La gu?pe rouge (Красная оса)
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La m`ere Toulouche souleva, non sans difficult'e et pr'ecaution, le tableau, qui semblait la pr'eoccuper terriblement. `A plusieurs reprises, elle murmurait :
— Pourvu que l’autre n’arrive pas maintenant, ca serait le comble.
La dame, cependant, suivait la vieille d’un air agit'e, nerveux, et elle murmurait presque `a haute voix :
— Il le voulait `a toute force, je l’ai su. Je le sais. J’en suis s^ure. Le meilleur moyen pour l’attirer `a moi, c’'etait, en effet, de l’acheter et de l’emporter. Mais comment lui faire savoir que j’en suis d'esormais la propri'etaire, et o`u se trouve le tableau ?
La myst'erieuse femme aux cheveux blancs qui monologuait ainsi sourit cependant :
— Ah une id'ee, fit-elle.
Le tableau venait d’^etre install'e dans l’automobile qui l’attendait. La m`ere Toulouche se trouvait pr`es de la voiture. Elle dit `a haute voix au m'ecanicien, de facon `a ^etre bien entendue par la bonne femme qui venait de lui vendre ce tableau :
— Vous allez, d'eclara-t-elle, transporter ce tableau chez moi, dans ma maison de Ville-d’Avray, quarante-sept avenue des Peupliers.
Le m'ecanicien acquiesca et mit sa voiture en route.
La dame aux cheveux blancs, cependant, ne monta pas dans le v'ehicule, mais descendit la rue Lepic `a grands pas, tandis que la m`ere Toulouche regagnait son magasin.
— Je vais me faire engueuler de la belle facon, pensa la m'eg`ere, lorsque Juve reviendra, et surtout lorsque le patron me r'eclamera ce tableau auquel il avait l’air de tenir.
Entr'ee dans son magasin, elle regarda l’heure :
— Sept heures moins vingt, fit-elle, Juve ne peut plus tarder.
La m`ere Toulouche semblait tr`es inqui`ete de ce qu’elle venait de faire l`a, elle avait agi dans un affolement subit. Il semblait que la m'eg`ere voul^ut 'eviter `a toute force de voir le faux P^echeur `a la ligne entre les mains de Juve.
Tout `a coup, la porte de la boutique s’ouvrit brusquement :
« Ca y est, c’est Juve », pensa la m`ere Toulouche.
Elle se retourna, poussa un cri de surprise.
— Ah par exemple !
C’'etait un inconnu qui p'en'etrait dans le magasin. Mais un inconnu qui s’introduisait avec les facons autoritaires, la mani`ere brusque que la m`ere Toulouche connaissait, un inconnu qui avait sur le visage une barbe assur'ement postiche, et qui dissimulait son regard derri`ere des lunettes bleues.
La m`ere Toulouche tressaillit en l’apercevant. Elle allait prononcer un nom, son interlocuteur l’en emp^echa :
— Tais-toi, la vieille, ordonna-t-il, je sais que tu m’as reconnu, ca m’est 'egal. En effet, c’est Fant^omas qui te parle. 'Ecoute, tu as bien achet'e, comme je te l’avais dit, cet apr`es-midi, le tableau d’'Erick Sunds. Donne-le-moi, il me le faut.
La m`ere Toulouche leva les mains au ciel :
— Ah nom de Dieu de bon Dieu, cria-t-elle, j’ai jamais eu tant de clients `a la fois, dans mon commerce ! Qu’est-ce qu’ils ont donc tous, `a le vouloir ce tableau-l`a ? Je commence `a croire qu’il vaut peut-^etre plus cher que les vingt-cinq louis que j’ai touch'es.
Et elle dit `a Fant^omas, l’air narquois :
— Trop tard, mon vieux ! L’affaire est balanc'ee depuis tout `a l’heure.
Mais le Roi du Crime ne semblait gu`ere go^uter cette plaisanterie. Il prit la vieille par le bras, la secoua rudement :
— Assez de blague, la m`ere Toulouche, je n’aime pas qu’on se paie ma t^ete. O`u est ce tableau ?
La vieille p^alit. Elle savait qu’il ne fallait pas affronter les col`eres de Fant^omas et elle lui donna la r'eplique de l’accent le plus sinc`ere :
— Je te le jure, Fant^omas, il est vendu. Vendu depuis dix minutes.
Le bandit avait regard'e autour de lui, dans la boutique, il n’y voyait pas, en effet, le tableau.
Fant^omas serra le poing, grinca des dents. Il se dominait cependant :
— `A qui, vendu ? demanda-t-il.
« Ma foi, songeait la m`ere Toulouche, autant lui dire la v'erit'e. »
Elle le mit au courant et lui indiqua pour finir :
— Elle demeure `a Ville-d’Avray, quarante-sept avenue des Peupliers.
Si l’annonce que Juve avait voulu se rendre propri'etaire du tableau surprenait Fant^omas, la derni`ere d'eclaration de la m`ere Toulouche l’impressionnait singuli`erement.
Le bandit, en effet, 'etait devenu tout p^ale et la m`ere Toulouche vit les traits de son visage se contracter sous sa barbe postiche. Apr`es avoir h'esit'e un instant, Fant^omas, brusquement, bondit hors de la boutique, sans prononcer une parole.
— Bon sang de bon Dieu, grogna la m`ere Toulouche, il me semble que depuis une heure, je ne vois que des fous autour de moi.
Et elle ajouta :
— J’en ai assez pour ce soir, je ferme ma bo^ite.
Il 'etait sept heures moins le quart. La m'eg`ere avait bien promis `a Juve de l’attendre jusqu’`a sept heures, mais elle ne tenait gu`ere `a revoir le policier, et, en outre, elle n’avait plus besoin de l’attendre, puisque le tableau 'etait parti.
La m`ere Toulouche ferma son magasin.
***
`A Ville-d’Avray, cependant, le silence absolu r'egnait, l’obscurit'e 'etait profonde, on n’entendait que le souffle du vent se jouant dans les arbres. De distance en distance, quelques mauvais r'everb`eres 'eclairaient mal leur voisinage imm'ediat.
Les avenues 'etaient d'esertes, nul n’y passait.
Vers dix heures, `a l’entr'ee de l’all'ee des Peupliers, une silhouette se profila. Un homme s’avancait avec pr'ecaution, semblait-il, longeant les grilles et les jardins, les haies 'epaisses s'eparant de l’avenue les propri'et'es.
Cet homme 'etait envelopp'e dans une sorte de grand manteau noir et son visage se dissimulait sous un chapeau de feutre sombre, aux grands bords rabattus.
L’homme s’avanca lentement, contourna la villa des Keyrolles, puis s’arr^eta `a la grille toujours entreb^aill'ee de la maison abandonn'ee.