La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Un client ? avait murmur'e P'erouzin, enclin `a l’optimisme, mais ayant cependant une intonation interrogative.
— Hum, ce serait bien 'etonnant, dit Nalorgne.
Cependant, par la porte entreb^aill'ee qui faisait communiquer les bureaux des deux associ'es avec le couloir obscur constituant l’antichambre de l’appartement, la t^ete hirsute d’un petit groom apparut. Le gamin s’introduisit `a moiti'e dans la pi`ece, et, sans le moindre respect pour les formules protocolaires, annonca d’une voix d'ej`a grave, d'ej`a 'eraill'ee, d’une voix de bon gavroche :
— C’est quelqu’un qui demande `a vous parler.
— Lorsqu’un visiteur, expliqua Nalorgne, doctoral, demande `a ^etre introduit aupr`es de ces messieurs, – et ces messieurs c’est nous, naturellement, – vous devez d’abord demander de la part de qui, puis ensuite quel est le motif de la visite ? Avez-vous ces renseignements, Charlot ?
— Non, fit le groom en secouant la t^ete, je n’ai rien demand'e au type qui est venu. Mais ca m’a l’air d’un homme tr`es bien. Il a des bagues `a tous les doigts et un costume tout neuf.
— Charlot, nous ne vous demandons pas votre opinion sur la client`ele que nous recevons. Pour cette fois, vous n’insisterez pas, et puisque nous ne savons pas le nom de ce monsieur, nous nous contenterons de le lui demander tout `a l’heure, lorsque, sur un coup de timbre, vous serez avis'e qu’il faut l’introduire dans notre bureau. Faites attendre.
Le groom, impressionn'e malgr'e lui par l’attitude de ses patrons, se retira en tra^inant les pieds sur le tapis qui montrait la corde.
— Quel peut bien ^etre ce visiteur ? demanda Nalorgne. Pourvu que ce ne soit pas un cr'eancier.
— Mais non, mais non, vous vous faites toujours des id'ees. Un cr'eancier serait entr'e d’autorit'e dans notre bureau, et ce monsieur veut bien attendre.
— Il ne faut pas le faire droguer.
— Vous n’y pensez pas, rien n’impressionne les gens comme de les faire attendre, lorsqu’ils d'esirent vous voir. Ils s’imaginent qu’on est tr`es occup'e. Cela produit un excellent effet.
— Sans doute, sans doute, reconnut P'erouzin, mais supposez qu’il se lasse et qu’il s’en aille.
— Nous l’entendrions bien, et, dans ce cas, on le ferait aussit^ot entrer. D’ailleurs, ajoutait-il, notre bureau n’est pas en 'etat de le recevoir.
Agissant sous les yeux stup'efaits de son associ'e, Nalorgne, avec une activit'e f'ebrile, mettait, comme il l’avait dit,
— Mettez ca en face de vous. Le client croira que c’est notre courrier de ce matin. Et les hommes d’affaires qui recoivent un volumineux courrier font toujours bonne impression.
Mieux encore, Narlogne prit dans son sous-main une sorte de plaque en porcelaine sur laquelle figurait en lettres rouges l’inscription : « Caisse ». Puis il alla au fond de la pi`ece et, au moyen de deux crochets, fixa la pancarte sur la porte d’un placard.
Cette mise en sc`ene r'egl'ee, Nalorgne, apr`es un dernier coup d’oeil g'en'eral, dit `a son associ'e :
— Maintenant, vous pouvez faire entrer.
Avant d’atteindre l’obscur entresol de la rue Saint-Marc, Narlogne avait 'et'e pr^etre, et P'erouzin avait exerc'e dans une petite ville de province, les fonctions de notaire. Puis l’un et l’autre, `a la suite d’'ev'enements sur lesquels ils gardaient la plus parfaite discr'etion, avaient 'et'e contraints de renoncer `a leurs professions respectives, et pendant quelques ann'ees, ils avaient compl`etement disparu de la surface du monde.
Ils devaient se retrouver entre temps `a Monaco. Nalorgne et P'erouzin y exercaient, au Casino, les fonctions d’inspecteurs des jeux, et pendant cette tranche de leur existence, ils s’'etaient trouv'es m^el'es aux aventures dont le c'el`ebre Fant^omas 'etait le h'eros.
Monaco, d'ebarrass'e de cet h^ote g^enant, Nalorgne et P'erouzin auraient pu rester dans l’administration tut'elaire de la maison de jeux, mais leur go^ut du risque r'epugnait `a la monotonie de la surveillance de la roulette et du trente-et-quarante, ils avaient d'ecid'e, en cons'equence, de venir `a Paris et d’y profiter de leurs relations comme de leur savoir pour y monter un « bureau d’affaires ». C’est ainsi qu’ils s’'etaient install'es rue Saint-Marc, risquant leurs modestes 'economies dans cette entreprise de Contentieux, o`u ils faisaient tout absolument, sauf les op'erations tenant `a la profession qu’ils pr'etendaient exercer. Sans grand succ`es, du reste, et la feuille bleue trouv'ee dans le courrier le matin m^eme, leur signifiant que sous trois jours ils 'etaient somm'es de payer leurs contributions, sous peine de saisie, prouvait qu’ils ne roulaient pas sur l’or.
Cependant, on avait frapp'e `a la porte, et, sans attendre la r'eponse, l’autorisation d’entrer, quelqu’un, le « client », p'en'etrait dans la pi`ece.
— Salut, les copains, s’'ecria-t-il.
— Prosper, s’'ecri`erent ensemble Nalorgne et P'erouzin. Ah par exemple, si nous avions su.
— Votre patron vous a donc donn'e cong'e aujourd’hui ?
Le cocher sourit l’air satisfait :
— Cong'e ? Non pas, je suis libre, d'esormais, voil`a huit jours que je lui ai coll'e ma d'emission.
— Alors, interrogea P'erouzin avec sollicitude, vous n’avez plus de place et vous venez nous voir pour qu’on vous en trouve une ?
— Tr`es peu, j’en ai soup'e de ramasser le crottin de cheval et j’ai mieux que ca comme m'etier dans la main.
— Le fait est. Vous voil`a nipp'e comme un bourgeois.
— Comme un bourgeois, pr'ecisa Prosper, et un bourgeois cossu.
P'erouzin et Nalorgne avaient fait sa connaissance dans le petit restaurant `a vingt-trois sous o`u ils d'ejeunaient il y a quelques semaines. Mais, par suite de quelles circonstances la situation de Prosper s’'etait-elle modifi'ee au point que le cocher, d'esormais, s’exhibait dans des tenues que n’aurait point d'esavou'ees son ancien patron lui-m^eme, l’'el'egant Herv'e Martel ?