi devint cramoisi :
— Ma soeur, d'eclara-t-il, est un femme irr'eprochable digne du nom qu’elle porte, qu’elle portait 'etant jeune fille, veux-je dire, digne de mon nom, enfin, et il est inutile, au sujet de sa disparition, d’'echafauder des hypoth`eses louches.