La gu?pe rouge (Красная оса)
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C’'etait tout simplement un 'el'egant qui s’'eloignait au long des rues d'esertes, marchant d’un pas peu press'e, fumant un excellent cigare, trouv'e dans un 'etui d’argent, au fond de la poche du pardessus dont il s’'etait empar'e.
Fant^omas alla de cette facon vingt minutes `a peu pr`es. Une horloge pneumatique, dont l’aiguille marquait la demie de dix heures, le fit tressaillir [11].
— Diable ! Je vais ^etre en retard, murmura-t-il, et pourtant je ne voudrais pas faire attendre mes invit'es, puisque, ce soir, tout comme Me Faramont, j’ai des invit'es `a recevoir.
Fant^omas, d`es lors, se pressa. Il h'ela un fiacre et, jetant n'egligemment son cigare, donna l’adresse au cocher :
— Avenue Malakoff, num'ero 20, inutile d’entrer dans la cour.
Vingt minutes plus tard, le fiacre qui emportait le Ma^itre de l’Effroi s’immobilisait `a la porte d’un petit h^otel du meilleur go^ut. Fant^omas paya, puis faisant tourner la jolie canne `a pomme d’or qu’il avait vol'ee quelques instants auparavant, sonna d’un doigt imp'erieux `a l’une des petites portes perc'ees dans la grille de fer forg'e de la facade de l’h^otel. La porte s’ouvrit. Fant^omas entra, referma derri`ere lui, p'en'etra dans l’immeuble.
Un domestique en livr'ee sombre accourait au-devant de lui :
— Vous allumerez dans mon cabinet, ordonna Fant^omas. J’imagine que mes amis sont l`a.
— En effet, Monsieur le baron est attendu.
Fant^omas r'eprima un sourire, regarda le valet de chambre bien en face, puis lentement articula :
— Imb'ecile ! Ce n’est pas la peine de faire des mani`eres quand nous sommes seuls. Rien de suspect aujourd’hui ?
— Rien du tout, patron, r'epondait le larbin, sur un ton de voix chang'e, avec une familiarit'e qui n’excluait pas le respect.
O`u donc 'etait Fant^omas ?
Chez lui.
L’extraordinaire bandit, en effet, sit^ot qu’il s’'etait 'evad'e de la Sant'e, s’'etait fait tranquillement conduire par l’automobile qui l’attendait devant la prison depuis quinze jours, d’apr`es les ordres qu’il avait donn'es lui-m^eme, `a cet h^otel, achet'e sous un faux nom.
Fant^omas n’ignorait pas qu’on se cache `a Paris mieux qu’ailleurs, qu’il suffit, en g'en'eral, de changer de position sociale, de prendre un nom suppos'e, pour d'ejouer les recherches de la police, et m^eme les plus habiles d'etectives.
— Juve me cherchera partout et me trouvera, s’'etait dit Fant^omas, sauf si je ne me cache pas.
Alors il avait pris froidement la r'esolution de recommencer `a vivre au grand jour.
Fant^omas, toutefois, c'edant `a un souci nouveau chez lui, avait chang'e quelque chose `a sa mani`ere habituelle. Maintes fois d'ej`a, il avait eu recours `a des noms d’emprunt pour dissimuler sa formidable personnalit'e, mais jamais encore il n’avait os'e s’entourer de complices, ainsi qu’il le faisait cette fois-ci.
Dans l’h^otel de l’avenue Malakoff, il n’y avait, `a vrai dire, que des complices du Tortionnaire. Le portier 'etait un ancien bagnard, le chauffeur 'etait Beaum^ome et dans le domestique bien styl'e qui venait de s’avancer au-devant de lui, Juve et Fandor eussent reconnu sans peine l’un des habitu'es du cabaret du p`ere Korn : l’un des sinistres marlous du boulevard de la Villette. Pourquoi Fant^omas avait-il pouss'e l’audace jusqu’`a r'eunir dans son propre repaire des individus semblables ? Comment n’avait-il pas craint, en s’entourant de pareilles gens, d’attirer l’attention des agents de la S^uret'e ? Il devait avoir de puissants motifs, de secrets desseins, de terrifiants projets, 'evidemment.
Quoi qu’il en soit, Fant^omas traversa d’un pas tranquille le grand vestibule, somptueusement d'ecor'e, qui s’ouvrait au bas de l’h^otel. Il gagna un petit salon, richement 'eclair'e, un petit salon myst'erieux o`u il pouvait causer sans craindre un espionnage, car les fen^etres 'etaient munies de doubles volets ext'erieurs, clos, volets int'erieurs clos aussi et, par surcro^it de prudence, doubl'es d’'epais rideaux qui joignaient `a merveille.
Fant^omas n’eut pas sit^ot ouvert la porte, qu’il 'eclata de rire :
Le petit salon dans lequel il p'en'etrait 'etait, en effet, luxueusement meubl'e. Aux murs pendaient des tableaux de prix. Au plafond o`u des peintres c'el`ebres avaient bross'e des fresques de toute beaut'e, un lustre fait de cristaux rares s’incendiait de mille reflets. Meubles, tables, chaises, fauteuils, pr'ecieuses vitrines, tout t'emoignait, dans la pi`ece, d’une recherche raffin'ee, d’'el'egance et de bon go^ut.
Or, cinq individus 'etaient r'eunis dans ce salon confortable, dont la seule pr'esence faisait tache.
Ces cinq apaches, sales, crott'es, mis'erables et fam'eliques, n’'etaient autres que Mort-Subite, le Bedeau, le Barbu, OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz.
`A l’'ecart, se tenait Bouzille. Le chemineau 'etait accroupi par terre, et surveillait amoureusement un bouchon surmont'e de gros sous.
Aussi bien il n’y avait pas d’illusion `a se faire sur l’occupation des apaches. Chaises et fauteuils avaient 'et'e recul'es contre le mur et tout `a loisir dans cette pi`ece luxueuse, ils jouaient le plus d'emocratiquement du monde, au bouchon [12].
Fant^omas contempla la sc`ene, amus'e, puis attira l’attention des joueurs :
— Fort bien, messieurs, disait-il, vous passez le temps agr'eablement.
Tous tourn`erent la t^ete, confus un peu, g^en'es par l’apparition du ma^itre. Bouzille, seul, demeurait indiff'erent et calme.
— Oh r'epliquait le chemineau, pour ce qui est d’^etre occup'e, on est occup'e, mais pour ce qui est d’^etre occup'e agr'eablement, on pourrait ^etre plus agr'eablement occup'e. On ne verse pas souvent chez toi, Fant^omas. Le pays est d’un sec ! Bref, j’ai joliment soif.