La gu?pe rouge (Красная оса)
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M. Marquelet s’inclina tr`es bas devant le « Gouvernement ».
— Au nom de la Soci'et'e des Artistes Internationaux, d'eclara-t-il d’une voix qui tremblait l'eg`erement, je vous remercie. Monsieur le Ministre, de bien vouloir honorer de votre pr'esence l’inauguration de notre Exposition.
Le ministre s’inclina `a son tour, mais M. Marquelet continua `a parler pendant une dizaine de minutes.
Puis, ce fut le tour de M. Dubois de r'epondre au pr'esident.
Il le fit avec cette facilit'e verbeuse qui constitue l’'eloquence de la plupart des hommes d’'Etat. Il acheva sur une p'eroraison grandiloquente et convaincue au cours de laquelle il m^ela la politique et l’art, de la facon la plus inattendue sans doute, mais assur'ement la plus heureuse.
Et des bravos retentirent alentour, cependant que les jeunes attach'es d'evisageaient curieusement les jolies femmes de l’assistance.
Conform'ement aux instructions de M. Marquelet, Bouzille s’'etait dissimul'e dans les derniers rangs de la foule, pour n’^etre pas remarqu'e par le repr'esentant du gouvernement. Il avait retrouv'e dans une all'ee du jardin celui qu’il appelait parfois
Le Danois 'Erick Sunds 'etait l`a en effet, mais il semblait avoir perdu toute sa gaiet'e habituelle. Il avait les traits fatigu'es. Sur son visage se peignait une 'etrange p^aleur.
« Probable, pensa Bouzille, qu’il a d^u faire cette nuit une bombe carabin'ee. »
Et comme il lui sugg'erait tout bas :
— Vous ne vous ^etes pas couch'e, pas vrai ?
'Erick Sunds lui lanca un mauvais regard, qui interdit `a Bouzille d’insister.
Cependant, le cort`ege officiel p'en'etrait dans le Palais de Bagatelle :
— Si vous le voulez bien, monsieur le ministre, commenca Marquelet, nous allons voir d’abord les gravures. Nous examinerons ensuite les vitrines qui contiennent les bibelots, puis la sculpture nous retiendra quelques instants et enfin nous passerons dans le salon d’honneur.
On fit une premi`ere station devant un groupe de marbre d^u au sculpteur Rube. Cela repr'esentait une temp^ete en mer. Une barque oscillait dans un 'equilibre instable. Rube 'etait l`a, il plastronnait, le coude appuy'e sur le socle supportant son oeuvre.
— Ah, ah, fit le ministre, qui regarda quelques instants, mais sans rien dire.
Le cort`ege s’'eloigna : Rube 'etait devenu tout rouge, et tandis que ses camarades le consid'eraient d’un oeil amus'e, il grogna entre ses dents :
— C’est un coup mont'e, on m’a fait venir ici pour se fiche de moi.
Rapidement, on passa devant les gravures, on longea les vitrines, puis on arriva dans une salle de peinture et M. Marquelet, ayant murmur'e quelques mots `a l’oreille du sous-secr'etaire d’'Etat, celui-ci s’arr^eta devant un tableau, repr'esentant, ainsi que le disait l’'etiquette fix'ee sur le cadre, un « Concours de natation `a Joinville-le-Pont ».
C’'etait l’oeuvre de Dollois, le peintre timide.
Dollois n’'etait pas devant son oeuvre, mais perdu dans la foule. On le chercha des yeux, on finit par le d'ecouvrir, et le ministre, lui ayant tendu la main, lui d'eclara :
— Monsieur Dollois, au nom du gouvernement de la R'epublique francaise, j’ai l’extr^eme plaisir de vous nommer officier d’acad'emie.
Un jeune attach'e passa au ministre un petit ruban violet, que celui-ci mit `a la boutonni`ere du peintre.
Dollois crut qu’il allait d'efaillir, tant il 'etait heureux.
Quelques murmures flatteurs soulign`erent l’attribution de cette distinction honorifique. Puis M. Marquelet, pr'ec'edant le sous-secr'etaire d’'Etat, p'en'etra dans le salon d’honneur.
— Vous allez voir ici, monsieur le ministre, d'eclara-t-il, la plus belle oeuvre que nous ayons `a notre exposition, c’est le P^echeur `a la ligne de Rembrandt, aimablement pr^et'e par son heureux propri'etaire Me Henri Faramont, b^atonnier de l’Ordre des avocats.
Et, par pr'ecaution, M. Marquelet ajoutait `a l’oreille du ministre :
— C’est le tableau qui est tout seul sur le panneau du milieu, au-dessus de la chemin'ee.
Le cort`ege avait ralenti sa marche, on faisait cercle dans le salon d’honneur, et M. Dubois, d’un air important, convaincu, consid'era quelques instants le tableau :
— C’est une oeuvre magnifique, d'eclara-t-il, enflant la voix, car il avait remarqu'e qu’autour de lui, se trouvaient des journalistes qui notaient ses paroles, les couleurs sont encore tr`es vives, et l’on retrouve dans cette conception toute simple, dans ce sujet populaire, toute l’'energique vigueur du ma^itre sublime que fut Rembrandt.
Il s’arr^eta et consid'era d’un air 'etonn'e M. Marquelet, qui, tout d’un coup, avait p^ali affreusement.
Gracieusement, le sous-secr'etaire d’'Etat s’inqui'etait :
— Qu’avez-vous donc, cher monsieur ? Seriez-vous souffrant ?
M. Marquelet ne r'epondait pas, il 'etait agit'e d’un tremblement nerveux, et sa main se leva vers le tableau.
Un l'eger cri avait retenti `a c^ot'e du ministre qui tourna la t^ete, et vit Me Faramont. Lui aussi avait p^ali. Jacques Faramont aux c^ot'es de son p`ere, 'etait 'egalement tr`es p^ale, et si le ministre avait connu le Danois 'Erick Sunds, dont la haute taille d'epassait le reste des assistants, il se serait rendu compte que l’'etranger 'etait livide.
Ah ca, que se passait-il donc ? Les attach'es du Cabinet qui, jusqu’alors, n’avaient pr^et'e aucune attention aux incidents de la c'er'emonie, commencaient `a se le demander.
Enfin, M. Marquelet articula d’une voix b'egayante :
— Mais le tableau de Rembrandt ?
— Eh bien, poursuivit M. Dubois, d’un ton l'eg`erement impatient'e, je le vois, je l’admire.
Subitement un cri retentissait, il 'etait pouss'e par le b^atonnier :
— Mais ce n’est pas mon tableau, s’'ecria celui-ci. Et il ajouta d’une voix 'etrangl'ee d’'emotion :