La main coup?e (Отрезанная рука)
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— Faites monter, demanda-t-il, les inspecteurs des salles et les croupiers disponibles, de pr'ef'erence ceux qui se trouvaient au jeu entre dix heures et onze heures et demie.
Les huissiers s’'eclips`erent aussit^ot, ils n’avaient point besoin de compl'ement d’indication.
Fr'equemment, en effet, dans le bureau directorial, on proc'edait `a de discr`etes confrontations, lorsque des joueurs plus ou moins honn^etes venaient se plaindre d’avoir beaucoup perdu, ne se doutant certes point que pendant tout le temps qu’ils 'etaient au tapis vert les inspecteurs de la maison 'epiaient leur jeu, et 'etaient capables de dire, `a quelques francs pr`es, le montant des sommes qu’ils avaient gagn'ees ou perdues.
Pourquoi M. de Vaugreland faisait-il venir ses employ'es ?
Deux nouveaux inspecteurs se pr'esent`erent : c’'etait Nalorgne, le pr^etre, et M meG'erar. Derri`ere eux venaient deux croupiers, connus sous les pr'enoms de Charles et de Maurice ; tous deux s’'etaient relay'es `a la fameuse table du sept entre dix heures du soir et onze heures et demie.
`A peine avaient-ils p'en'etr'e dans le cabinet directorial qu’ils apercevaient Ivan Ivanovitch et se lancaient un coup d’oeil d’intelligence, mais si rapide qu’avait 'et'e leur coup d’oeil, il n’'echappait pas `a la perspicacit'e de M. de Vaugreland.
— Qu’avez-vous `a dire ? interrogea-t-il. Pourquoi remarquez-vous monsieur ?
Le plus ^ag'e des croupiers, M. Charles, n’h'esita pas `a s’en expliquer :
— Simplement, monsieur le directeur, d'eclara-t-il, parce que monsieur 'etait `a la table de la roulette N° 7, alors que pr'ecis'ement le 7 faisait une si belle passe.
— Monsieur en a-t-il profit'e ? continua M. de Vaugreland.
Les deux croupiers hoch`erent la t^ete. Ils r'epliqu`erent tous les deux ensemble.
— Non, monsieur le directeur, monsieur n’a pas jou'e.
— Ah, fit de Vaugreland avec une nuance de d'esappointement, car il semblait que cette d'eclaration d'etruisait tout le syst`eme qu’il avait, l’instant pr'ec'edent, 'echafaud'e dans son esprit.
Mais l’inspecteur Nalorgne intervint :
— Monsieur, fit-il d’une voix harmonieuse et pos'ee, tout en d'esignant d’un geste b'enisseur Ivan Ivanovitch, plus que jamais affal'e dans son fauteuil, monsieur n’a pas jou'e en effet, mais il 'etait assis `a c^ot'e d’un ponte qui a perp'etuellement mis'e sur le sept, et qui a gagn'e une grosse somme.
— Ce ponte, interrogea M. de Vaugreland, qui 'etait-ce, le connaissez-vous ?
M meG'erar intervint :
— C’'etait Norbert du Rand.
Malgr'e son flegme, le directeur ne put s’emp^echer de l^acher un formidable juron :
— Ah ! nom de Dieu.
Puis, il devint tr`es p^ale et son regard soudain durci se fixa sur l’officier russe, qui paraissait ne pr^eter aucune attention `a ce qui venait de se passer.
M. de Vaugreland, cependant, avait cong'edi'e d’un geste M meG'erar et les deux croupiers.
Il avait fait signe aux inspecteurs de rester et les avait mis au courant de l’'etrange proposition qu’'etait venu lui faire le commandant du Skobeleff. D’autre part, il avait rappel'e le drame 'epouvantable qui avait co^ut'e la vie `a Norbert du Rand et que P'erouzin venait de porter `a sa connaissance.
Nalorgne eut un sursaut.
Il joignit les mains et abaissant son regard sur Ivan Ivanovitch, il murmura :
— Il n’y a pas de doute, c’est un crime. Que Dieu pardonne au p'echeur.
— M. Ivan Ivanovitch, interpella le directeur, je suis d'esol'e d’^etre oblig'e de solliciter votre ob'eissance… votre ob'eissance passive… mais…
Le directeur insista sur ces derniers mots.
— Mais ces messieurs que voici, inspecteurs des services des jeux de Monaco, vont ^etre contraints de vous fouiller.
Ivan Ivanovitch se redressa d’un bond : il toisa son interlocuteur avec m'epris :
— Vous pr'etendez me faire fouiller, monsieur d'eclara-t-il, de quel droit ? `a quel titre ?
— Je vous en prie, poursuivit le directeur, n’insistez pas, il est indispensable que vous subissiez cette formalit'e.
Rien qu’`a cette id'ee, le Russe se r'evoltait. Instinctivement il porta la main `a sa ceinture.
En d'epit de sa rapidit'e, son intention avait 'et'e pr'evenue.
Deux huissiers, deux colosses, demeur'es impassibles au fond de la pi`ece, s’'etaient pr'ecipit'es sur lui et l’immobilisaient.
Ivan Ivanovitch essaya de se d'egager, mais il avait affaire `a plus forts que lui.
'Ecumant de rage, le Russe hurla :
— Ah ca, monsieur, mais c’est une arrestation ?
— Pas encore, dit M. de Vaugreland, qui ajouta :
— Je n’ai d’ailleurs pas qualit'e pour prendre une semblable mesure… c’est simplement le commencement d’une enqu^ete `a laquelle je dois me livrer, `a laquelle, il faut vous pr^eter. Vous avez de l’argent sur vous ?
Dompt'e malgr'e tout par le ton autoritaire du directeur, Ivan Ivanovitch s’humanisait un peu ; il mod'erait sa col`ere pour r'epondre :
— J’ai de l’argent, beaucoup d’argent.
— Et vous n’avez pas jou'e, ce soir ?
— Je n’ai pas jou'e.
— O`u se trouve cet argent ?
Ivan Ivanovitch, toujours immobilis'e, maintenu aux 'epaules et aux bras par les huissiers, r'epondit d’une voix sourde :
— Dans les poches int'erieures de mon smoking.
P'erouzin, l’ancien notaire, plongea, sans vergogne, ses mains velues dans les poches de l’officier. Il en tira, en effet, plusieurs liasses de billets qu’il d'eposa sur le bureau directorial, puis, machinalement, en homme d’ordre habitu'e aux choses exactes, il mouilla son doigt, s’appr^eta `a compter les billets. M. de Vaugreland l’arr^eta :