La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Allez dans la cuisine.
Nalorgne l’y rejoignit quelques instants plus tard, il y 'etait rejoint par P'erouzin, tr`es p^ale :
— Je lui ai demand'e deux minutes pour aller signer le courrier, expliqua P'erouzin. Elle est fichtrement belle, qu’en dites-vous ? Elle est si belle que je pardonne presque `a Prosper d’^etre devenu une crapule si c’est pour l’entretenir. Au fait, Nalorgne, est-ce ce soir, comme nous l’avions d'ecid'e, ce soir apr`es d^iner, que nous allons faire arr^eter Prosper ?
— Jamais de la vie. Nous ne pouvons pas faire ca du moment que sa ma^itresse est l`a. Ca ne serait pas d'elicat.
— Et puis il y a l’argent, l’argent que nous avons emprunt'e sur les deux mille francs qu’il nous a remis.
— Et puis, il faut que nous devenions tout `a fait les amis de Prosper et de sa ma^itresse.
Es en 'etaient l`a, lorsqu’un 'eclat de rire 'eclata dans la cuisine.
— Ah, ce que vous ^etes farces tous les deux, `a discuter dans votre cuisine, non, quoi, qu’est-ce que vous faites ? j’m’emb^ete, moi, toute seule.
Irma s’'etait lev'ee, les avait rejoints `a pas de loup :
— Ch`ere madame, protesta Nalorgne au hasard, nous sommes d'esol'es, nous venions voir si notre cuisini`ere 'etait encore l`a pour lui commander une tasse de th'e pour vous, mais justement…
— H'e, lui r'epondit Irma avec une parfaite simplicit'e, vous bilez donc pas. Je ne suis pas une petite 'evapor'ee, moi. Le th'e, j’trouve que c’est de l’eau chaude, et voil`a tout. Et puis, Prosper m’a bien dit que vous 'etiez des copains, et pas des mecs `a la pose. N’vous bilez pas qu’j’vous dis, c’est plus l’heure du th'e, d’abord, c’est l’heure de l’ap'ero. Tiens, justement, voil`a Prosper !
5 – CENT MILLE FRANCS DE MOINS
Le repas fut exp'edi'e.
« Viens d'ejeuner avec moi », avait 'ecrit Herv'e Martel `a Maurice de Cheviron. Mais les deux hommes 'etaient press'es l’un et l’autre.
Comme on servait le caf'e, un caf'e bouillant qui refusait de se laisser boire, Cheviron tirant une cigarette de sa poche, entreprit son ami :
— Dis donc, mon vieux, sais-tu que c’est tr`es gentil chez toi. Sans avoir l’air d’y toucher, petit `a petit tu as transform'e ton appartement. Une v'eritable bonbonni`ere. Des toiles de ma^itres, des bronzes sign'es, peste, tu te mets bien.
— Pourquoi veux-tu que je me prive ?
— Je ne veux pas que tu te prives du tout, mais enfin, je t’admire. Tu vis sur un pied qui en dit long. Quand on a une automobile `a la porte, une trente-cinq chevaux.
— Quarante, mon vieux.
— Mazette. On sait ce que cela co^ute. Bref, on parle toujours des agents de change et des scandaleuses fortunes qu’ils font, je commence `a croire que le courtage maritime est une op'eration encore plus lucrative.
— Il est certain que je ne me plains pas. Sans gagner, comme tu parais le croire, des sommes 'enormes, je suis content. Le courtage maritime comme tu le dis, gr^ace au privil`ege qui r'eserve les op'erations `a sept ou huit int'eress'es, rapporte. Mais que de mal on se donne.
— Est-ce que, par hasard, ton m'etier n’est pas au contraire un m'etier de tout repos, un m'etier de p`ere de famille ?
— H'e non, mon vieux, il faut avoir les reins solides, l’esprit d'ecid'e, trois sous d’audace, et quatre sous de culot, je t’assure, pour faire ce que je fais.
— Allons donc. Tu touches des commissions sur chaque affaire que tu apportes aux assurances, tu te r'eserves un pr'el`evement. Il n’y a aucun risque `a courir.
— Tu te trompes, Maurice, tu te trompes lourdement, expliquait-il. Si, en r'ealit'e, je ne m’occupais v'eritablement que d’apporter des affaires aux compagnies d’assurances et de pr'elever une commission, tu aurais raison, je ne courrais aucun risque, mais je gagnerais beaucoup moins qu’en osant les petites sp'eculations et m^eme les grosses sp'eculations.
— Tu joues ? toi, Herv'e Martel, l’homme s'erieux par excellence ? tu joues ?
— H'e oui, je joue. D’une facon particuli`ere, mais enfin je joue. Tiens, veux-tu savoir comment ? C’est excessivement simple, et tu comprendras que c’est tentant. Hier, mon vieux Maurice, figure-toi que j’ai recu la visite d’un gros banquier qui fait venir, pour le compte d’une maison allemande, plusieurs millions d’or monnay'e, envoy'es d’Am'erique en Autriche. Ces millions d’or vont ^etre apport'es `a Cherbourg par un paquebot anglais, le Triumph, et mon homme me venait voir pour me demander de les assurer contre les risques de mer.
— Bigre. C’est une jolie affaire, la commission…
— La commission, peuh ! Les compagnies d’assurances, en effet, demandent des primes d’autant plus importantes que la marchandise est plus sujette `a s’avarier. Autrement dit et toutes proportions gard'ees, il est plus co^uteux d’assurer des oranges que des pi`eces de vingt francs. Non seulement les oranges peuvent couler en effet, mais elles risquent encore de s’ab^imer, ce qui n’est pas le cas des louis. Donc, pour l’assurance de ces millions, la prime qui n’avait `a pr'evoir que les risques de naufrage du Triumphe^ut 'et'e relativement assez faible et ma commission faible aussi.
— Et alors ?
— Et alors mon vieux, c’est l`a o`u je joue. J’ai demand'e `a mon client de me verser une somme repr'esentant le montant des primes d’assurances, puis, estimant qu’il n’y a aucun danger qu’un bateau de l’envergure de celle du Triumphvienne `a faire naufrage, j’ai gard'e cette prime destin'ee `a une compagnie d’assurances, pour moi, je me suis donc fait moi-m^eme, personnellement, l’assureur des millions. Parce qu’il me pla^it de courir un risque, parce que je suis assez audacieux pour le prendre `a ma charge, j’arrive `a toucher une somme importante, comprends-tu ?
— C’est une grave sp'eculation. Car enfin, si par hasard ces millions 'etaient vol'es, si le Triumphse perdait corps et biens, n’'etant pas couvert par une assurance, il te faudrait payer et…
— Et je serais nettoy'e. Eh oui, ce sont les risques du m'etier.
— C’est imprudent. Ca t’arrive souvent ?
— Le plus souvent possible. Chaque fois que j’estime que les risques sont illusoires. Bah, qui ne risque rien n’a rien. J’aime l’argent moi, et je l’aime pour les plaisirs qu’il procure. Allons, viens-tu, Maurice ? passons dans mon cabinet, je vais te remettre les cent mille francs que tu veux bien transformer pour moi en beaux et bons titres de rente.