La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Or, les jours s’'etaient 'ecoul'es et il n’'etait revenu personne.
D’autre part, le Bedeau en lisant les faits divers des journaux, la seule chose d’ailleurs, qui l’int'eressait, avait appris que l’enfant de Blanche Perrier, emmen'e par H'el`ene et Fleur-de-Rogue, avait 'et'e rendu `a sa grand-m`ere par une femme inconnue dont le journal ne pr'ecisait pas le signalement.
Le Bedeau, d`es lors, intrigu'e par ces aventures, par l’absence totale de renseignements sur l’affaire de la Bicoque, avait vu son inqui'etude grandir. Il redoutait un malheur. Il savait Fleur-de-Rogue, sa ma^itresse terriblement audacieuse, mais il n’ignorait pas que la fille de Fant^omas savait se d'efendre. Laquelle des deux femmes avait triomph'e ? Le Bedeau, au premier abord, souhaitait que la victoire e^ut 'et'e du c^ot'e de Fleur-de-Rogue, car apr`es tout il aimait cette femme, se laissait volontiers aimer par elle et b'en'eficiait de son intelligence, de son activit'e pour vivre, sans se pr'eoccuper des d'etails de l’existence quotidienne. Mais, d’autre part, le Bedeau, lorsqu’il y avait r'efl'echi seul `a seul avec lui-m^eme, s’'etait effray'e de l’audacieuse tentative, de la terrible r'esolution prise par sa ma^itresse.
Fleur-de-Rogue n’y allait pas par quatre chemins. Elle 'etait partie en d'eclarant qu’elle ferait son affaire `a H'el`ene, elle en 'etait fort capable apr`es tout. Mais s’attaquer `a H'el`ene, c’'etait en somme provoquer Fant^omas et tuer la fille du bandit, c’'etait attirer sur soi la vengeance du G'enie du Crime, du Ma^itre de l’Effroi.
Depuis quarante-huit heures le Bedeau, surtout lorsqu’il 'etait d'egris'e, vivait dans une perp'etuelle angoisse. `A chaque instant, il redoutait de voir devant lui l’effrayante silhouette de Fant^omas et il se sentait `a son 'egard si coupable qu’il se rendait compte que le Ma^itre se lasserait de lui pardonner. Et puis surtout, 'ev'enement bien fait pour le rendre lugubre et pour assombrir son esprit, le Bedeau n’avait plus d’argent, il ne savait plus comment s’en procurer, son gagne pain, sa ma^itresse, n’'etant plus l`a pour le faire vivre.
— Zut apr`es tout, grommela-t-il, faut que ca finisse, j’en ai assez de ce truc-l`a et je m’en vais agir.
Avec lassitude, le Bedeau acheva de se v^etir, passait une serviette mouill'ee sur ses joues que salissait une barbe hirsute, puis, ayant jet'e une casquette sur son cr^ane d'enud'e, il descendit, les mains dans les poches, se dandinant `a son habitude. Il gagna par la rue de Vaugirard les abords de l’avenue du Maine.
La nuit tombait, les r'everb`eres et les boutiques s’illuminaient. Le Bedeau, apr`es avoir fl^an'e quelques instants le long des trottoirs, 'etait revenu sur ses pas, comme quelqu’un qui h'esite sur ce qu’il va faire. Brusquement, il avait quitt'e l’avenue pour s’engager dans une ruelle 'etroite et sombre, au fond de laquelle se trouvait un cabaret c'el`ebre dans le monde des souteneurs et des pierreuses, qui s’appelait Au Drapeau.
— Salut, m’sieu, dames, fit le Bedeau de sa voix 'eraill'ee, lorsqu’il franchit le seuil du cabaret.
Le Bedeau toucha sa casquette et en m^eme temps fut pris d’une effroyable quinte de toux provoqu'ee par l’^apret'e des vapeurs d’alcools et par la fum'ee de tabac qui empuantissaient la salle basse de l’antre o`u il venait de s’introduire.
Il y avait d'ej`a pas mal de monde dans l’'etablissement et instinctivement le Bedeau cherchait des yeux un visage connu, une physionomie amie pour pouvoir aller s’installer aupr`es d’elle, lorsqu’il s’entendit interpeller :
— H'e l`a, mon vieux ! fit quelqu’un. Alors c’est la cr`eve, ca sent le sapin.
