La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Cette demeure extravagante, unique et ridicule, 'etait le home de l’ineffable Bouzille. Cet homme de tous les emplois avait d'ecid'e un matin de s’'etablir une bonne fois propri'etaire.
Comment Bouzille, cependant, au hasard de ses p'er'egrinations, en 'etait-il venu, sa d'ecision prise, `a 'echouer `a Beylonque ? Il e^ut 'et'e probablement fort difficile de le lui faire expliquer avec quelque pr'ecision. Il y avait l`a des motifs bizarres. Des histoires de poules chapard'ees le long des routes, de l'egumes vol'es dans les jardins de ses semblables, avaient men'e Bouzille de gendarmerie en gendarmerie, pour le conduire finalement en ce pays perdu.
Bouzille cependant n’avait nullement renonc'e aux vieilles habitudes qui lui 'etaient ch`eres. Comme par le pass'e, il estimait que l’'et'e 'etait une saison exquise au cours de laquelle il 'etait opportun d’^etre en libert'e pour jouir du ciel bleu, des oiseaux, des champs o`u il fait bon dormir au soleil. L’hiver, en revanche, apparaissait au chemineau comme un ennemi rendant n'ecessaire un s'ejour volontaire en prison, s'ejour qu’il 'etait toujours facile pour un individu de son esp`ece, connaissant `a fond le tarif des l'egers d'elits, de proportionner exactement aux mois qu’il importait de passer aux frais du gouvernement.
Bouzille, fort de son id'ee, 'etait arriv'e `a Beylonque un beau matin et s’'etait imm'ediatement mis en campagne pour se procurer un logis o`u il p^ut, toute la saison d’'et'e, habiter tranquillement, en devant `a tout le monde pour ne rien devoir `a personne. Bouzille n’avait pas eu besoin de r'efl'echir bien longuement pour d'ecouvrir un proc'ed'e. Le maire de Beylonque 'etait pr'ecis'ement propri'etaire d’un petit terrain qui convenait `a merveille `a Bouzille. Le chemineau alla donc trouver le repr'esentant de l’autorit'e et lui tint ce discours :
— Monsieur le maire, d'eclarait l’impayable personnage, je suis un pauvre homme et je suis persuad'e qu’en cons'equence vous voudrez bien m’aider. Voil`a. J’ai de quoi acheter des mat'eriaux pour me b^atir une maison. Donnez-moi le terrain n'ecessaire, je vous donnerai en 'echange les mat'eriaux comme garantie. Quand j’aurai fait des 'economies, je vous paierai votre terrain.
Brave homme, le maire avait accept'e la proposition, sign'e un papier. Puis le chemineau avait 'et'e trouver divers marchands de moellons, de briques, de tuiles.
— Je viens d’acheter un terrain, leur expliqua Bouzille, brandissant, sans le laisser lire, le papier du maire. Je manque d’argent pour acheter les mat'eriaux qui me sont n'ecessaires. Faites-moi cr'edit, je vous donnerai le terrain comme garantie et, quand j’aurai fait des 'economies, je vous paierai.
La combinaison 'etait 'evidemment excellente. Bouzille, par son proc'ed'e, avait r'eussi `a avoir pour rien une maison, d’aspect un peu bizarre, il est vrai.
— Chaque jour, disait l’heureux
Bouzille, en son ch^ateau-chaumi`ere, vivait de mille industries, rendait des services `a ses voisins, devenant petit `a petit l’homme `a tout faire dont chaque bourgade poss`ede son sp'ecimen.
Il chassait les vip`eres, qu’on lui payait tant par t^ete. Il d'etruisait les taupes, `a forfait. Il surveillait les cerisiers trop visit'es par les moineaux rapaces. Il guettait encore les passages de palombes attendues par les chasseurs du pays. Il n’avait jamais rien `a faire, mais il 'etait occup'e, il trouvait toujours moyen de gagner quelques sous.
Ce jour-l`a, Bouzille sortait de Beylonque, tra^inant un maigre cheval qu’il avait 'et'e conduire chez le v'et'erinaire pour le compte d’un fermier.
— Eh, eh, pensait l’ancien chemineau, voil`a un cheval qui va peut-^etre me rapporter soixante centimes sans que personne puisse rien me dire.
Et Bouzille, pressant le pas, au lieu de se rendre par le chemin le plus direct `a la ferme o`u il devait conduire la b^ete, obliqua, s’enfonca dans un petit chemin forestier, courant au plus profond des pignadas.
— Hue, cocotte, encore un peu de courage.
« Dommage, pensait Bouzille de temps `a autre, dommage que le bon Dieu ait fait des chevaux si grands. S’ils avaient le dos plus pr`es du sol, il n’y aurait aucun danger `a ^etre cavalier et ma foi je n’aurais pas besoin de marcher `a pied.
Bouzille cependant, apr`es avoir trottin'e quelque vingt minutes, 'etait parvenu `a une sorte de clairi`ere comportant `a son centre une petite mare. L`a, le chemineau s’arr^eta en se frottant les mains.
— Justement il n’y a personne, s’exclama-t-il satisfait. Ah, ah, je crois qu’on va rire.
D’un coin de broussaille, il tira une grande cruche qu’il remplit d’eau et posa soigneusement sur le bord du chemin. Cela fait, Bouzille revint vers le cheval abandonn'e et le flatta de la main.
— Et alors, mon petit bidet, lui d'eclara-t-il d’une voix attendrie, vous avez donc des rhumatismes, on craignait donc la congestion ? H'e, h'e, monsieur le cheval, ne vous faites pas de mauvais sang ! Bouzille est encore le meilleur des v'et'erinaires, et Bouzille va vous tirer d’affaires.
Tout en parlant, le chemineau, laissant le cheval sur le bord de la mare, se d'ep^echa de faire le tour de l’'etang, tenant toujours le bout de la longe `a laquelle il avait ajout'e une grande corde.
Puis, s'epar'e de la b^ete par la mare, Bouzille, tranquillement tira sur la longe, pour obliger le cheval `a entrer dans l’eau et `a venir le rejoindre en traversant le marais.
— Viens bidet, criait-il, viens mon joli animal !
Camp'e sur ses deux pattes de derri`ere, le cheval se cabra, chercha `a s’'echapper.