La mort de Juve (Смерть Жюва)
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M. Bertrand continua :
— H'e, h'e, ma parole, seriez-vous devenus muets ? ou encore ne me reconna^itriez-vous pas ? Vous savez bien qui je suis, voyons ?
Nalorgne, 'ebahi par l’arriv'ee de ce visiteur inattendu, se demandant ce que tout cela pouvait signifier, balbutia :
— Vous ^etes notre employ'e, monsieur Bertrand ?… mais comment se fait-il ?
Nalorgne n’acheva pas.
Avec une inconcevable rapidit'e, M. Bertrand, tout en 'eclatant de rire, un rire bruyant qui emplissait l’'etude, jetait `a la vol'ee son chapeau, arrachait une perruque couvrant son cr^ane, arrachait sa moustache, sa barbe, se redressait et, en m^eme temps, sa main s’armait d’un revolver.
— Votre employ'e, faisait-il, vraiment, vous croyez que je suis votre employ'e ? ah, la bonne plaisanterie, non, mes amis, je ne suis l’employ'e de personne, je suis le Ma^itre.
Et comme P'erouzin et Nalorgne, terrifi'es par le revolver braqu'e sur eux, tremblaient de tous leurs membres, l’inconnu achevait :
— Je suis le ma^itre, mes amis, le ma^itre de tous et de tout. Le meilleur des ma^itres, le ma^itre qui, d'esormais, aura sur vous droit de vie et de mort, qui vous punira terriblement si vous le trompez, vous r'ecompensera magnifiquement si vous marchez droit. Allons, regardez-moi bien. Me reconnaissez-vous ?
Ils regard`erent cet homme d’une quarantaine d’ann'ees, grand, mince, souple, `a la figure 'energique, `a la face rase, intelligente. Il parlait d’une voix pos'ee, d’une voix de commandement qui n’admettait pas de r'eplique :
— Regardez-moi bien, Nalorgne, et P'erouzin, car, `a partir d’aujourd’hui, je vous le r'ep`ete, vous ^etes mes lieutenants d'evou'es, tr`es d'evou'es, vous m’entendez ? Car, j’ai non seulement droit de vie sur vous, mais encore, apr`es ce que je sais, il me serait facile de vous livrer `a la police, vous et Prosper, Prosper, qui sera mon troisi`eme lieutenant dans quelques minutes. Prosper, dont j’ai imit'e la voix au t'el'ephone pour vous faire quitter le petit Caf'e blanc. Allons, vous me reconnaissez maintenant, je suppose ? Non ? eh bien, je me nomme et comprenez bien qu’il s’agit pour vous d’^etre sages, je ne suis pas M. Bertrand, M. Bertrand n’a jamais exist'e, je suis le Roi du Crime, le Ma^itre de l’Effroi. Et vous, d'esormais, vous ^etes mes complices. Remerciez-moi, car lorsque Fant^omas fait l’honneur `a quelqu’un de s’associer `a sa fortune, ce sont des actions de gr^ace qu’on lui doit.
7 – JUVE SE CACHE
Saint-Germain, r'esidence estivale, est 'egalement une ville fort agr'eable `a habiter en hiver.
Ce matin-l`a, le temps 'etait clair et froid. Avenue des Violettes, un vieux domestique s’occupait `a astiquer avec conscience la plaque de cuivre d’un bouton de sonnette.
Il fut soudain interrompu dans son travail par la voix claire et forte d’une femme qui l’interpellait :
— Et alors, monsieur Jean, ca va toujours ? et votre patron, monsieur Ronier ? comment se porte-t-il, ce matin ?
— Merci, merci bien, vous ^etes bien honn^ete de vous occuper de nous. Oui, ca va toujours.
Mais la marchande de lait insistait :
— Et ses douleurs, `a M. Ronier ?
— Eh bien, qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse `a ses douleurs ? ce sont des douleurs comme les autres, il en souffre et ce n’est pas pendant l’hiver qu’il faut esp'erer qu’il se remettra. D’ailleurs, qu’est-ce que cela peut bien vous fiche, `a vous, la sant'e de mon patron ?
— L`a, l`a, fit la brave femme, vraiment, vous n’^etes pas `a prendre avec des pincettes, monsieur Jean, quel caract`ere, grand Dieu ! Pour ce qui est de m’en fiche, bien s^ur que je m’en fiche, si vous allez par l`a, et si je demande des nouvelles de M. Ronier c’est pas par curiosit'e, mais histoire de savoir comment il se porte.
Le domestique ne r'epondait pas. Il venait d’apercevoir `a l’extr'emit'e de l’avenue, deux hommes jeunes encore, aux allures d’anciens militaires qui, peu `a peu, se rapprochaient de lui.
— Voil`a les neveux de Monsieur, fit-il, d’un ton plus doux, en s’adressant `a la marchande de lait.
Mais celle-ci, apr`es s’^etre arr^et'ee un instant, poussa sa voiturette dont les cahots de la route firent tinter les bouteilles.
Les deux hommes que Jean avait qualifi'es de
Cependant qu’ils 'etaient leur pardessus, l’un d’eux dit `a son compagnon :
— Vraiment, cela me fait de la peine chaque fois que je viens ici pour le voir. Quand je pense que c’'etait un homme si actif, si vivant, et que depuis plus de trois mois son 'etat n’a fait qu’empirer.
— Comme c’est vrai, mon cher L'eon, le patron ne va pas bien.
— Ah Michel, ce que c’est que de nous. Un mauvais coup, comme ca, ramass'e au hasard et vous voil`a clou'e sur un lit, immobilis'e, paralys'e.
— L’esprit est encore bon, l’intelligence toujours ouverte, vive.
— Oui, mais les jambes ? plus rien `a faire.
Les deux hommes mont`erent au premier 'etage, frapp`erent `a la porte. Une voix puissante leur r'epondit :
— Entrez.
Ils p'en'etr`erent tous deux dans une vaste chambre au milieu de laquelle se trouvait un grand lit o`u 'etait 'etendu un homme au visage 'energique, au teint color'e, `a la chevelure grisonnante. 'Etait-ce bien l’oncle de ces deux jeunes gens, comme l’avait dit le domestique ?
Ces derniers, en effet, `a peine dans la chambre, esquissaient une sorte de salut militaire, et d’un ton `a la fois joyeux et respectueux ils s’'ecri`erent :
— Bonjour Juve, comment allez-vous ?
C’'etait Juve, en effet, 'etendu sur son lit de malade. Juve que son domestique, fid`ele `a la consigne, d'eclarait `a tout venant s’appeler M. Ronier et dont les neveux n’'etaient autres que les inspecteurs de la S^uret'e, ses jeunes coll`egues, L'eon et Michel. Qu’'etait-il donc advenu `a Juve ? Pourquoi le vaillant lutteur se trouvait-il ainsi terrass'e par le mal, 'etendu sur un lit, v'eritable loque humaine ?