La gu?pe rouge (Красная оса)
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— Tu vas voir que ca va monter, tu vas voir la hausse !
— Treize francs, fit le journaliste qui, par mani`ere de plaisanterie, y alla lui aussi de son ench`ere.
Mais, `a sa grande surprise, Juve lui avait serr'e le bras nerveusement. Le policier grognait :
— Tais-toi donc, imb'ecile, tu vas faire tout manquer ! Si jamais le tableau te reste sur les bras, tout est perdu.
Interloqu'e, Fandor regrettait de s’^etre ainsi avanc'e, bien qu’il n’e^ut pas compris pourquoi Juve redoutait d'esormais de le voir garder ce tableau au prix de treize francs, alors que l’instant pr'ec'edent, le policier supposait qu’il allait monter tr`es haut.
Leurs appr'ehensions, toutefois, furent calm'ees par ce fait que, d’une voix cass'ee, 'eraill'ee, une femme qui, jusqu’alors, ne s’'etait pas encore manifest'ee, surench'erissait aussi :
— Je mets quinze francs, dit-elle.
— Quinze francs, r'ep'eta le commissaire-priseur, une fois… deux fois… Voyons, messieurs, mesdames, l’affaire en vaut la peine, c’est pour rien.
L’aboyeur r'ep'eta :
— Quinze francs, il y a un amateur `a quinze francs !
Puis ce fut le silence. Alors, retentit un coup sec, le marteau du commissaire-priseur retomba sur la table, l’affaire 'etait trait'ee. La copie du Rembrandt 'etait adjug'ee. `A quinze francs.
Qui donc s’'etait port'e acqu'ereur ?
Il y eut un remous dans la foule, on se pr'ecipitait pour voir la personne qui cherchait `a se frayer un passage, dans les rangs du public, pour donner son nom et son adresse, et r'egler en m^eme temps son achat.
Cependant que Juve hochait la t^ete, d’un air myst'erieux mais satisfait, Fandor 'etouffait une exclamation de surprise. Il connaissait la personne qui, d'esormais, 'etait propri'etaire du faux tableau ex'ecut'e par 'Erick Sunds : c’'etait la m`ere Toulouche.
Depuis quelques mois, la sordide m'eg`ere avait repris son ancien m'etier. Fandor savait qu’elle tenait un bric-`a-brac, au haut de la rue Lepic, et qu’elle 'etait m^el'ee `a tout ce monde interlope et bizarre de rapins sans travail, de chineurs, aux fr'equentes absences, de fabricants de faux objets d’art. Il regarda Juve d’un air interrogateur.
Le policier souriait :
— Ca va tr`es bien, murmura-t-il, tr`es bien… nous sommes sur la bonne piste !
La m`ere Toulouche, toutefois, avait donn'e une pi`ece de vingt francs pour r'egler son acquisition. On lui rendit la monnaie et, conduite par l’un des secr'etaires du commissaire-priseur, elle passa dans une pi`ece voisine o`u on allait lui donner livraison de son acquisition.
Le gros int'er^et de la vente avait disparu, et la salle se vida aux deux tiers, cependant que le commissaire, impassible, continuait `a d'etailler les lots qui restaient `a vendre.
Juve et Fandor 'etaient sortis. Ils se retrouv`erent rue Drouot. Juve entra^ina son ami :
— Allons chez toi, rue Richer, fit-il. Il est bon de nous d'ebarbouiller et d’enlever ces grossiers maquillages qui pouvaient passer inapercus dans la p'enombre de l’h^otel des Ventes, mais qui nous feraient remarquer dans la pleine lumi`ere du jour.
Et lorsque les deux hommes furent install'es dans le petit appartement de Fandor, ce dernier demanda `a son ami :
— Enfin, Juve, m’expliquerez-vous pourquoi, apr`es vous ^etre attendu a voir ce tableau se vendre tr`es cher, ce qui semblait vous plaire, vous avez eu l’air tr`es content lorsque vous avez constat'e qu’il 'etait vendu fort bon march'e ?
— Cela prouve que j’ai un excellent caract`ere, et que je suis toujours heureux des 'ev'enements qui se produisent.
— Parfait, dit Fandor, mais encore ?
Juve redevint s'erieux :
— Eh bien voil`a, dit-il. J’estime que mes affaires vont tr`es bien. Je suis s^ur d’^etre sur une bonne piste. En r'ealit'e, j’avais peur de voir ce tableau filer dans les mains d’un amateur. Or, il reste dans le
— Juve, je vous comprends de moins en moins.
— C’est pourtant bien simple. Je t’ai dit que j’avais une id'ee, une id'ee que tu trouverais folle, extraordinaire, invraisemblable, si je te la communiquais tout de suite ; mais tu la trouveras peut-^etre excellente un peu plus tard, lorsque je te l’expliquerai en d'etail. Toujours est-il que, pour le moment, j’estime que les vrais acheteurs du tableau n’ont pas os'e se manifester `a l’h^otel des Ventes. Il leur aurait d'eplu que l’on sache qu’ils s’en 'etaient rendus acqu'ereurs, et maintenant que cette fameuse cro^ute est tomb'ee entre les mains de la m`ere Toulouche, et que l’on peut se la procurer chez elle, tout en b'en'eficiant de l’anonymat, tu vas voir les amateurs se pr'esenter, et quels amateurs !
— Nous verrons, fit le journaliste qui, un peu sceptique, allumait une cigarette et interrogeait :
— Qu’allons-nous faire ?
Juve consulta sa montre.
— Attendre tranquillement chez toi. La vente se termine `a quatre heures, le tableau que vient d’acheter la m`ere Toulouche sera chez elle vers six heures du soir, probablement. `A six heures cinq, je serai dans le bric-`a-brac de la vieille femme et je lui ferai les propositions les plus honn^etes en vue d’acqu'erir cette oeuvre.
— Vous, Juve ?
— Moi, Juve, r'epliqua le policier, et je te prie de croire qu’en m’adressant `a la m`ere Toulouche, je ferai tout mon possible…
— Pour dissimuler votre identit'e ?
— Pas le moins du monde, dit Juve, je ferai tout mon possible, au contraire, pour bien me faire reconna^itre d’elle.
***
Il 'etait six heures cinq. Quelqu’un entra dans la boutique de la m`ere Toulouche, c’'etait Juve.
La vieille m'eg`ere sursauta : elle reconnaissait fort bien l’inspecteur de la S^uret'e, auquel elle avait eu si souvent affaire quelques ann'ees auparavant.