La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Sans rien dire, affirma la caissi`ere. Est-ce qu’ils n’ont pas pay'e, par hasard ?
— Si, si, ils ont pay'e. Seulement, c’est monsieur…
— Eh bien, c’est raide, commenca l’encaisseur, figurez-vous que j’ai encaiss'e pour leur compte dix mille francs, `a c^ot'e, avenue Niel. Un service que je leur rendais. Ils devaient m’attendre ici, et je ne sais pas leur adresse.
— C’est curieux, en effet, d'eclara la caissi`ere, et vous ne les connaissez pas ?
— Ils venaient de m’embaucher. Ce sont les directeurs d’une agence commerciale.
— Ils vont peut-^etre revenir.
— Peut-^etre. Oui. Je vais attendre.
M. Bertrand commanda un mazagran, mit une grande heure `a le d'eguster, mais ni Nalorgne, ni P'erouzin n’apparaissaient.
`A la fin, M. Bertrand s’impatienta ;
— C’est effrayant, murmurait-il, parlant toujours `a voix haute et feignant de s’adresser `a l’un des garcons, je me demande vraiment ce que je dois faire.
— `A votre place, moi, j’irais chez le commissaire. C’est peut-^etre bien des crapules ces clients-l`a et on ne sait jamais ce qui peut arriver.
— Ah mon Dieu, vous me faites peur, si c’'etaient des escrocs, en effet. Et dire que je n’y songeais pas. Mais pourquoi se seraient-ils enfuis ?
— Est-ce qu’on sait jamais ?
La caissi`ere, elle-m^eme, intervint :
— Allez donc chez le commissaire, monsieur, en tout cas, si par hasard ils reviennent ici, on leur dira que vous avez 'et'e d'eposer l’argent au poste et comme ca vous n’aurez pas d’histoire.
M. Bertrand dut se rendre compte que c’'etait en effet le parti le plus sage, car il paya sa consommation :
— Eh bien, c’est entendu, madame, je vais au commissariat. Si par hasard ces messieurs revenaient, veuillez les prier de m’attendre.
M. Bertrand, dix minutes plus tard, renseign'e par un agent de police, arrivait au poste du quartier. Il avait d'ej`a la main sur la poign'ee de la porte et se disposait `a entrer dans le corps de garde, lorsque des pas pr'ecipit'es retentirent derri`ere lui. En moins de rien, il se sentait violemment saisi au collet, en m^eme temps qu’une voix furieuse lui hurlait `a l’oreille :
— Ah, mon bonhomme, vous revoil`a, eh bien, vous n’y couperez pas. Ah sapristi, vous en avez un toupet, vous. Qu’est-ce que vous veniez faire ici ?
C’'etait Herv'e Martel, descendu de son automobile devant le commissariat de police, au moment m^eme o`u M. Bertrand y arrivait. Herv'e Martel 'etait bl^eme de fureur, M. Bertrand bl^eme de rage.
— Mais l^achez-moi donc, criait l’encaisseur, pour qui me prenez-vous ? qu’est-ce que vous avez ?
Puis soudain, il reconnut la personne chez qui il avait 'et'e toucher les fonds le matin m^eme :
— Hein ? quoi ? c’est vous ?
— H'e oui, bandit, voleur, escroc, faussaire.
Tandis que, sur le trottoir, les badauds s’amassaient, les agents du poste, tir'es de leur somnolence par les 'eclats de la dispute, se h^at`erent de s'eparer les deux hommes :
— Allons, entrez, entrez, vous vous expliquerez devant le commissaire.
Devant le commissaire, en effet, les deux hommes s’expliqu`erent.
— Monsieur, d'eclarait Herv'e Martel, d'esignant M. Bertrand, s’est pr'esent'e chez moi `a huit heures du matin, muni d’une fausse facture de la maison Norel. Croyant avoir affaire `a un honn^ete encaisseur, j’ai naturellement sold'e mon d^u. Ah, ouitche, il n’y avait pas vingt minutes que cet escroc 'etait parti de chez moi que le v'eritable encaisseur de la maison Norel se pr'esentait.
— Mais je ne savais pas que ma facture 'etait fausse, protestait M. Bertrand, je ne savais pas que je vous escroquais, et d’ailleurs, vos dix mille francs les voil`a. Tenez, je les ai encore sur moi. Je venais les rapporter au commissaire.
***
Mais pourquoi les associ'es n’avaient-ils pas attendu ce pauvre Bertrand, encore au commissariat en train d’essayer de convaincre ses interlocuteurs ?
M. Bertrand n’'etait pas parti du Caf'e blancdepuis dix minutes pour aller effectuer l’encaissement qu’on lui avait confi'e, que Nalorgne et P'erouzin avaient la vive surprise d’entendre un garcon de caf'e crier `a haute voix leurs noms :
— Au t'el'ephone, MM. Nalorgne et P'erouzin.
— Allo, cria Nalorgne.
— C’est vous, Nalorgne ? c’est bien vous ? demanda une voix inconnue.
— C’est moi. Que me voulez-vous ?
— Fichez le camp avec P'erouzin, fichez le camp tout de suite, dare dare. Rentrez au Contentieux. Le truc est br^ul'e. On vous recherche. Allez, d'ebinez.
Ils 'etaient partis sans demander leur reste.
Nalorgne et P'erouzin, une heure plus tard, car ils avaient fait, par prudence, d’'enormes d'etours, r'eint'egraient leur Contentieux.
— Nous n’avons plus qu’`a attendre, disait P'erouzin, Prosper va nous rejoindre 'evidemment.
— Certainement, nous serons renseign'es dans dix minutes.
C’est `a trois heures seulement qu’ils entendirent une clef grincer dans leur serrure.
— Voil`a Prosper.
Prosper, seul, en effet, poss'edait une clef de l’officine.
Des pas cependant se faisaient entendre dans le corridor. Puis on traversait le salon d’attente, enfin la porte du cabinet de travail s’ouvrit.
Ce n’'etait pas Prosper, c’'etait M. Bertrand. Seulement le M. Bertrand qui entrait dans le cabinet de travail n’avait v'eritablement rien du M. Bertrand qu’ils avaient vu le matin m^eme au Caf'e blanc. Il 'etait plus grand, moins maigre, il avait surtout une tout autre assurance.
Et puis, voil`a qu’il savait les noms des deux associ'es :
— Bonjour Nalorgne, bonjour P'erouzin, vous allez bien ?
De stup'efaction, ni l’un ni l’autre des deux associ'es ne r'epondaient.