La main coup?e (Отрезанная рука)
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Tr`es nette, la voix d’Ivan Ivanovitch domina ce monologue effray'e. Le commandant du Skobeleffaffirmait :
— C’est tout `a fait possible, monsieur, si possible, que cela est certain !
— Vous ne le feriez pas ?
— Je le ferai d`es ce soir.
— Mais c’est abominable.
— C’est justice.
— C’est pire qu’un assassinat.
— Pardon, monsieur, c’est une ex'ecution.
— Mais vous ^etes fou !
— Je suis parfaitement raisonnable.
— Mais je vais appeler ? Vous ne vous rendez pas compte ?
— Si, monsieur. J’ai tout pes'e, tout calcul'e. Et vous n’appellerez point. Et vous vous soumettrez. Car vous oubliez ceci.
Et en disant
Alors, un lourd silence pesa sur les deux hommes.
Mais tandis qu’Ivan Ivanovitch demeurait fort calme, tandis que sa main braquant le revolver n’avait aucun tressaillement, celui qu’il menacait s’'ecroulait litt'eralement dans un fauteuil, livide, bl^eme, les yeux dilat'es, tout le corps agit'e d’un violent tremblement.
`A la fin, le malheureux reprit :
— Voyons, mon Commandant, ce n’est pas possible. Tout cela, c’est un cauchemar ? Vous ^etes homme d’honneur. Non, non, je ne puis croire. Tenez, dites-moi que vous avez 'ecrit cela dans un moment d’aberration ?
— Je vous r'ep`ete, monsieur que j’ai pes'e longuement chacun de mes mots. D’ailleurs, relisez, je vous prie, ma lettre, vous verrez qu’elle 'emane d’un homme qui reste de sang-froid. Allons, relisez, monsieur. Le temps passe et cette affaire presse.
Ivan Ivanovitch parlait avec un tel calme, une autorit'e si tranquille, que son interlocuteur, semblant supporter sa domination, presque hypnotis'e par lui, hors d’'etat de discuter, ob'eit `a son ordre.
D’une voix blanche, sans intonation, qui r'esonnait 'etrangement dans le petit salon, il lut `a haute voix la lettre d’Ivan Ivanovitch. Cette lettre 'etait ainsi concue :
Monsieur le Directeur,
Je me nomme Ivan Ivanovitch. Je suis commandant par la volont'e du Tsar, mon ma^itre, du cuirass'e russeSkobeleff , ancr'e devant votre casino.
J’ai l’honneur de porter `a votre connaissance les faits suivants : j’ai jou'e `a la roulette, jou'e et perdu non seulement 300.000 francs repr'esentant ma fortune personnelle mais encore 300.000 francs constituant la caisse de mon b^atiment.
Je n’ai point l’intention d’'echapper au juste ch^atiment que m'erite mon crime, mais j’entends qu’au moins soit rembours'e l’argent que j’ai soustrait `a mon 'Etat, `a la caisse duSkobeleff .
Ce remboursement je le veux et vous le ferez.
Consid'erez donc cette lettre comme un ultimatum : Rendez-moi les 300.000 francs que j’ai dilapid'es alors qu’ils ne m’appartenaient pas. Rendez-les-moi avant l’aube ou je braque les canons duSkobeleff sur le Casino de Monte-Carlo que je fais sauter.
Choisissez :
Restitution des 300.000 francs qui repr'esentent mon vol, ou bombardement.
Je signe de mes qualit'es, monsieur le Directeur.
Ivan Ivanovitch, Commandant duSkobeleff .
Il se tut.
— Que choisissez-vous, alors, reprit le Commandant, le remboursement ou le bombardement ?
El tel 'etait le ton de sa voix qu’il n’y avait pas `a s’y tromper.
— C’est abominable. C’est inou"i. C’est monstrueux, Laissez-moi r'efl'echir. Laissez-moi…
Une imperceptible moquerie perca dans le ton d’Ivan Ivanovitch :
Ce n’est que trop juste, d'eclara-t-il.
Mais au moment m^eme o`u il acquiescait de la sorte, avec une brutalit'e inou"ie, une force que d'ecuplait son 'enervement, Ivan Ivanovitch se pr'ecipita sur sa victime :
— R'efl'echir, cria-t-il, c’est bien, mais vous d'efendre ? non !
En une minute, l’officier qui, sans doute, avait longuement pr'em'edit'e son attentat, tira de sa poche une cordelette et lia sur son fauteuil le repr'esentant du Casino de Monaco. L’homme, mis hors d’'etat de bouger, Ivan Ivanovitch s’inclina encore devant lui :
— Allons, r'efl'echissez, monsieur. D'ecidez-vous : ou la restitution, ou le bombardement. Vous avez une demi-heure.
Ivan Ivanovitch, comme fort `a l’aise, salua encore tr`es bas celui dont il venait de se rendre ma^itre…
En fermant la porte du petit salon 'ecart'e, o`u il allait laisser
— `A bient^ot. `A tout `a l’heure.
Et, un rictus au coin des l`evres, presque un sourire, Ivan Ivanovitch, commandant du Skobeleffs’en alla fumer une cigarette dans le corridor voisin.
2 – `A LA PENSION H'EBERLAUF
— Que faites-vous donc, monsieur H'eberlauf ?
De sa voix criarde et d'esagr'eable, la grosse petite M meH'eberlauf – une femme rougeaude et commune – interpellait son mari.
Celui-ci, un homme grand, sec, maigre, au visage parchemin'e, `a la mine maussade, `a l’air triste comme un jour sans pain, avec des gestes h^atifs et maladroits, semblait s’empresser `a remettre en ordre le rideau de vitrage d’une fen^etre derri`ere laquelle il se tenait tapi, paraissant d'esireux de surveiller quelque chose.