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La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— Je ne vous parle pas de cela, interrompit Juve.

— Je l’imagine bien, morbleu, ou ca ne se passerait pas comme ca ! Seulement, c’'etait une d'eclaration utile `a faire. Autre chose : vous me demandez si ma soeur connaissait les Borel ? Oui, mais tr`es peu. Elle entretenait avec eux des relations de bon voisinage. Moi, je connaissais Mme Borel bien plus intimement.

M. Anselme Roche, `a son tour, parut vivement 'emu :

— Vous connaissiez Mme Borel ? interrogea-t-il d’une voix soupconneuse, d'esagr'eable presque.

— Oui, Monsieur. Une femme charmante, exquise, belle `a ravir, dou'ee de toutes les qualit'es, s'eduisante au possible.

— Vous la connaissiez beaucoup ? insistait le magistrat.

— Assez, oui.

— Vous lui rendiez visite souvent ?

— Tr`es souvent.

— Monsieur, d'eclara s`echement le procureur en se levant, pour marquer que l’audience 'etait termin'ee, je prends bonne note de vos d'epositions. Vous pouvez retourner au ch^ateau de Garros, si j’avais une communication `a vous faire, vous seriez imm'ediatement mand'e.

***

Deux heures plus tard, en compagnie du procureur de la R'epublique, Juve, apr`es avoir minutieusement fouill'e la maison, demeurait fort perplexe.

Pour Juve, en effet, l’hypoth`ese du crime 'etait radicalement d'emontr'ee par l’aspect m^eme des lieux. `A coup s^ur, quelqu’un avait 'et'e tu'e au rez-de-chauss'ee. Le corps avait saign'e longtemps sur le sol avant qu’on l’emport^at. Mais o`u l’avait-on emport'e ?

— Si le meurtre avait eu lieu ici, disait Juve, montrant le milieu de l’unique pi`ece donnant de plain-pied sur la route, je ne vois pas du tout pourquoi l’assassin se serait donn'e la peine de monter le cadavre au premier 'etage, comme en font foi cependant les traces de sang qui subsistent encore sur l’escalier et sur le tapis de cette chambre-boudoir. Je vois encore moins ce qu’il a pu faire du cadavre, une fois en haut, o`u les traces de sang s’arr^etent `a deux m`etres de la baignoire.

Poursuivant brusquement ses investigations, cherchant toujours `a donner une explication au myst`ere invraisemblable qu’il 'etudiait, Juve ajouta :

— Autant qu’on peut en juger d’ailleurs, 'etant donn'ee la disposition des lieux, il est vraisemblable qu’un homme seul a pu hisser le cadavre par ce petit escalier. Ceci conduirait `a conclure que Mme Borel n’est pas, ne peut pas ^etre l’assassin, qu’elle serait plut^ot la victime.

Par acquit de conscience, Juve, une derni`ere fois, entreprit le tour du logis dramatique et, soudain, en se baissant pour examiner, au premier 'etage, le dessous d’un grand divan, il fit une d'ecouverte extraordinaire :

— Monsieur le procureur, appela Juve, montez donc. Voyez ce que je trouve. Un revolver, un revolver d’ordonnance, un revolver de soldat. Oh, oh, est-ce que, par hasard, le spahi que nous avons vu… ?

Juve s’interrompit, il r'efl'echit quelques minutes, puis, `a br^ule-pourpoint, et de la meilleure foi du monde il interrogea le procureur de la R'epublique.

— Dites-moi, demandait-il, ce Martial Altar`es, ce jeune homme que nous avons vu tout `a l’heure, ce militaire qui est si furieux contre son beau-fr`ere, vous a-t-il fait une bonne ou une mauvaise impression ?

— Une impression d'etestable.

6 – LA SOIR'EE DU BEDEAU

Cinq heures sonn`erent `a une horloge lointaine. Le dormeur s’'eveilla dans sa chambre de la rue de Vaugirard.

Les premiers mots qui s’'echapp`erent de ses l`evres furent des jurons :

— Ah nom de Dieu de nom de Dieu !

Il commenca une phrase, mais celle-ci s’interrompit par suite d’un b^aillement formidable qui menacait de d'ecrocher la m^achoire de l’homme si soudainement arrach'e au sommeil. Il grogna, toussa, puis, s’'etant assis sur son grabat, ayant regard'e autour de lui d’un air ahuri, 'etonn'e, il cracha sur le parquet. Le r'eveil de cet ^etre r'epugnant n’avait vraiment rien pour charmer. Depuis l’aube il avait dormi du sommeil de la brute pendant toute la matin'ee, l’apr`es-midi, et maintenant `a cinq heures du soir il semblait encore abruti par l’alcool de la veille.

