La gu?pe rouge (Красная оса)
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— Enfin ! cria Juve. Enfin, t’y voil`a ! Ce n’'etait pourtant pas sorcier `a deviner, mais tu y as mis le temps. Parbleu, oui, mon petit Fandor, la copie grossi`ere et maladroite de Sunds a 'et'e peinte sur l’original lui-m^eme. Voil`a toute la v'erit'e. Le tableau n’a pas 'et'e retrouv'e, parce qu’on a cherch'e partout ailleurs que dans son cadre, qu’il n’a jamais quitt'e.
— Ca, reconnut Fandor, c’est g'enial ! C’est digne de Fant^omas !
Juve, brusquement, s’'ecarta de Fandor et alla prendre dans un placard une grande blouse blanche qu’il passa par-dessus ses v^etements, puis il gagna son cabinet de toilette et revint avec tout un attirail myst'erieux qu’il apporta sur un plateau.
Il y avait l`a une cuvette, une bouteille d’alcool, une sorte de mixture d'elay'ee dans un bol, et deux gros pinceaux. Il y avait aussi un petit grattoir en 'ecaille.
Fandor s’'etonna :
— Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda-t-il.
— Tenter une exp'erience, dit Juve.
— Qu’allez-vous faire ? demanda encore Fandor inquiet en voyant Juve prendre le tableau et l’'etaler `a plat sur une table.
— Je vais, dit le policier, nettoyer ou pour mieux dire, m’efforcer de faire dispara^itre les couches de peinture appos'ees sur cette toile par cet animal d’'Erick Sunds. De deux choses l’une : ou nous verrons appara^itre la toile elle-m^eme, et alors je me serai fourr'e dedans, je ne serai qu’un imb'ecile, ou alors nous d'ecouvrirons sous la couleur fra^iche, la peinture ancienne, le tableau v'eritable, et dans ce cas, je demande un petit bravo pour moi.
Juve ne dit plus un mot, et Fandor le regarda faire.
— Vous avez donc 'et'e de la partie autrefois ? demanda-t-il en voyant le policier manier avec dext'erit'e les divers ingr'edients dont il allait se servir.
— Pas tout `a fait, d'eclara celui-ci, mais j’ai suivi jadis des proc`es intent'es `a des peintres truqueurs de Montparnasse qui fabriquaient de fausses oeuvres du XVIIIe si`ecle. Il est en outre connu de tout le monde qu’`a maintes reprises, on a superpos'e des peintures sur des tableaux existants. Est-ce l`a le cas, comme je le suppose ? Nous n’allons pas tarder `a le savoir.
D'esormais, dans un coin du tableau, sur une surface d’un centim`etre carr'e environ, Juve, avec une brosse dure mettait ce qu’il appelait
— C’est un compos'e, dit-il `a Fandor, de potasse, d’essence et d’eau, cela nous sert `a d'esagr'eger la peinture fra^iche. Celle-ci est bien plus facile `a d'elayer que la peinture ancienne, nous en aurons donc raison avant d’avoir attaqu'e l’oeuvre de Rembrandt si, comme je l’esp`ere, celle-ci existe en dessous.
Tout en parlant, Juve proc'edait fort habilement.
Son d'ecapant avait fait rouler la peinture fra^iche et d'esormais, Juve, prenant mille pr'ecautions pour ne pas appuyer trop fort, frottait l'eg`erement la toile avec son petit grattoir.
— Ah, s’'ecriait-il, je crois que nous sommes bons !
Il se rejeta en arri`ere, son visage 'etait illumin'e de joie.
Juve alla prendre sur son bureau une grosse loupe et examina d'esormais longuement le petit coin de la toile qu’il venait de gratter.
— Victoire, cria-t-il enfin, ca y est, le voil`a ! Je retrouve l’original de Rembrandt sous la copie d’'Erick Sunds.
Et il passa la loupe au journaliste qui, vivement int'eress'e, regarda `a son tour. Pas de doute.
Le verre grossissant permettait nettement de reconna^itre la diff'erence existant entre les deux couches de peinture. La premi`ere 'etait brillante, vive, peu consistante aussi semblait-il. Quant `a la seconde, elle pr'esentait nettement cette teinte noircie que donne la patine du temps, on la sentait aussi plus r'esistante, plus robuste, plus dess'ech'ee.
Il y avait surtout, enfin, cette finesse de touche, cette puissance, qui caract'erisait la qualit'e du ma^itre.
Le raisonnement de Juve recevait sa cons'ecration et sa logique n’'etait point prise en d'efaut, tout au contraire. C’'etait bien sous la grossi`ere copie d’'Erick Sunds que se dissimulait l’oeuvre authentique du v'eritable P^echeur `a la ligne de Rembrandt.
— Bravo, Juve ! s’'ecria Fandor qui chaleureusement alla serrer les mains de son ami.
Mais, `a ce moment, la porte du cabinet de travail de Juve s’entrouvrit et Jean, le vieux domestique, apparut :
— C’est M. Paquerett, dit-il, qui veut vous parler.
— Ah, c’est vrai, s’'ecria Fandor, j’avais oubli'e de vous pr'evenir de sa visite qu’il m’avait annonc'ee. Je lui avais conseill'e, cette nuit, de venir vous raconter l’affaire du m'ecanicien et du tableau vol'e.
— Qu’il entre donc, s’'ecria Juve, il arrive `a point.
M. Paquerett en entrant dans la pi`ece, s’arr^eta p'etrifi'e sur le seuil.
Ce n’'etait pas de voir Juve rev^etu d’une grande blouse blanche qui l’'etonnait, car il savait que Juve avait l’habitude de perp'etuels d'eguisements, mais ce qui ahurissait ce bon commissaire c’'etait de trouver chez l’inspecteur de la S^uret'e ce fameux tableau dont tout Paris avait parl'e quelques jours auparavant, et aux aventures duquel il avait 'et'e m^el'e lui-m^eme la nuit pr'ec'edente.
— Ah par exemple, Juve, s’'ecria-t-il, c’est vous qui avez entre les mains…
Il s’arr^eta, s’approcha du tableau puis, achevant sa pens'ee, il affirma :
— La copie du Rembrandt.
— Non, d'eclara Juve, avec un sourire railleur, ce n’est pas la copie, c’est l’original, ou pour mieux dire, si vous voulez, j’ai fait coup double, puisque je poss`ede l’un et l’autre.
Le commissaire ouvrit des yeux perplexes, ce qui sembla amuser Juve infiniment.
Mais Fandor eut piti'e de ce pauvre M. Paquerett et, en deux mots, lui expliqua l’extraordinaire d'ecouverte de Juve et l’habilet'e dont il avait fait preuve pour d'ecouvrir l’original sous la copie.
Juve, `a son tour, s’excusa aupr`es du commissaire de la mauvaise nuit qu’il lui avait fait passer.
— Car, conclut-il, l’homme qui a momentan'ement d'erob'e l’automobile et d'efinitivement vol'e le tableau, n’est autre que moi.
Et le policier conclut, affectant une attitude honteuse :
— J’ai avou'e, monsieur le Commissaire, vous pouvez si vous le voulez, proc'eder `a mon arrestation.
Mais M. Paquerett partit d’un gros 'eclat de rire :
— Ah, d'ecid'ement, Juve, fit-il, vous serez toujours le plus extraordinaire bonhomme que j’aurai connu !