— Penses-tu, r'etorqua le Bedeau en bourrant sa poitrine de coups de poings, pour justifier `a l’avance ce qu’il allait dire, le coffre est encore solide et n’a pas l’intention de s’en aller de sit^ot voir le champ de navets. Seulement voil`a, de temps en temps comme ca, j’ai besoin de me remonter. Qui c’est qui paie un verre ? Moi je ne r'egale pas aujourd’hui, je suis fauch'e comme les bl'es.
— Viens t’asseoir par ici, un de plus, un de moins, on s’en fout.
Le Bedeau venait s’installer sans plus se faire prier. Il tendit une main distraite `a l’homme qui l’avait interpell'e, puis `a voix basse l’interrogea :
— C’est-y donc que vous venez de poisser quelqu’un qu’on vous trouve dans cette t^ole ?
Le Bedeau, avec une certaine m'efiance consid'erait son h^ote et le compagnon qui 'etait avec lui.
Le Bedeau connaissait parfaitement ces deux hommes, c’'etaient des indicateurs que l’on soupconnait m^eme appartenir `a la Pr'efecture de police, en tant qu’inspecteurs de la S^uret'e et ceux qui faisaient cette supposition n’avaient point tort, car les deux hommes 'etaient en effet deux anciens agents d’affaires, les ex-associ'es de la rue Saint-Marc, Nalorgne et P'erouzin.
Et, en effet, Nalorgne et P'erouzin appartenaient r'eguli`erement `a la phalange des inspecteurs de la S^uret'e, mais ce qu’ignorait leur chef, M. Havard, c’est qu’ils 'etaient aussi les fid`eles et respectueux serviteurs de Fant^omas, qu’ils renseignaient. Certes quelqu’un 'etait renseign'e sur leur duplicit'e, c’'etait Juve. Mais le policier qui avait sans doute de bonnes raisons, gardait le secret.
Nalorgne et P'erouzin, qui avaient autant de rapacit'e que peu de conscience, estimaient que c’'etait l`a pour eux une admirable combinaison que celle consistant `a servir les int'er^ets des uns et des autres et `a manger `a deux r^ateliers. Pour le moment, toutefois on buvait.
Apr`es avoir caus'e de choses indiff'erentes, le Bedeau, baissant le ton, demanda `a Nalorgne :
— Vous qui cherchez toujours `a poisser les gens, faut croire que chaque arrestation vous est pay'ee en plus ?
Nalorgne hocha la t^ete :
— Naturellement, fit-il d’un air convaincu.
Cependant que P'erouzin, plus loquace, ajoutait :
— Et c’est surtout dans ces affaires-l`a qu’on fait du profit. Suivant les types la gratification varie entre cinq francs et cent francs. Plus le bonhomme qui a 'et'e fait est bon et plus on paie.
Le Bedeau approuva :
— C’est logique.
Il y eut un silence. Nalorgne froncait les sourcils en regardant l’apache. Il lui demanda :
— Qu’est-ce que ca peut bien te faire ? pourquoi que tu essaies de nous cuisiner sur ce chapitre-l`a ?
— Voil`a, fit-il, j’ai une combine pour vous et une bonne.
— Laquelle ?
— C’est simple, poursuivit le Bedeau.
P'erouzin fit signe au patron de l’'etablissement qui apporta aussit^ot une seconde chopine de vin rouge.
Le Bedeau reprit :
— Tel que vous me voyez, je peux vous coller dans les pattes un num'ero tout ce qu’il y a de plus costaud. Un type qui a commis plusieurs vols et quelques assassinats, je supposes que ca vaut cher.
— Assur'ement, s’'ecria P'erouzin, qui na"ivement montrait son enthousiasme.
Mais Nalorgne, plus adroit :
— Ca d'epend, faut voir le client. Souvent on en poisse des types comme tu dis, mais on ne peut pas les faire se mettre `a table. Il n’y a pas de preuves contre eux et alors on est refait. Tout juste si on ne prend pas des engueulades.