Cet homme d’^age m^ur 'etait connu dans le quartier sous le sobriquet du Bedeau. Le Bedeau. C’'etait une c'el'ebrit'e de mauvais aloi, une c'el'ebrit'e tout de m^eme. Depuis plusieurs ann'ees d'ej`a, le sinistre individu qui devait son surnom `a la facon adroite et brutale avec laquelle il savait 'etourdir les passants en leur frappant le cr^ane contre le bord du trottoir, 'etait en effet l’un des personnages les plus redout'es de la bande d’apaches dont Fant^omas avait fait ses collaborateurs, ses amis.

Le Bedeau, toutefois, depuis quelques semaines, semblait s’^etre retir'e du monde. Il vivait dans une retraite discr`ete et semblait fort soucieux de passer inapercu, tout au moins dans la journ'ee. Le soir, lorsqu’il 'etait rest'e dans sa chambre jusqu’`a l’heure du cr'epuscule, il en sortait et se rendait chez les marchands de vins et dans les bars, o`u il buvait chopines et liqueurs jusqu’`a complet 'epuisement de ses ressources. Il rentrait abominablement ivre et couchait soit chez lui, soit sur le pas de sa porte, voire m^eme en travers de l’escalier, lorsqu’il ne parvenait pas `a le gravir. Ce soir-l`a, le Bedeau `a peu pr`es r'eveill'e, sortit brusquement de son lit et se pr'ecipita vers une minuscule table de toilette qui occupait un angle de son logement. Il empoigna le pot `a eau `a deux mains, le vida `a moiti'e :

— Ah nom de Dieu, soupira-t-il, `a demi suffoqu'e par cette rapide absorption, ca fait du bien tout de m^eme, j’avais la gueule en feu.

Avec des gestes machinaux l’homme passa son pantalon, puis ses chaussures et entreb^ailla la fen^etre qui donnait sur la cour int'erieure du vaste immeuble dont il 'etait le locataire.

Il appela d’une voix rauque :

— La M`ere Toulouche !

La M`ere Toulouche, cette vieille receleuse qui n’'etait d’ailleurs pas `a un crime pr`es, elle non plus, 'etait depuis quelque temps devenue la voisine du Bedeau. Par le seul fait d’ailleurs du hasard, la vilaine femme 'etait venue s’installer dans la m^eme maison que l’apache. La M`ere Toulouche cependant n’avait pas r'epondu `a l’appel du Bedeau. Celui-ci la h'ela une seconde fois, puis s’accoudant `a l’appui de sa fen^etre, baissa les yeux et d’un oeil distrait regarda par les crois'ees ouvertes dans la direction du logement de la vieille receleuse. Le Bedeau habitait au sixi`eme et, par cons'equent, dominait les autres 'etages. Ces logements, pour la plupart occup'es par des ouvriers, 'etaient vides, et le Bedeau instinctivement songeait que rien ne serait plus facile que de s’y introduire. Ah oui, il se rappelait, en effet, qu’il n’avait plus d’argent et que la fin de la semaine 'etait toute proche, ce qui signifiait pour lui qu’il allait falloir allonger une thune `a la concierge sous peine d’^etre expuls'e le lendemain, sans autre forme de proc`es. Mais le Bedeau se ravisa :

— Ce sont tous des pur'ees qui habitent l`a, grommela-t-il, pas la peine de se donner du mal pour trouver peau de balle et balai de crin dans l’armoire.

Il appela encore d’une voix plus assur'ee, plus forte :

— La M`ere Toulouche !

« Zut, la vieille a disparu, voil`a trois jours qu’on n’a pas de ses nouvelles, s^ur qu’elle s’est encore fait poisser. Et moi qui comptait sur elle pour qu’elle me refile un peu de p`eze, je suis vert, bien vert.

En effet, depuis quelque temps rien ne lui r'eussissait et malgr'e sa superbe indiff'erence il commencait `a r'efl'echir sur la situation, `a s’inqui'eter s'erieusement. Le Bedeau n’avait pas la conscience tranquille. Une quinzaine de jours auparavant, sur les instances de sa ma^itresse Fleur-de-Rogue, il avait indiqu'e `a celle-ci une facon s^ure et certaine de se venger de la fille de Fant^omas dont Fleur-de-Rogue 'etait terriblement jalouse.

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