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La gu?pe rouge (Красная оса)
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Trois minutes plus tard, Fant^omas apparaissait, hautain, sombre, imp'en'etrable comme `a l’ordinaire, marchant avec une superbe attitude d’arrogance, entre les deux gardes municipaux.

En entrant dans le cabinet de Germain Fuselier, il salua le magistrat d’un signe de t^ete avec une correction parfaite, puis haussant les 'epaules, il eut un sourire protecteur `a l’adresse de Juve.

— Vous ^etes trop aimable, dit-il. J’avais demand'e `a d'eposer entre vos mains une plainte, mais je n’avais pas exig'e que la personne dont je me plains f^ut pr'esente.

— Est-ce donc de moi que vous d'esirez vous plaindre, Fant^omas ? demanda Juve.

— De vous, oui, Juve. Mais pas de vous seul.

— De qui donc d’autre ?

— Vous permettez que je prenne un si`ege ? r'epondit le bandit, parfaitement `a son aise.

— Oui.

— Merci. Eh bien, messieurs, j’ai en effet `a me plaindre, `a me plaindre de Juve, de ses coll`egues, du procureur de la R'epublique, de la magistrature, de la police. Mais je d'esirerais ne parler qu’en pr'esence de mon avocat, le b^atonnier Me Faramont, contre qui j’ai aussi, monsieur le juge, quelques reproches `a formuler.

Le policier se pencha vers le juge :

— Il faut lui donner satisfaction, murmura Juve. Me Faramont est-il pr'evenu ? Il devrait ^etre ici.

Au moment m^eme, l’huissier passait la carte de l’avocat au magistrat.

— Faites entrer Me Faramont.

Les salutations s’'echang`erent, puis Fant^omas reprit la parole.

— Messieurs, d'eclarait le bandit, vous ^etes un peu mes juges, et par cons'equent je sollicite de vous une impartialit'e absolue. Veuillez donc me promettre de m’'ecouter sans m’interrompre.

Fant^omas parlait avec une si grande assurance, une autorit'e si tranquille, que Juve, tout comme Me Faramont, tout comme M. Fuselier lui-m^eme, en fr'emit. O`u voulait donc en venir l’extraordinaire bandit qu’ils avaient devant eux ?

— Parlez, Fant^omas, commanda Fuselier. Nous vous 'ecoutons.

Fant^omas se croisa les bras :

— Messieurs, je suis ici pour accuser et pour menacer. Encore une fois, j’attire toute votre attention sur les paroles que je vais prononcer. Voici quinze jours, ou presque, que je suis emprisonn'e, j’ai eu le temps de r'efl'echir, je ne parle pas `a la l'eg`ere, je sais ce que je dis, et dis ce que je sais… Juve, je vous accuse, je vous accuse de l^achet'e et de n'egligence. Ne me r'epondez pas, voici des explications. Juve, il y a quinze jours, j’'etais parfaitement libre, pr^et `a la lutte, pr^et `a vous combattre, `a vous vaincre, peut-^etre. Mais il y a quinze jours, Juve, j’'etais aussi terriblement angoiss'e par le chagrin que me causait la mort de ma malheureuse ma^itresse, lady Beltham. Ce jour-l`a, Juve, je me suis livr'e, je me suis remis en vos mains, je vous ai dit :

« Prenez-moi, mais vengez-moi. Jetez-moi en prison, mais d'ecouvrez l’assassin de lady Beltham. » Juve, j’ai pass'e un march'e avec vous, un march'e que vous avez accept'e. J’ai pay'e vos services, dont j’avais besoin, de ma libert'e. Juve, depuis quinze jours, qu’avez-vous fait ? Rien ! Qu’avez-vous retrouv'e ? Personne. Qui soupconnez-vous ? Personne encore. Juve, j’en appelle `a votre honn^etet'e en laquelle je crois. Soupconnez-vous, `a l’heure actuelle, comment est morte lady Beltham ? Avez-vous fait avancer d’un pas cette enqu^ete que je paierai peut-^etre un jour de ma vie ? Avez-vous tenu le pacte qui 'etait convenu entre nous ? Je suis prisonnier, Juve, pour que vous soyez policier et policier `a mon service. Alors, rendez-moi vos comptes, faites votre rapport. Car de deux choses l’une : ou vous devez vous occuper de venger lady Beltham, ou moi je renoncerai `a vous employer, et j’irai moi-m^eme m’occuper de mes propres affaires.

Fant^omas se tut, mais il jeta un regard foudroyant `a Juve. V'eritablement le bandit 'etait beau, il dominait de superbe facon le policier qui, de son c^ot'e, avait p^ali, se mordait les l`evres au sang.

— R'epondez, commanda Fant^omas.

Germain Fuselier tressaillit, regarda Me Faramont qui paraissait ahuri, regarda Juve tr`es p^ale, presque tremblant.

