La gu?pe rouge (Красная оса)
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— Le m'ecanicien affol'e, d'esesp'er'e comme bien vous le pensez, a fait du tapage dans le quartier, s’est renseign'e aupr`es des voisins. Au bout d’une demi-heure, il a retrouv'e sa voiture arr^et'ee dans une impasse `a c^ot'e de la rue Lepic. Toutefois, le tableau qu’elle transportait n’y 'etait plus. Le m'ecanicien est venu raconter cette histoire au commissaire, car il a eu peur d’avoir `a encourir des responsabilit'es quelconques au sujet du tableau disparu.
— De plus en plus int'eressant, d'eclara Juve dont la persistance d’ironie exasp'erait Fandor.
— Ah sapristi, Juve, cria-t-il, soyez donc un peu s'erieux ! 'Ecoutez-moi bien maintenant, c’est ici que l’affaire se corse. Le commissaire entend donc la d'eclaration du m'ecanicien et il l’interroge d’abord sur la nature de ce tableau.
— Et alors ?
Fandor leva les bras au ciel.
— Vraiment, vous ^etes difficile, mon cher ami, fit-il, si vous trouvez que tout cela n’est pas extraordinaire ! Comment ? Ce tableau dont personne ne semblait vouloir `a l’h^otel des Ventes, voici qu’on vient l’acheter le soir m^eme `a la brocanteuse un prix exorbitant, puis qu’on le fourre dans une voiture automobile, qu’on vole cette derni`ere, qu’on la restitue ensuite, mais avec le tableau en moins, et cela vous para^it tr`es naturel ? Eh bien, non, pas `a moi. Il y a quelque combinaison louche, quelque myst`ere que l’on pourrait 'elucider seulement si le voleur de l’automobile 'etait connu. Or, non seulement le voleur est inconnu, mais encore je doute qu’on puisse l’arr^eter jamais.
— On n’arr^etera pas en effet ce voleur. Je puis le garantir, Fandor, et, sur ce point, tu as raison. Quant `a pr'etendre que le voleur est inconnu, certes, il l’est de beaucoup de gens, mais il est cependant quelqu’un, tout au moins, qui le conna^it.
— Ah bah, auriez-vous donc, Juve, des renseignements pr'ecis `a ce sujet ?
— J’en ai, tr`es pr'ecis encore.
— Expliquez-vous ?
— T’expliquer les choses serait un peu long, j’aime mieux tout net te d'eclarer que le voleur m’est connu, pour cette bonne raison que le voleur, c’est moi.
Fandor, qui s’'etait lev'e, retomba de tout son poids sur le fauteuil qu’il venait de quitter.
— Vous en avez de bonnes, Juve !
— Je suis on ne peut plus s'erieux.
— Allons, vous racontez des blagues ?
— Des blagues ? D'ecid'ement, Fandor, tu es comme saint Thomas, tu ne crois que ce que tu vois. Soit, je n’insiste plus, viens avec moi dans la pi`ece `a c^ot'e et tu verras quelque chose qui te convaincra.
Les deux hommes pass`erent dans le cabinet de travail de Juve et Fandor s’arr^eta, poussa une exclamation de surprise.
— Ah, sapristi, eh bien, Juve, vous m’en bouchez un coin !
Fandor demeura abasourdi, immobile, les yeux arrondis. En face de lui, au beau milieu de la pi`ece, plac'e bien en vue sur un chevalet, se trouvait un tableau.
— Mon cher Fandor, d'eclara Juve, en regardant du coin de l’oeil son ami, je vois que tu es litt'eralement ahuri en constatant la pr'esence de ce tableau chez moi.
— Vous avouerez, Juve… ?
— 'Ecoute et tu vas comprendre… Depuis que ce tableau a 'et'e si audacieusement subtilis'e `a l’Exposition de Bagatelle, j’ai fait enqu^ete sur enqu^ete et je suis arriv'e `a retrouver `a peu pr`es la fili`ere exacte du vol et de la copie. Comme tu le sais, c’est 'Erick Sunds qui est le principal acteur dans cette com'edie ing'enieuse, puisque c’est lui qui s’est charg'e de reproduire le c'el`ebre chef-d’oeuvre. 'Erick Sunds est mort, et je suis persuad'e d'esormais que, non seulement il a 'et'e l’auteur de la copie, mais encore qu’il est un des voleurs du tableau de Rembrandt.
— Un des voleurs, Juve ?
— Oui, Fandor, un des voleurs, je r'ep`ete, car – et de ceci je suis certain, d'esormais – il y a dans cette affaire plus qu’un 'Erick Sunds, il y a Fant^omas.
— Et comment avez-vous fait ?
— Donc, Fandor, sachant que Fant^omas 'etait m^el'e `a cette affaire, je me suis arm'e pour la lutte, j’ai pris de grandes pr'ecautions. Lorsque j’ai 'et'e avec toi, hier apr`es-midi, `a l’h^otel des Ventes, je t’affirmais que l’ench`ere allait monter, je me suis tromp'e, en partie, puisque la copie d’'Erick Sunds a 'et'e achet'ee seulement quinze francs, mais ce qui est int'eressant, c’est que l’acheteuse 'etait la m`ere Toulouche. Il y avait, tu t’en doutes, plus qu’une co"incidence `a ce fait que l’affreuse m'eg`ere, que nous avons si souvent eu l’occasion de rencontrer sur notre route lorsque nous poursuivions Fant^omas et sa bande, 'etait l’acheteuse du faux tableau.
— En effet, reconnut Fandor. Alors, Juve, vous avez 'et'e prendre le tableau chez elle ? Mais je ne vois pas l’int'er^et…
— Tais-toi, bavard, et 'ecoute-moi cinq minutes, tu vas comprendre. Donc, j’ai 'et'e en effet chez la Toulouche, je lui ai d'eclar'e que je d'esirais acheter ce faux P^echeur `a la ligne. Apr`es quelques h'esitations, provenant sans nul doute de la crainte que je lui inspirais, et aussi du fait que d'ej`a elle connaissait l’acheteur, ou du moins le v'eritable personnage `a qui elle r'eservait ce tableau, elle a fini par m’accorder, au prix de cinquante francs, la cro^ute d’'Erick Sunds. Bien. Je me suis absent'e, soi-disant pour aller chercher une voiture `a bras, et pendant ce temps, tu ne devines pas, Fandor, ce que j’ai fait ?
— Mais non. Comment voulez-vous que je sache, Juve ?
— Tu es idiot, mon petit. Je me suis cach'e, j’ai guett'e, et j’ai vu, non pas ce que je voulais, mais enfin… J’ai encore un atout dans mon jeu…
— Expliquez-vous, mon vieux Juve, je vous en prie ! Vous ^etes assommant avec vos discours qui ne riment `a rien.
— Merci, tu es aimable ! Enfin bref, je continue : donc j’ai vu quelqu’un entrer chez la Toulouche et emporter dans une automobile le fameux tableau que je venais d’acheter.
— Et alors, Juve, vous avez jug'e bon de chiper ce pauvre P^echeur `a la ligne dans l’auto que le chauffeur avait abandonn'ee provisoirement en face d’un bistro ?
— Tu as devin'e, Fandor.
— Mais tout cela, mon vieux Juve, c’est b^ete, et je ne comprends pas du tout pourquoi vous n’avez pas, plus simplement, achet'e ou fait acheter `a l’h^otel Drouot, la cro^ute d’'Erick Sunds. Tout cela, avouez-le, c’est toujours votre perp'etuelle manie de faire des myst`eres.