La main coup?e (Отрезанная рука)
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Le visage de l’officier subitement se d'ecomposa :
— Vous savez ? Que savez-vous donc ? Que sait-on ?
— Nul n’ignore qu’hier au soir vous avez fait, mon cher ami, de grosses pertes `a la roulette. Ce n’est pas s'erieux et vous avez tort de jouer ainsi. Je vous assure bien qu’`a votre place…
— Inutile, je vous en prie, mademoiselle, c’est inutile de continuer, vous me retournez le poignard dans le coeur. La b^etise est faite, nulle puissance au monde ne pourrait arr^eter la marche des 'ev'enements. Le pass'e est le pass'e, ne parlons plus de cela, je vous en supplie.
Surprise par cette apostrophe, Denise toute d'econtenanc'ee, consid'era l’officier.
Celui-ci, ab^im'e dans ses pens'ees, arpentait `a grands pas l’all'ee d'eserte dans laquelle il s’'etait engag'e avec la jeune fille et ne paraissait point remarquer l’examen attentif dont il 'etait l’objet.
Denise demeurait silencieuse ; son regard ne quittait point l’officier et fixait son visage avec une acuit'e singuli`ere.
La belle Denise 'etait-elle 'eprise du robuste commandant du cuirass'e russe ? Bien habile aurait 'et'e celui qui aurait pu dire quel 'etait le sentiment qui animait alors la jeune fille : amour, compassion, int'er^et, amiti'e ?
Le regard de plus en plus 'etrange de Denise s’appesantissait de plus en plus sur l’officier russe et celui-ci, comme pour fuir cette interrogation muette, baissa les paupi`eres, courba la t^ete, tourna le dos.
***
Quelques instants plus tard, ce couple 'enigmatique, 'egar'e un instant dans l’all'ee d'eserte, avait rejoint la tonnelle o`u les autres familiers de la pension H'eberlauf savouraient avec d'elices l’excellente tasse de th'e destin'ee `a les remettre des fatigues qu’ils n’avaient point 'eprouv'ees en jouant au tennis, car la plupart d’entre eux s’'etaient compl`etement abstenus de toucher une raquette.
M meH'eberlauf, conform'ement `a l’usage qu’elle voulait implanter chez elle, 'etait descendue apr`es avoir fait toilette et, par'ee comme une ch^asse, sangl'ee dans une robe trop 'etroite, elle pr'esidait au five o’clock avec importance et bonhomie, tenant le d'e d’une conversation banale avec une solennit'e de perruche, cependant que nul ne l’'ecoutait, que les rires fusaient, furtifs et amus'es, car on apercevait `a la fen^etre de la maison voisine la silhouette 'el'egante de la Conchita Conchas d'ecid'ement en frais pour s'eduire l’aust`ere M. Herberlauf dissimul'e derri`ere le rideau.
Seul le commandant Ivan Ivanovitch, profond'ement soucieux, sombre, perdu dans un r^eve qui, peut-^etre, 'etait un cauchemar, ne remarquait rien, ne r'epondait rien, se contentant de temps `a autre de jeter sur sa montre de discrets coups d’oeil et de constater la marche inexorable des aiguilles de celle-ci.
3 – LA
Ivan Ivanovitch traversa rapidement les salons du Casino, brillamment illumin'es et regorgeant de monde.
D'ej`a les tables de trente et quarante, la roulette, 'etaient assaillies. Et dans les pi`eces voisines on pr'eparait un grand bal que l’administration du Casino donnait en l’honneur d’une haute personnalit'e 'etrang`ere de passage `a Monaco.
Sans se pr'eoccuper de ces pr'eparatifs, sans jeter un seul regard dans la direction des roulettes, dont le bruit monotone et saccad'e se corsait de temps `a autre du bruissement l'eger et doux des piles d’or glissant sur le tapis, Ivan Ivanovitch 'etait all'e jusqu’`a l’extr'emit'e de la galerie donnant sur les jardins, derri`ere lesquels, en contrebas, se trouvait la mer, la mer infinie qui se profilait au lointain sous un ciel pur 'etoil'e.
C’'etait, `a l’ouest, la c^ote dentel'ee, escarp'ee aussi, et sur laquelle passait par intermittences, comme une caresse lumineuse, le pinceau brillant du phare tournant `a 'eclipse.
En face, les petites lumi`eres clignotantes des barques du port, puis plus loin, `a quatre ou cinq kilom`etres de la c^ote, se silhouettait dans la p'enombre la masse imposante et quelque peu th'e^atrale d’un superbe cuirass'e, le Skobeleff.
Ivan Ivanovitch semblait pourtant parfaitement insensible `a l’attraction troublante exerc'ee par ce merveilleux pays, dont la s'eduction s’impose sans interruption du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au matin.
Apr`es avoir pris le th'e `a la pension de famille H'eberlauf, Ivan Ivanovitch 'etait rentr'e, non pas `a bord de son navire, mais `a l’ Imp'erial Palaceo`u il avait une chambre retenue. L’officier avait fait toilette, d^in'e lentement et sans app'etit, puis, machinalement, il s’'etait rendu au Casino o`u il avait p'en'etr'e vers dix heures.
Il 'etait tellement plong'e dans ses r'eflexions, et il semblait consid'erer avec une insistance si particuli`ere les flancs du Skobeleffqui se profilait au loin, qu’il ne s’apercut pas de l’approche soudaine du vieux diplomate Paraday-Paradou.
Celui-ci, tir'e `a quatre 'epingles, comme `a son ordinaire, la moustache conqu'erante, fris'ee au petit fer, et les cheveux minutieusement align'es autour d’un cr^ane quelque peu d'egarni, frappa sur l’'epaule du robuste officier.
— H'e, mon cher. Commandant, vous paraissez bien pr'eoccup'e, bien soucieux ce soir. On dit que les Russes sont des mat'erialistes, j’imagine au contraire que vous avez l’^ame d’un Slave enclin au recueillement.
— Peu importe, r'epondit durement Ivan Ivanovitch, l’essentiel c’est que j’ai l’^ame d’un sauvage et d’un rustre de la steppe.
Paraday-Paradou regarda curieusement l’officier dont l’aspect ext'erieur ne trahissait en rien la sauvagerie qu’il s’attribuait.
— Vous m’avez tout l’air, d'eclarait-il encore aimablement, d’un Parisien des plus raffin'es, mais ce qui me surprend le plus, c’est de vous voir si sombre dans un pays o`u tout sourit `a l’Homme.
— Jusqu’au jour, poursuivit farouchement Ivan Ivanovitch, o`u survient le cataclysme. Et lorsque des malheurs s’abattent sur des choses d'elicates et jolies, ne trouvez-vous pas, mon cher diplomate, que le contraste est encore plus saisissant ?