La gu?pe rouge (Красная оса)
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La m`ere Toulouche, toutefois, n’avait rien `a se reprocher.
Elle avait 'et'e condamn'ee, par les tribunaux, `a des peines assez longues, puis, suivant les usages, mise en libert'e provisoire.
La m'eg`ere se demanda un moment s’il convenait de saluer le visiteur par son nom, et de montrer `a Juve qu’elle reconnaissait en lui l’inspecteur qui, si souvent, lui avait donn'e du fil `a retordre.
Mais la m`ere Toulouche 'etait perspicace, et elle se rendait compte que, volontairement ou non, Juve ne paraissait pas se souvenir qu’il avait 'et'e jadis en relations avec elle.
Sans doute voulait-il passer aupr`es de la marchande pour un vulgaire acheteur, un amateur ordinaire. Juve venait chez elle, nullement grim'e, il semblait mettre une sorte de vanit'e `a se montrer tel qu’il 'etait r'eellement.
C’'etait bien Juve, l’inspecteur de la S^uret'e, qui entrait dans la boutique.
Il s’adressait `a elle, d’ailleurs, fort poliment :
— Madame, demanda Juve qui saluait, je suis amateur de curiosit'es, et l’on vient de me raconter que vous avez fait tout r'ecemment, cet apr`es-midi m^eme, l’acquisition d’un certain tableau, attribu'e `a Rembrandt, dont je voudrais me rendre acqu'ereur.
La m`ere Toulouche, soudain, tressaillit.
« Il veut le tableau, pensa-t-elle, bien, me voil`a propre, je ne peux pourtant pas lui dire que je l’ai d'ej`a vendu, il me demanderait `a qui et puis ca n’en finirait plus, diable, comment faire ? »
— En effet, mon bon monsieur, r'epondit-elle, j’ai achet'e un tableau, mais vous savez que je n’y connais rien, en tout cas il a de la valeur parce qu’il y a eu des histoires `a son sujet.
— Certainement, fit Juve, et combien le vendez-vous ?
— J’en demande cinq cents francs, dit la Toulouche qui esp'erait ainsi garder son tableau.
Juve ne broncha pas. La m`ere Toulouche entra^ina son visiteur dans le fond de sa boutique, elle enleva une sorte de housse qu’elle avait dispos'ee sur le tableau et le montra au policier.
Celui-ci l’examina longtemps, en connaisseur, puis, il ajouta, en regardant fixement la Toulouche, comme pour bien lui faire comprendre qu’il ne servait `a rien de faire des difficult'es et qu’il avait d'ecid'e cet achat :
— Je vous en offre trente francs.
La vieille receleuse eut alors vraiment peur, car elle se rendait compte qu’il lui 'etait impossible de refuser plus longtemps le tableau `a Juve, et elle savait bien que si le policier en avait envie, il fallait le lui laisser prendre : il est toujours mauvais de se mettre mal avec les inspecteurs de la S^uret'e.
La m`ere Toulouche, toutefois, voyant qu’elle serait vaincue, essaya au moins de soutirer un peu plus d’argent au policier :
— Non, dit-elle, mettez au moins soixante francs.
On conclut l’affaire `a cinquante, et Juve, paraissant fort press'e, quitta pr'ecipitamment la m`ere Toulouche :
— Je m’en vais l’emporter tout de suite, fit-il, le temps d’aller chercher une charrette `a bras. O`u trouverai-je `a en louer ?
La m`ere Toulouche r'efl'echit un instant :
— Remontez la rue, tournez `a droite, descendez un peu. Il y a un loueur `a l’entr'ee de la rue Berthe.
— Ca va, fit Juve. J’esp`ere que vous ne fermerez pas avant sept heures. D’ici l`a, d’ailleurs, je serai revenu prendre mon tableau.
Juve quitta la boutique de la m`ere Toulouche.
Que m'editait donc le policier ? Il avait bruyamment ferm'e la porte du magasin, et marchait au milieu de la rue, bien ostensiblement, affectant de ne point remarquer les gens qui le croisaient, et cependant les d'evisageant tous du coin de l’oeil. Pour qui connaissait bien Juve, on avait l’impression qu’il se sentait suivi, 'epi'e, et qu’il en 'etait satisfait. Que voulait-il cependant ? Et pourquoi, apr`es avoir n'eglig'e d’acheter la copie du tableau `a l’h^otel des Ventes, semblait-il d'esireux d'esormais de s’en rendre propri'etaire ? Pourquoi, apr`es s’^etre cach'e, alors qu’il 'etait `a l’h^otel Drouot, se montrait-il, se faisait-il remarquer `a Montmartre ?
Cependant, la m`ere Toulouche venait `a peine d’accompagner Juve sur le seuil de sa porte que p'en'etrait dans sa boutique une dame grande, mince, 'el'egante, mais ^ag'ee, car, bien que son visage f^ut dissimul'e sous une 'epaisse voilette, et sa t^ete coiff'ee d’un chapeau cloche, on s’apercevait qu’elle avait les cheveux blancs. Elle 'etait descendue d’une automobile somptueuse, une grande limousine qui 'etait demeur'ee arr^et'ee `a quelque distance du bric-`a-brac.
`A br^ule-pourpoint, sans se perdre en salutations pr'ealables, elle s’adressa `a la m`ere Toulouche :
— Le tableau que vous avez achet'e cet apr`es-midi, il faut me le vendre.
— Ah sapristi, cria-t-elle, c’est pas de chance, mais je viens pr'ecis'ement de l’adjuger `a un amateur.
— Voyons, ne perdons pas de temps, je suis press'ee, je vous en donne dix louis.
— C’est que, articula la m`ere Toulouche, fort embarrass'ee et ennuy'ee, c’est que je l’ai d'ej`a vendu.
La cliente ne l’entendait pas. Incapable de tenir en place, elle venait de rebrousser chemin, avait entreb^aill'e la porte de la boutique et regardait dans la rue d’un air anxieux, semblait-il. Elle revint, lut l’h'esitation de la vieille sur son visage, et crut que si la m`ere Toulouche ne se d'ecidait pas, c’'etait parce que l’offre ne lui paraissait pas assez avantageuse :
— Quinze louis, offrit-elle.
Et la m`ere Toulouche se taisant toujours, la myst'erieuse cliente, tirant de son r'eticule un billet de cinq cents francs, le glissa dans les mains de la vieille m'eg`ere en disant :
— Finissons-en.
Puis, elle alla elle-m^eme ouvrir la porte de la boutique, ordonnant `a la m`ere Toulouche :
— Portez-moi ce tableau, vite, dans l’automobile que vous voyez l`a.
— Ma foi, murmurait la m`ere Toulouche, apr`es tout, je crois qu’il serait pr'ef'erable encore de laisser prendre le tableau par cette dame plut^ot que par Juve. D’ailleurs, je pourrai toujours mieux le retrouver si le patron me le r'eclame.