La mort de Juve (Смерть Жюва)
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`A la question que lui posaient P'erouzin et Nalorgne, Prosper r'epondit myst'erieusement, un doigt sur les l`evres :
— Ca, c’est des affaires qui me regardent. D’ailleurs, elles pourraient bien vous int'eresser aussi. Au fait, qu’est-ce que vous diriez si l’on d'ejeunait ensemble ? Il est onze heures, tenez, je vous invite. Rendez-vous `a midi et demie, au Faisan Dor'e. Ca colle. Eh bien, `a tout `a l’heure. Je me d'ebine, car vous pensez bien que j’ai du boulot `a faire, avant d’aller cro^uter.
— Au Faisan Dor'e ? dit P'erouzin, mais c’est le restaurant le plus chic de Paris.
— Ca co^ute au moins trente francs par t^ete le d'ejeuner, dans cette bo^ite-l`a, dit Nalorgne.
— Eh bien, conclut P'erouzin, raison de plus pour ne pas manquer. Ca nous changera des pommes de terre frites et du demi-setier de rouge de tous les jours.
***
Pench'es sur la table et d'egustant `a petites gorg'ees une vieille fine champagne que le ma^itre d’h^otel, confiant dans ses clients, avait laiss'e `a leur
— Oui, continuait le cocher, qui pendant toute la dur'ee du d'ejeuner les avait litt'eralement 'eblouis par la g'en'erosit'e de sa commande, le miroitement des bagues qui scintillaient `a ses doigts et l’exhibition de quelques billets de banque, n'egligemment tir'es de ses poches. Oui, vous comprenez, mes chers amis, que, pour un homme intelligent, le m'etier de cocher n’offre gu`ere de ressources. Moi, comprenez-vous, je suis n'e avec l’^ame d’un brasseur d’affaires, de grandes, de grosses affaires. Qu’est-ce que vous voulez, j’aime l’argent, et comme elle ne se trouve pas sous le pied d’un cheval, il faut bien qu’on s’occupe de la d'ecouvrir.
— 'Evidemment, bien s^ur, dirent les deux autres.
Mais que pouvait-il bien faire ?
— La semaine derni`ere, disait-il, j’ai fait trois mille francs. Hier matin, en l’espace de deux heures, quatre mille, et, pour la fin du mois, il y a une combinaison qui me rapportera dix mille balles.
« Au fait, demanda soudain le cocher d’un air d'etach'e, est-ce que vous n’^etes pas en relations avec la maison Miller et Moller, vous savez, ces marchands de papier de la rue des Archives ?
— Si, ce sont m^eme des clients de notre bureau. Ils nous avaient command'e tout un assortiment de porte-plumes.
— Des porte-plumes ? dit le cocher en regardant ses invit'es avec une profonde commis'eration, vous appelez cela des affaires, vous ? Qu’est-ce que ca peut bien rapporter, en admettant m^eme qu’il s’agisse d’une grosse de porte-plumes `a deux sous pi`ece ? Enfin, vous devez savoir tout de m^eme si c’est une bonne maison ?
— Qu’entendez-vous pas l`a ?
— Je demande, reprit le cocher, si c’est une maison solvable, faisant honneur `a sa signature, et qui paie rubis sur l’ongle ?
— Ca, j’en mettrais ma main au feu.
Et P'erouzin ajouta pour essayer d’impressionner son interlocuteur :
— Nous avons dans nos dossiers confidentiels, les meilleurs renseignements sur la Soci'et'e Miller et Moller.
— Oui, nul n’ignore que ces gens-l`a c’est solide comme la R'epublique et la Banque de France.
— Mais o`u voulez-vous en venir ?
Le cocher remplit les verres de fine, depuis longtemps vid'es jusqu’`a la derni`ere goutte, et baissant la voix, il expliqua :
— Vous qui avez vos entr'ees chez Miller et Moller, j’imagine que rien ne vous serait facile comme de vous procurer du papier `a en-t^ete de chez eux. J’en ai besoin avant la fin du mois et c’est tr`es important.
— Mais pourquoi faire ?
— S^ur, d'eclara le cocher avec un rire goguenard, que ce n’est pas pour mettre des papillotes `a la perruque de mon 'epouse. Pour cette bonne raison, qu’elle n’en porte pas et que je suis garcon. Peu importe. Procurez-moi ce bout de papier et je vous donne vingt-cinq louis comptant, est-ce dit ?
Et il ajouta pour les d'ecider :
— N’ayez donc pas peur, vous ne risquez rien. Supposons que j’ai besoin de cette facture, pour en copier le mod`ele, ces gens-l`a ont une id'ee d’en-t^ete tr`es int'eressante. Ca vous va-t-il ?
— C’est entendu, dit Nalorgne, cependant que P'erouzin affirmait :
— J’irai cet apr`es-midi m^eme chez Miller et Moller. Mine de rien, je prends une facture, et demain…
— Demain, r'epondit le cocher, j’ai le document et vous, vos vingt-cinq louis.
***
— On a t'el'ephon'e, messieurs.
C’'etait Charlot, le petit groom qui, se dressant d'ecid'ement, s’adressait respectueusement `a ses patrons, au moment o`u ceux-ci, congestionn'es mais satisfaits, regagnaient le bureau.
— Ah, ah, fit P'erouzin d’un air important, as-tu pris note de la communication ?
— Oui m’sieu, c’est un nomm'e Herv'e Martel qui a fait dire comme ca que vous veniez chez lui, ce soir, `a six heures juste.
Les deux associ'es rest'es seuls allum`erent une cigarette.
— Croyez-vous, fit P'erouzin, l’air songeur, que ce Prosper a bien r'eussi. Je m’attendais `a une histoire d'esagr'eable au moment de l’addition. Pas du tout, il a pay'e.
— Ces gaillards-l`a, tout ignorants qu’ils sont, et m^eme pas munis du certificat de l’'ecole primaire, ont parfois le sens des affaires et cela mieux que des gens ayant b'en'efici'e comme nous d’une excellente 'education et d’une instruction approfondie.
— Une instruction que je qualifierai m^eme d’'erudition.