La main coup?e (Отрезанная рука)
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… D’ailleurs, il n’avait pas m^eme eu le temps de pousser un cri.
`A demi-mort d’effroi, suffoqu'e, ne tentant pas la moindre r'esistance tant il 'etait an'eanti par la surprise, Norbert entendit comme dans un r^eve une voix gouailleuse :
— Et maintenant, proc'edons habilement pour ne point salir ce wagon et ne laisser aucune trace !… Tiens, parbleu, ce blanc-bec s’imaginait qu’il allait empocher tranquillement tout cet argent ? Ces enfants ! Ca n’a pas l’ombre de sagesse…
L’homme, tout en parlant, maintenait toujours Norbert appuy'e contre le coussin.
Il avait tir'e de sa poche un long poignard, dont la lame semblait de feu aux scintillements de la lumi`ere, puis, lentement, visant presque, il l’appuyait entre les deux 'epaules du jeune homme, `a la hauteur des vert`ebres du cou.
— Dieu ait son ^ame !
Sans effort apparent, sans pr'ecipitation, sans aucun tremblement, le sinistre masque noir, l’homme `a la barbe fournie, enfonca son poignard jusqu’`a la garde dans le corps de sa victime. Et il r'ep'eta :
— Dieu ait son ^ame, car je crois que…
L’arme 'etait demeur'ee dans la plaie. Nulle goutte de sang n’avait fus'e, nul cri ne s’'etait fait entendre… L’homme au masque eut cette remarque :
— Tout cela se passe merveilleusement. Je crois que, sans inconv'enient, je puis me d'ebarrasser de ce cadavre.
Avec pr'ecaution, comme s’il n’e^ut 'eprouv'e aucune 'emotion, comme si ce n’e^ut pas 'et'e un mort qu’il pressait entre ses bras, l’inconnu, petit `a petit, cessait de maintenir la t^ete de Norbert appuy'ee contre la banquette…
De la main droite, il venait de sortir de sa poche un long foulard de soie, il le faisait glisser sous la t^ete de la victime, il s’en servait pour la b^aillonner.
— Et maintenant, d'eclarait alors le sinistre et merveilleux criminel, je n’ai plus qu’`a mettre un peu d’ordre par ici…
Tandis que dans la face exsangue du malheureux Norbert, une face livide, grimacante, tortur'ee de crispations r'eflexes, les yeux s’agrandissaient en un regard fixe, terrible, surhumain – le regard de ceux qui voient la mort – l’homme pos'ement, allait `a l’extr'emit'e du compartiment…
Il ouvrait la porti`ere, puis, tranquillement, il revenait vers le corps pantelant de sa victime, et, d'ecrispant les poignets serr'es du malheureux Norbert, doigt par doigt, le forcant `a l^acher les billets de banque qu’il tenait encore, il ricanait :
— Parbleu, mon jeune ami, vous n’avez nul besoin d’emporter ces papiers avec vous, ces papiers bleus que j’aime, et qui me sont n'ecessaires, au moins autant qu’`a vous.
Raillerie inutile.
Les yeux de Norbert venaient de se fermer soudain ; la face du malheureux jeune homme cessait de grimacer, l’'evanouissement venait.
— Une, deux, trois.
Avec un
Le train filait.
Nul n’entendit, `a bord du convoi, le bruit de la chute. Tout cela s’'etait fait en silence…
C’'etait en silence, encore, sans h^ate, sans presse, que l’inconnu ramassait les billets de banque tomb'es 'epars dans le wagon, les 'epinglait, les glissait dans sa poche, puis, d'epouillant son masque noir, du pas d’un noctambule paisible, s’en allait regagner le wagon o`u il 'etait d’abord mont'e en gare de Monaco.
Et personne, certainement, `a bord du train, n’aurait soupconn'e ce voyageur paisible, m^eme si on l’avait rencontr'e, tant dans son attitude il gardait de calme et de tranquillit'e.
5 – TROIS CENT MILLE FRANCS DE TROP
Les 'echos du bal parvenaient, tr`es att'enu'es, dans l’aile droite des b^atiments r'eserv'es `a l’administration du Casino de Monte-Carlo.
M. de Vaugreland, directeur de la Soci'et'e, homme de confiance du Conseil d’administration, sommeillait `a demi dans un vaste fauteuil de cuir qui se trouvait devant sa table de travail, laquelle constituait le principal ameublement d’un somptueux cabinet sur lequel s’ouvraient, par de nombreuses portes, les bureaux des secr'etaires et du personnel de l’importante administration.
M. de Vaugreland, francais d’origine, avait pass'e dix ans de sa jeunesse dans la cavalerie en qualit'e d’officier, mais des revers de fortune l’avaient oblig'e `a abandonner la carri`ere qu’il ch'erissait, il s’'etait lanc'e dans les affaires, en avait r'eussi quelques-unes, manqu'e beaucoup d’autres, puis le hasard des circonstances et des recommandations l’avait mis en relations avec quelques-uns des membres les plus influents du Conseil d’administration de la Soci'et'e des jeux de Monaco.
Simple inspecteur `a ses d'ebuts, il s’'etait fait remarquer par son intelligence et son d'evouement, son honorabilit'e irr'eprochable.
Peu `a peu, il avait pris de l’importance, et au bout d’une dizaine d’ann'ees on le nommait directeur. M. de Vaugreland avait un beau nom, un pass'e sans tache, des mani`eres distingu'ees. Il convenait `a merveille.
Ce soir-l`a, M. de Vaugreland restait au Casino, contrairement `a ses habitudes. D’ordinaire, en effet, le directeur r'eint'egrait son domicile vers onze heures, mais ce soir-l`a, il avait tenu `a demeurer jusqu’`a la fin du bal offert aux abonn'es.