La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Sur le seuil de la porte, Maurice de Cheviron s’arr^eta :
— Eh dis donc, tu ne vas pas me faire assassiner par les revenants ?
— J’esp`ere que non. Tu sais je n’ai rien de nouveau `a propos des deux aventures qui se sont pass'ees dans cette pi`ece.
— Tu n’as pas retrouv'e les titres ?
— Non.
— Diable. Et le grand remue-m'enage ?
— Pas la moindre id'ee, ou plut^ot…
— Ou plut^ot quoi ?
Mais Herv'e Martel s’arr^eta de parler, comme s’il n’e^ut pas os'e formuler une hypoth`ese.
— Ou plut^ot, mon cher, les id'ees que je me fais `a ce sujet sont si stupides, que j’aime autant ne pas te les dire.
— Mais au contraire, dis. L’autre jour, nous venions de bien d^iner, nous 'etions un peu gais. Certainement nous n’avons pas remarqu'e quelque chose qui nous aurait renseign'es. Ta vieille bonne par hasard, n’aurait-elle pas…
— Rosalie est au-dessus de tout soupcon, et nous avons bien vu mon vieux ce qui valait d’^etre vu dans la pi`ece. Non, sais-tu ce que je me dis ?
— Je demande `a le savoir.
— Qu’il n’y a que deux explications possibles : un cyclone ou des revenants.
— Un cyclone ne t’aurait pas vol'e des titres. Des esprits ? C’est bon pour les vieilles femmes.
— Cependant, rappelle-toi combien la pi`ece 'etait d'evast'ee, comment tout y 'etait bris'e, cass'e, boulevers'e, rappelle-toi aussi qu’il n’y avait personne dans mon cabinet de travail, que personne n’y 'etait entr'e, que personne n’en 'etait sorti, et que de plus, tout le chambardement avait 'et'e op'er'e en moins d’une seconde. Si ce ne sont pas les esprits, c’est un cyclone, une petite temp^ete, un petit ouragan. Oh, j’en aurai le coeur net, je saurai ce qui s’est pass'e, ca je te le promets, quand je devrais y perdre mon latin.
— Tu sauras ce que tu sauras, coupait-il, et je crois bien, pour ma part, que tu ne sauras rien. Si d’ailleurs tu veux mon opinion, je te la donne pour ce qu’elle vaut : il faut admettre les choses, m^eme d’apparence invraisemblable, quand elles peuvent avoir un semblant de v'erit'e. Or, jusqu’`a preuve contraire, je resterai persuad'e, d’une part, que tes titres ont 'et'e bel et bien vol'es par ta dactylographe, et que d’autre part, c’est ta cuisini`ere, ou ton domestique, ou l’un des ma^itres d’h^otel, qui a chambard'e ton cabinet.
— Je mettrais ma main au feu que tu te trompes. D’ailleurs, laissons cela, je vois l’heure qui s’avance et, si nous continuons `a bavarder, nous ne ferons encore rien cet apr`es-midi. Veux-tu que je te donnes ces cent mille francs en or ou en billets ?
— Sapristi, comme tu y vas. Eh bien, mon vieux, deux cent mille francs chez toi, dans une pi`ece o`u habite un cyclone, o`u logent des revenants, sais-tu que ce n’est pas prudent ? Allons ! donne-moi les cent mille francs en billets, ce sera moins lourd et je ne tiens pas `a emporter des kilos d’or monnay'e.
Herv'e Martel avait d'ej`a ouvert son coffre-fort, il y prit une liasse de billets de banque, revint vers son ami et, s’asseyant devant la petite table o`u s’installait d’ordinaire M lle H'el`ene, la dactylographe, commenca `a compter les billets bleus :
— Aide-moi, veux-tu, mon vieux Maurice ?
— `A ta disposition.
Lentement les deux hommes, prenant garde `a ne point se tromper, firent dix liasses de dix billets chacune :
— C’est le compte ?
— Parfaitement c’est le compte, et si la Bourse est bonne aujourd’hui, je t’ach`eterai du quatre pour cent. C’est encore ce qu’il y a de mieux, pour se constituer une retraite. Je vais te d'elivrer un recu tout de suite, car on ne sait ni qui vit, ni qui meurt et je puis ^etre 'ecras'e dans la rue. Mais tu seras assez gentil pour me le renvoyer contre un recu r'egulier `a mon bureau.
— C’est entendu.
— As-tu du papier `a lettres ?
`A son tour, Herv'e Martel s’approcha de son bureau, pench'e par-dessus le meuble, il montra le tiroir `a son ami :
— Tu vas trouver l`a-dedans des recus tout pr'epar'es.
Or, au moment pr'ecis o`u l’agent de change, ob'eissant aux indications de son ami, ouvrait le tiroir du bureau, il sursauta, tendit l’oreille, avait l’air stup'efait.
— Hein ? as-tu entendu ?
— Quoi donc ? Oui ? Il me semble.
— On a soupir'e, n’est-ce pas ?
Mais d'ej`a Herv'e Martel s’'etait ressaisi :
— Ah non, pas de blague. J’en ai assez des soupirs de mon cabinet de travail. Ils m’ont d'ej`a co^ut'e assez cher. Oh, et puis je m’en fiche, apr`es tout, puisque tu as les billets dans ta poche, les esprits peuvent bien.
— Les billets ? Non. C’est toi qui les a repris.
— Moi ? jamais de la vie.
Tous deux s’'etaient retourn'es, ils contemplaient stup'efaits la petite table tout `a l’heure couverte de liasses de billets de banque, enti`erement d'egarnie de toute esp`ece de papier `a pr'esent.
Herv'e Martel, le premier, retrouva son sang-froid :
— C`a, par exemple, c’est fort. Tu es s^ur que tu n’as pas pris ces billets, Maurice ?
— Absolument certain.
— Alors ils sont tomb'es par terre, ils ont gliss'e contre le mur.
Herv'e Martel d'eplaca la petite table, la recula, chercha sur le sol.
— Pas du tout, rien n’est tomb'e, je ne les vois pas. Ah fichtre de fichtre.
Mais Maurice de Cheviron lui aussi, avait retrouv'e son sang-froid :
— Ne t’'enerve pas, l’aventure est stupide, et nous sommes tous les deux victimes d’une distraction. Parbleu, tu les as remis dans ton coffre-fort.
— Je suis certain du contraire.