La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
Шрифт:
Bouzille, `a l’autre bout de la longe se cramponna :
— H'e, bourrique, s’'ecria-t-il, tu ne vas pas t’'echapper au moins, allez, hop-l`a ! Viens donc, continuait Bouzille, ah, sacr'e bon sang, c’est tout de m^eme malheureux d’avoir tant de mal pour gagner douze sous.
`A force de tirer sur la longe, le chemineau cependant amena son malheureux cheval a descendre jusqu’au poitrail dans les eaux stagnantes du marais. La b^ete alors sembla devenir enrag'ee. Les oreilles dress'ees, les naseaux fr'emissants, ruant, sautant, faisant des 'ecarts, elle avanca, recula, parut atteinte d’une soudaine folie.
Quant `a Bouzille, au moment m^eme o`u le cheval semblait le plus excit'e, il avait retrouv'e tout son sang-froid.
— C’est 'epatant, d'eclara-t-il, voil`a le bidet qui commence `a ^etre chatouill'e. C’est bon signe.
Il tirait toujours sur la longe, le cheval allait avoir travers'e enti`erement le marais, lorsqu’un 'ev'enement que n’avait pas pr'evu Bouzille se produisit, menacant d’avoir de graves cons'equences.
Maintenu par la corde qui le prenait au licou, le cheval se d'ebattait toujours furieusement dans la mare o`u Bouzille venait de le faire entrer de force, mais soudain, m^u par un instinct subtil, subitement l’animal changea de tactique. Avant que Bouzille ait eu le temps de r'efl'echir, la b^ete furieusement partit au grand galop, traversait en quelques foul'ees le petit 'etang d’une profondeur infime, puis il en sortit vers la rive o`u se tenait Bouzille et l`a, tra^inant le chemineau pendu au bout de la longe, le cheval se mit `a galoper 'eperdument. Bouzille ne riait plus du tout. Par bonheur, comme les poignets endoloris, le pauvre chemineau allait se r'esigner `a abandonner sa b^ete, du bois voisin, un homme apparut qui, avec une agilit'e extraordinaire, sauta au licou du cheval, l’empoigna par les naseaux, l’immobilisa, et comme s’il e^ut fait la chose la plus naturelle, 'eclata de rire, disant d’une voix tranquille :
— Tiens, c’est toi Bouzille ?
Bouzille n’'etait gu`ere rassur'e. `A la derni`ere minute un accident pr'evu s’'etait produit. Bouzille, le pied pris dans une broussaille, s’'etait 'etal'e de tout son long. Il se releva et r'epondit `a son interlocuteur en grommelant :
— C’est moi, oui…
Mais son visage s’'eclaira, il avait reconnu celui qui lui parlait. C’'etait Saturnin, le malheureux idiot, et Saturnin 'etait un ami :
— Attends voir un peu, continua Bouzille, qu’on attache Rossinante.
— Rosse quoi ?
— Ca ne fait rien, tu ne peux pas comprendre…
N'egligeant d’instruire Saturnin sur les hauts faits du coursier de Don Quichotte, Bouzille s’occupa activement d’attacher le cheval au pied d’un arbre. Et ce fut alors Saturnin qui reprit :
— Tiens, pourquoi donc qu’il saigne comme ca sous le ventre et sur les pattes ? et qu’est-ce que c’est que ces choses noires qui gigotent et qu’il a coll'ees contre lui ?
— Va me chercher la cruche l`a-bas, r'epondit simplement Bouzille.
Bouzille, d’ailleurs, semblait peu flatt'e d’avoir rencontr'e Saturnin. Volontiers l’ancien chemineau, d’habitude, conversait avec l’idiot, qu’il appelait pompeusement son
— C’est emb^etant qu’il ait vu cela, il va peut-^etre jaser. Bah, apr`es tout, je dirai que le cheval s’est 'echapp'e et que c’est de lui-m^eme qu’il est entr'e dans l’eau.
Saturnin, cependant, revenait. T^etu, il insista :
— Qu’est-ce que c’est, Bouzille, que ces choses noires qui remuent et pourquoi qu’il saigne le cheval ?
Il fallait bien r'epondre : Bouzille le fit, laconiquement :
— Les choses noires, d'eclarait-il, c’est des sangsues et si le cheval saigne, c’est que les sangsues l’ont mordu : faudra pas le dire.
— C’est des sangsues, r'ep'etait-il, et le cheval saigne parce qu’ils l’ont mordu. Pourquoi qu’ils l’ont mordu ?
— Parce que M. Peyrat me les ach`ete douze sous les cent.
Interloqu'e, Saturnin questionnait :
— Hein ? je ne comprends pas.
Naturellement, faisait Bouzille, eh bien, ca ne fait rien. Ca vaut m^eme mieux. 'Ecoute, Saturnin, aide-moi `a d'etacher les sangsues. Tu vois comment je fais ? bon. Tu les mettras dans la cruche.
— Comment que les sangsues elles ont fait pour s’attacher au cheval ?
— Saturnin, tu n’es qu’un fichu imb'ecile. Les sangsues, mon vieux, c’est comme des huissiers, ca s’attache tout seul. Ca colle 'epatamment. Ca bouffe le pauvre monde. Tu comprends, quand le cheval est entr'e dans la mare, elles l’ont senti, elles sont venues le sucer, et dame, quand il est sorti, elles n’ont pas eu le temps de se cavaler. Mais tu sais, Saturnin, ce que je t’explique-l`a, c’est pour toi seul, faut pas le raconter. Si jamais tu dis que j’ai fait entrer mon cheval dans la mare tu es s^ur qu’un jour ou l’autre je t’y flanquerai dedans, moi, dans la mare.
— Et alors Bouzille ?
— Et alors, mon vieux, c’est toi que les sangsues boulotteront.
En causant cependant, Bouzille expert et preste, – ce n’'etait certainement pas la premi`ere fois qu’il se livrait `a cette p^eche clandestine, avait d'etach'e des flancs du malheureux cheval, quantit'es de sangsues qui s’y 'etaient coll'ees. Satisfait, il cachait sa cruche sous les fourrages, lavait les plaies de la b^ete.
— Bah, je dirai qu’il s’est 'ecorch'e et l’on verra bien.
Puis Bouzille se disposait `a s’'eloigner, recommandant encore :
— Un bouchon, Saturnin, un bouchon, hein.
— Quoi ? r'epondait l’idiot.
— Pas un mot ou je te flanque dans la mare.
Saturnin 'eclata de rire.
Il n’agissait jamais de sa propre volont'e, mais en g'en'eral, ses actions et ses gestes 'etaient le r'eflexe de ce qu’il voyait faire autour de lui. Le malheureux idiot imitait, tel un automate, les mouvements dont ses yeux 'etaient t'emoins. Bouzille ne s’'etait pas 'eloign'e depuis cinq minutes que Saturnin, riant toujours, paraissant au comble de la joie, entra dans la mare.
H'elas, le malheureux idiot s’'etait `a peine avanc'e de quelques m`etres dans les eaux, il n’'etait mouill'e encore que jusqu’`a la ceinture que les sangsues se pr'ecipitaient en rangs serr'es contre lui. Terriblement mordu, Saturnin passait du rire aux larmes, poussait des cris effroyables, voulut rebrousser chemin.
Il fit quelques pas, quatre ou cinq dans la direction de la rive, lorsqu’en plein front une pierre, lanc'ee par une main invisible, le heurta violemment.
— Maman, cria Saturnin, 'etourdi par le coup et de plus en plus mordu par les sangsues, Maman.