La main coup?e (Отрезанная рука)
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— Vous le voyez bien, madame H'eberlauf, j’arrange le rideau de cette fen^etre…
— C’est bien long en tout cas, voil`a plus d’une demi-heure que je vous cherche.
Cependant que M. H'eberlauf, de plus en plus troubl'e, balbutiait de vagues excuses, sa femme traversait rapidement la pi`ece `a l’entr'ee de laquelle elle venait d’appara^itre. Elle allait `a la fen^etre, directement, et repoussant son mari d’un geste brusque, elle souleva le brise-bise, puis colla son oeil `a la vitre afin de savoir si derri`ere ce rideau il ne se passait point quelque chose de nature `a attirer l’attention de M. H'eberlauf.
`A peine e^ut-elle regard'e, que M meH'eberlauf poussa un cri de d'epit. Elle venait d’apercevoir ce qui retenait son mari : derri`ere la baie vitr'ee de la villa d’en face, le profil net et pur d’une charmante jeune femme aux cheveux noirs de Chine et au teint bronz'e.
Cette jeune femme, rev^etue d’un 'el'egant d'eshabill'e d’int'erieur qui d'ecouvrait tant soi peu ses 'epaules et sa nuque, portait au corsage un gros bouquet de fleurs rouges, et de sa main 'el'egante et distingu'ee, elle s’'eventait d’un large 'eventail enrichi de pierreries. Ses l`evres d'elicates pressaient une fine et longue cigarette dont la fumeuse aspirait de lentes et voluptueuses bouff'ees. C’'etait une danseuse espagnole fort connue `a Monte-Carlo pour la facon dont elle interpr'etait le
La Conchita Conchas, tel 'etait le nom de la belle, ne semblait pr^eter aucune attention aux regards indiscrets et peu sympathiques que lui lancait M meH'eberlauf, dissimul'ee derri`ere son rideau. Mais la grosse dame n’'etait pas dupe de cette feinte indiff'erence.
Depuis quelques jours d'ej`a son coeur d’'epouse avait 'eprouv'e quelques angoisses, car elle soupconnait M. H'eberlauf d’^etre en train d’'ebaucher des relations qui ne pouvaient que devenir coupables avec la danseuse dont la s'eduction s’exercait sur tous les 'el'egants de Monaco lorsqu’elle apparaissait entre dix et onze heures sur la sc`ene du Casino.
Avec un air courrouc'e, M meH'eberlauf se retourna vers son mari.
— Restez ici, monsieur H'eberlauf, ordonna la grosse femme, et expliquez-moi donc une bonne fois comment il se fait que vous soyez toujours `a la fen^etre lorsque cette affreuse Espagnole est camp'ee devant la sienne, et fait des mines de coquette `a son balcon.
M. H'eberlauf haussa les 'epaules :
— Pure co"incidence sans doute, d'eclara-t-il, je vous assure, madame H'eberlauf, que je ne m’'etais m^eme pas apercu de la pr'esence de cette… personne.
— Ouais, fit M meH'eberlauf, vous ^etes bien trop hypocrite pour l’avouer…
Et comme son mari ne disait mot, elle ajouta :
— Je vous pr'eviens, d’ailleurs, que si vous entretenez la moindre relation avec la danseuse d’en face, et cela je le saurai, car je ne suis pas pour rien un ancien chef de la police, vous aurez sur les doigts. D’abord, nous quitterons le pays imm'ediatement.
— Quitter le pays, s’'ecria M. H'eberlauf, ce serait v'eritablement de la folie. Depuis que le sort aveugle nous a injustement frapp'es, nous n’avons jamais v'ecu d’heures aussi calmes et aussi fortun'ees qu’en ce moment pr'esent.
M meH'eberlauf, malgr'e son courroux et sa mauvaise humeur ne put s’emp^echer d’approuver d’un l'eger hochement de t^ete.
… Qu’'etait-ce donc que les H'eberlauf ?
C’'etait un couple 'etrange et quelque peu d'eplac'e, semblait-il, dans ce milieu 'el'egant, riche et aristocratique qui constitue la client`ele habituelle du pays avoisinant le rocher mon'egasque.
M. H'eberlauf pouvait avoir une cinquantaine d’ann'ees, il affectait une allure de pasteur protestant et sa femme, plus jeune `a peine, de cinq ou six ans, pr'esentait l’aspect d’une bourgeoise bonne et digne.
Curieuse destin'ee que celle des H'eberlauf.
M. H'eberlauf, il y avait quelque trente ans, avait d'ebut'e en qualit'e de pasteur. Il avait rencontr'e dans sa paroisse une fille de petits n'egociants qu’il avait 'epous'ee.
Gr^ace `a l’ing'enieuse activit'e de sa femme, le pasteur quitta rapidement le village o`u il exercait son minist`ere et vint `a Glotzbourg, `a la Cour de Hesse-Weimar. Obtenant peu `a peu les bonnes gr^aces du roi Frederick-Christian II, il finit par entrer dans la police secr`ete et `a devenir directeur de la S^uret'e du Royaume.
M. H'eberlauf portait le titre, mais c’'etait en r'ealit'e M meH'eberlauf qui exercait les fonctions. Un jour, ce mari voulut agir par lui-m^eme, mais, malheureusement, il commit de telles erreurs qu’on lui imposa sa d'emission et qu’il dut quitter le pays en toute h^ate.
Les H'eberlauf, tr`es d'esempar'es, coururent alors le monde, err`erent de Berlin `a Londres, de Londres `a Paris.
Ils s’arr^et`erent `a Monaco et, s'eduits par le charme de la Cote d’Azur, d'esireux de s’y fixer d'efinitivement, ils y ouvrirent une pension de famille.
La pension 'etait ouverte d'ej`a depuis deux mois, et les H'eberlauf avaient une pensionnaire.
C’'etait une jeune fille 'el'egante, blonde, aux grands yeux myst'erieux et r^eveurs. Elle paraissait une vingtaine d’ann'ees au plus et si elle n’avait parl'e le francais avec l’accent le plus pur, on l’aurait volontiers prise pour une Am'ericaine. Cette jeune fille semblait riche, elle poss'edait de nombreux bagages en arrivant chez les H'eberlauf et, depuis qu’elle s’'etait install'ee, c’'etaient des toilettes `a n’en plus finir, toutes plus charmantes les unes que les autres, qu’elle faisait d'efiler sous les yeux ahuris du couple qui la logeait. D’o`u venait-elle ? Quel 'etait son nom ? Les H'eberlauf l’ignoraient. La jeune fille s’'etait inscrite sous le nom de Denise.
M lleDenise.
C’'etait tout ce que l’on savait d’elle. Elle 'ecrivait peu, elle ne recevait jamais de lettres.
N'eanmoins, la conduite, les apparences de la pensionnaire des H'eberlauf n’'etaient nullement 'equivoques. Cette jeune fille aux allures hardies, aux gestes d'elib'er'es, semblait parfaitement honn^ete et correcte.
Elle 'etait m^eme hautaine et l’on sentait, rien qu’`a son regard, rien qu’`a son attitude, que quiconque lui aurait manqu'e de respect se serait fait mal recevoir.