— Je crois, commenca-t-il…

Mais Fant^omas l’interrompit :

— Monsieur le juge, osa ordonner le bandit, il vous faut faire silence ici. Le drame qui se joue doit m'eriter votre indiff'erence, sinon votre sympathie. J’ai propos'e ma t^ete `a Juve pour qu’il d'ecouvre l’assassin de lady Beltham, j’ai pay'e honn^etement, qu’il s’acquitte honn^etement. Que savez-vous, Juve ?

Juve, `a cet instant, se leva. Lui aussi 'eprouvait un secret besoin d’^etre debout, libre de ses mouvements, de ses gestes, pour r'epondre `a Fant^omas.

Ah, sans doute, elle 'etait inconcevable, inou"ie, fantastique, l’audace du Ma^itre de l’'Epouvante, qui, tout prisonnier qu’il 'etait, l’accusait, exigeait des comptes !

Un autre que Juve se f^ut content'e de lui r'epondre par un haussement d’'epaules. Mais cela, cela que d’autres eussent pens'e, le grand honn^ete homme que Juve 'etait, ne pouvait l’admettre. `A cette heure, il souffrait terriblement, le bon Juve ! Il songeait que Fant^omas disait vrai, il songeait que Fant^omas avait pay'e de sa libert'e la vengeance dont il l’avait charg'e. Et c’est sous le poids d’un terrible scrupule que Juve tremblait : J’ai accept'e la t^ete de cet homme, se disait-il, je suis son d'ebiteur.

— Allons, parlez, r'ep'eta Fant^omas, toisant le policier. Que savez-vous ?

— Rien ! hurla Juve. Je ne sais rien ! Les drames se multiplient. Les myst`eres s’enchev^etrent. Vous ^etes prisonnier, Fant^omas, et pourtant il semble que votre n'efaste toute-puissance s’emploie encore `a bouleverser ma vie, `a bouleverser la vie de tous ceux qui, de loin ou de pr`es, ont pu se trouver sur votre route. Je vous ai promis de venger la mort de lady Beltham. Soit, je ne le nie pas. Je suis pr^et `a vous refaire cette promesse, mais vous exigez trop t^ot des r'esultats d'efinitifs pour une enqu^ete trop complexe. Vous vivez encore, Fant^omas, votre proc`es n’est pas pr`es de s’achever, vous saurez avant de monter `a la guillotine, que lady Beltham sera veng'ee.

Mais Fant^omas venait de se laisser tomber n'egligemment sur une chaise et avait 'eclat'e de rire.

Le bandit rit longtemps, d’un petit rire ironique, 'etouff'e, sarcastique :

— Mon pauvre Juve, d'eclara-t-il enfin, accentuant le ton d'edaigneux de ses paroles, vous d'eraisonnez compl`etement. Vous me parlez de guillotine, vous me promettez que quelque jour vous souscrirez `a la dette que je vous signalais tout `a l’heure, mais, mon pauvre Juve, ne sentez-vous pas que vous agissez en ce moment comme un d'ebiteur insolvable ? Comment, derri`ere vous, policier, il y a toute la police. Derri`ere vous, monsieur le juge, il y a toute la magistrature. Et il vous faut me demander `a moi, `a moi qui suis dans vos mains, que vous avez fait jeter dans vos prisons, termes et d'elais ? Allons donc. Vous imaginez-vous v'eritablement que je vais m’en rapporter `a votre fantaisie, que je vais vous laisser le temps de vous acquitter ?

— Assez, hurla le juge, taisez-vous, vous n’^etes pas ici pour nous menacer ! Juve fera ce que bon lui semble et vous n’avez pas d’ordres `a lui donner. Vous ^etes un bandit, vous ^etes le Roi du Crime, et vous expierez quand la Soci'et'e aura fait la lumi`ere sur vos crimes.

Mais Fant^omas haussa les 'epaules :

— Je n’expierai pas, d'eclara-t-il, cat'egorique.

— Vous pr'etendez 'echapper au ch^atiment ?

Fant^omas se leva, il marcha jusqu’au bureau du juge, il regarda fort s'erieusement le magistrat, puis d'edaigneusement, il dit :

— Monsieur Fuselier, entendez-moi bien : il m’a plu, il y a quinze jours, de tenter une exp'erience. Juve et vous, vous repr'esentez les honn^etes gens. Le magistrat et le policier, vous ^etes faits pour vous donner la main. Je me suis donc livr'e `a vous, je vous ai dit : « Prenez-moi et vengez-moi. » Vous m’avez pris, parbleu, mais vous ne me vengez point. Eh bien, tant pis pour vous. Votre honn^etet'e vient de faire faillite, le pacte fait, je le romps. Je ne suis plus votre prisonnier.

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