La gu?pe rouge (Красная оса)
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— Laisse donc Juve, disait-il, tu vas avoir des histoires.
Bouzille 'etait en col`ere.
L’in'enarrable chemineau qui ne semblait d’ailleurs pas appr'ecier la gravit'e de la minute, eut peur pourtant, tout d’un coup, effroyablement peur en apercevant le visage contract'e de Fant^omas qui se retournant, fou de rage, bondissait vers lui.
— Bouzille, disait le bandit, tu vas me payer cher cette intervention-l`a !
Le poignard de Fant^omas se leva de nouveau. Il allait frapper le chemineau au coeur, Bouzille 'etait perdu… Et tout cela se passait si vite, que nul n’avait le temps d’intervenir. M. Charles, debout derri`ere son bureau, s’'egosillait en vain :
— Arr^etez-le ! Arr^etez-le !
L’huissier, pris de peur, s’'etait enfui. Me Faramont hurlait :
Juve, se relevant sur le plancher, vit Bouzille perdu, il comprit que celui qui venait de le sauver, en somme, allait immanquablement avoir la poitrine trou'ee.
Il n’y avait plus rien `a faire. Sauver Bouzille, c’'etait impossible. Ce fut l’impossible que Juve tenta.
— `A nous deux, Fant^omas ! cria-t-il.
Et aussi vite que l’avait fait le bandit, Juve, sans prendre le temps de se relever, saisissait sur la table le c'el`ebre tableau, cause de tout le d'ebat, et l’empoignant par le cadre, au hasard, en assenait un coup formidable sur le cr^ane de Fant^omas.
Le bandit n’avait point pr'evu cette agression. Son bras d'evia, il toucha Bouzille, mais ne l’atteignit pas de son poignard. Le chemineau tomba `a son tour, Fant^omas se retourna. Juve 'etait devant lui. Juve terrifi'e, Juve consid'erant le malheureux tableau `a demi d'echir'e par le coup qu’il venait de porter.
— Juve, hurla encore Fant^omas, Juve, nous nous retrouverons !
Fant^omas, alors, fit mine de bondir sur le policier, mais tandis que Juve se ramassait sur lui-m^eme, pr^et `a une derni`ere lutte, Fant^omas sautait de c^ot'e, par m'echancet'e, sans but, il crevait au passage, avec son poignard, la toile c'el`ebre qu’il lac'erait, r'eduisait en morceaux irr'eparables, puis il bondit par-dessus le bureau du pr'esident.
D’un coup de poing, Fant^omas assomma le malheureux magistrat. Nul n’'etait encore revenu de la surprise que Fant^omas, d'ej`a, avait eu le temps d’ouvrir la porte de la chambre de conseil, qu’il s’'etait enfui, qu’il avait disparu.
Bouzille, alors, se releva.
— Eh bien, d'eclarait tranquillement le chemineau, c’est tout de m^eme gentil ce qu’il a fait l`a, Juve. Il a crev'e un tableau de cinq cent mille francs pour me sauver la vie. Je vaux cher tout de m^eme. Ca, c’est d’un fr`ere. C’est pas comme cet idiot de pr'esident et cet imb'ecile d’huissier.
***
Une heure plus tard, comme l’'emotion se calmait au Palais de Justice, comme on perdait d'efinitivement l’espoir de retrouver Fant^omas, `a la sourici`ere, on 'ecrouait Bouzille.
Le pauvre diable avait 'et'e si joyeux d’^etre sauv'e au prix d’un tableau de cinq cent mille francs qu’il en avait profit'e pour prononcer de sottes injures `a l’adresse de la magistrature tout enti`ere.
On 'etait fort nerveux au Palais de Justice ce jour-l`a, Bouzille en supporta les cons'equences. On le coffra purement et simplement. Mais cela ne le troublait gu`ere, car l’hiver approchait.
25 – LES JUSTICIERS
— Vous pleurez ?
Cette interrogation 'etait formul'ee par H'el`ene. La fille de Fant^omas 'etait en face de son p`ere, debout devant le sinistre bandit, lequel 'etait effondr'e dans une berg`ere tandis que de grosses larmes lui coulaient sur les joues.
Il pouvait ^etre dix heures du soir. Le p`ere tragique et la fille myst'erieuse se retrouvaient face `a face dans cet h^otel somptueux de l’avenue Malakoff o`u le bandit s’'etait install'e avec l’argent qu’il avait vol'e si audacieusement au b^atonnier Henri Faramont.
C’'etait l`a le repaire actuel de Fant^omas. Mais il semblait que le bandit pr^it encore moins de pr'ecautions qu’auparavant.
Il s’enhardissait de plus en plus et ne se g^enait en aucune facon pour aller et venir, lui et sa bande, autour de cet h^otel.
Fant^omas, en coup de force, avait obtenu que sa fille v^int loger, chez lui. H'el`ene, provisoirement, avait accept'e cette hospitalit'e. Elle y avait 'et'e contrainte pour ainsi dire, lorsque, apr`es s’^etre enfuie de chez 'Erick Sunds, elle s’'etait trouv'ee sans g^ite et sans argent.
H'el`ene 'etait donc avenue Malakoff et lorsqu’elle avait voulu enfin s’enfuir de chez son p`ere, coup sur coup, 'etaient survenus la mort du Danois, et enfin le dernier crime de Fant^omas, le plus audacieux, le plus t'em'eraire, la lac'eration du tableau de Rembrandt au Palais de Justice.
Le regard dur, le sourcil fronc'e, H'el`ene regardait son p`ere, sombrement.
Fant^omas paraissait ravag'e par la douleur et l’'emotion. La jeune fille se rendait bien compte, encore qu’elle ne le v^it que rarement en t^ete `a t^ete, que le g'enial bandit 'etait vraiment beau.
H'el`ene ne pouvait s’emp^echer de l’observer avec admiration et 'epouvante `a la fois. Il 'etait, malgr'e tout, superbe `a voir avec son visage 'energique, sa robuste carrure, son expression intelligente et volontaire et H'el`ene se prenait `a avoir une sorte d’admiration superstitieuse pour un tel homme.
Mais si, par moments, elle se laissait aller `a ces sentiments, il lui suffisait de regarder les mains de Fant^omas, blanches, soign'ees, d'elicates, distingu'ees, pour sentir aussit^ot une insurmontable r'epulsion, une v'eritable horreur monter en elle. H'el`ene ne pouvait oublier en effet que ces mains-l`a avaient sem'e le deuil et la mort autour d’elles. Ces mains-l`a c’'etaient les instruments du Crime. C’'etaient elles qui, impitoyables, ob'eissant `a la volont'e farouche du monstre, faisaient partir les coups de feu ou serraient les cordes destin'ees `a 'etrangler.