La main coup?e (Отрезанная рука)
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Il ajoutait encore :
— Pour quel motif d'esirez-vous le voir ?
— Je le dirai en sa pr'esence.
M. Louis Meynan monta quelques instants plus tard. Ivan sauta sur l’employ'e :
Il l’examina d’un regard curieux, d’un oeil inquisiteur, mais au bout de quelques secondes, il haussa les 'epaules, l^acha un juron :
— Ca n’est pas lui.
L’officier s’arr^eta devant M. de Vaugreland :
— Vous ^etes le directeur, n’est-ce pas ? vous ^etes bien le directeur ?
— Je vous l’ai d'ej`a dit, monsieur, r'epondit M. de Vaugreland.
— C’est bien, poursuivit le Russe, alors, 'ecoutez : Vous savez peut-^etre que, la nuit derni`ere, apr`es avoir perdu pas mal d’argent, je suis mont'e dans vos bureaux ; je n’ai rencontr'e personne au premier abord, mais finalement je me suis trouv'e en pr'esence d’un monsieur qui m’a d'eclar'e
« Donc l’argent que vous avez bien voulu m’avancer, – j’ai recu ce matin trois cent mille francs du Casino, – je vous le rapporte, voici les billets, prenez-les, monsieur, comptez.
L’officier russe achevait cette d'eclaration en fouillant dans la poche gauche de son smoking. Il en tira une liasse de billets de banque qu’il tendit au caissier. Mais celui-ci refusait de les prendre, interrogeait du regard M. de Vaugreland, son chef.
Celui-ci demanda `a son employ'e :
— Est-ce vous, monsieur Louis Meynan, qui avez pr^et'e cette somme au commandant ?
— Pas le moins du monde, r'epliqua l’employ'e en souriant, je suis d’ailleurs arriv'e au bureau hier soir `a onze heures trois quarts, je n’ai vu personne, je n’ai 'et'e l’objet d’aucune requ^ete de ce genre.
M. de Vaugreland poursuivit :
— Nous ne savons pas du tout ce que vous voulez dire, monsieur. L’employ'e ici pr'esent ne vous conna^it pas, nos livres de compte ne font mention d’aucun pr^et, d’aucun versement, et vous-m^eme d'eclarez ne pouvoir reconna^itre la personne de l’administration qui vous aurait pr^et'e cette somme. Je vous disais tout `a l’heure qu’il y avait malentendu, j’ajoute qu’il doit y avoir erreur ou confusion de votre part.
Machinalement Ivan Ivanovitch avait remis dans sa poche la liasse de billets de banque, et cette fois, sinc`erement surpris, il d'evisageait le directeur, le caissier, les quelques hauts employ'es qui se trouvaient dans le cabinet directorial.
Assur'ement, le Russe avait une allure d’honn^etet'e, un accent de sinc'erit'e qui eussent permis de croire qu’il avait dit la v'erit'e. Et puis vient-on, d’ailleurs, comme cela, spontan'ement, offrir trois cent mille francs `a quelqu’un, sous pr'etexte de rembourser une somme qu’il ne vous a jamais pr^et'ee ?
Depuis qu’il 'etait directeur du Casino de Monte-Carlo, M. de Vaugreland avait assist'e `a des sc`enes 'etranges, il avait entendu tenir des propos extraordinaires. `A maintes reprises il avait 'et'e l’objet de sollicitations pressantes, souvent il s’'etait apitoy'e ou 'emerveill'e de l’ing'eniosit'e d'eploy'ee par les joueurs malchanceux, d'esireux de r'ecup'erer tout ou partie des sommes perdues. Mais jamais encore il n’avait vu quelqu’un venir lui proposer la restitution d’une somme qu’il savait pertinemment n’^etre point sortie de ses caisses. Quel 'etait donc ce personnage ? Cet homme avait 'evidemment comme un violent besoin, un vif d'esir de se d'ebarrasser de cet argent. Pourquoi ?
M. de Vaugreland n’avait plus du tout sommeil, et amateur de psychologie `a ses heures, il se sentait d'esormais tr`es d'esireux d’avoir un entretien avec cet homme, qui 'etait loin d’^etre le premier venu, avec cet officier jeune encore, plein d’avenir, charg'e d’une mission de confiance, appr'eci'e de son gouvernement, de ses chefs, et qui venait de lui faire une si dr^ole de proposition.
M. de Vaugreland se rappelait peu `a peu que, dans les rapports des jours pr'ec'edents, ses inspecteurs lui avaient signal'e d’abord les pertes 'enormes d’Ivan Ivanovitch, mais il avait encore sous les yeux les notes les plus r'ecentes de la soir'ee, notes qu’on lui montrait toutes les deux heures et dans lesquelles il 'etait dit que, parmi les heureux joueurs qui avaient b'en'efici'e de la passe du sept, `a la septi`eme table de la roulette, on avait remarqu'e le commandant Ivan Ivanovitch. Que signifiait donc tout cela ? M. de Vaugreland allait cong'edier ses employ'es subalternes pour demeurer en t^ete `a t^ete avec le commandant russe, lorsque soudain le gros P'erouzin, l’ancien notaire ventripotent qui remplissait les fonctions d’inspecteur des jeux, fit irruption dans le cabinet directorial, avec d’ailleurs le plus parfait sans-g^ene et sans s’^etre fait annoncer.
L’ancien notaire arrivait avec le visage boulevers'e, les yeux hors de la t^ete :
— Monsieur le directeur, commenca-t-il, tout essouffl'e de la course qu’il avait faite, un drame 'epouvantable : Norbert du Rand est mort, mort assassin'e sans doute et s^urement vol'e. On a retrouv'e son corps.
— Dans les jardins du Casino ? interrogea avec anxi'et'e M. de Vaugreland qui redoutait surtout les drames dans les locaux priv'es de l’'etablissement.
— Non, monsieur le directeur. La mort est survenue sur la voie du chemin de fer.
M. de Vaugreland poussa un soupir de soulagement. Mais soudain son coeur cessa de battre. Il s’'etait dit que…
Depuis les premi`eres paroles de P'erouzin, Ivan Ivanovitch avait 'et'e pris d’un tremblement nerveux, lentement il avait recul'e dans le fond de la pi`ece, il semblait que ses jambes se d'erobaient sous lui, ses l`evres 'etaient exsangues.
Instinctivement, un des employ'es qui se trouvait `a proximit'e lui approcha un fauteuil. L’officier russe s’y laissa choir comme une masse.
— Norbert, mort assassin'e. Dans le train de Nice. Ah, ca n’est pas possible.
Le train de Nice, avait dit l’officier russe. Ce fut pour le directeur du Casino un lumineux 'eclaircissement.
Comment Ivan Ivanovitch savait-il qu’il s’agissait de ce train ? c’'etait l`a propos bien grave et bien accusateur…
Perdant un peu la t^ete, M. de Vaugreland appuya au hasard sur les boutons 'electriques align'es en clavier `a gauche de son bureau.
Les huissiers parurent.