Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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— Encore un petit bout de chemin, encore un petit peu de temps et je vais ^etre `a Londres, se disait Juve, ah ! si seulement j’'etais certain d’y rencontrer Fandor… pauvre petit !… que diable a-t-il pu lui arriver ?… Fandor `a Londres… oui, parbleu, mais Fant^omas y est aussi… ah ! quelque jour pourtant il faudra bien que j’arrive `a arracher le masque de cet 'epouvantable bandit.
L’^ame de Juve 'etait, en effet, `a ce point bizarre, qu’au moment m^eme o`u il venait d’apprendre que la silhouette lugubre de Fant^omas se dressait encore `a l’horizon, que la lutte allait reprendre avec ses risques possibles, il se f'elicitait, il s’applaudissait d’avoir encore `a exposer sa vie pour une cause qui lui 'etait ch`ere, la cause du Devoir, la cause du Bien…
Et en cela, Juve pensait exactement de la m^eme facon que Fandor…
***
— Vous avez tous remis vos papiers ? oui ? Vous avez rempli les circulaires ? Vos actes de naissance ? vos recommandations et apostilles ? eh bien, alors, au gymnase !… Il faudra vous raser, mon garcon, cette barbe vous fait une 'etrange figure !… Allons, venez, messieurs !…
L’homme qui tenait ce discours, d’une petite voix s`eche et pointue, d'esagr'eable `a la perfection, incarnait `a merveille le type du fonctionnaire.
C’'etait, d’ailleurs, l’employ'e mod`ele, le bureaucrate parfait. Si son esprit d’initiative laissait `a d'esirer, il avait un respect profond des traditions qui suffisait, `a lui seul, `a lui valoir l’estime de ses chefs, la confiance de ses pairs et le haut emploi qu’il occupait `a Scotland Yard, en qualit'e de pr'esident du jury, `a voix pr'epond'erante, pour le recrutement et l’acceptation des policemen charg'es d’assurer le maintien de l’ordre dans la Capitale anglaise.
On l’appelait mister Chatham ; on s’inclinait en grandes courbettes devant lui, et il en concevait, souvent, beaucoup d’arrogance…
Scotland Yard, d’ailleurs, ressemble peu `a la Police francaise. Il ne s’agit plus l`a d’une administration telle qu’en concoit et en complique l’esprit francais, d’une administration subdivis'ee en quantit'e de bureaux comportant un chef, un sous-chef, un premier exp'editionnaire, etc., mais au contraire un rouage administratif pr'ecis, net, simple, o`u tout homme a une fonction bien d'etermin'ee, suffisante `a employer toute son activit'e et l’employant de son mieux.
C’est ainsi, par exemple, que les policemen – analogues `a nos gardiens de la paix – sont minutieusement choisis, `a Londres, `a la suite d’'epreuves rigoureuses qui permettent de s’assurer, avant leur nomination, de leur capacit'e.
Or, M. Chatham, ce matin-l`a, accompagn'e de deux autres de ses coll`egues, devait pr'ecis'ement proc'eder `a l’examen de quatre candidats.
Il venait d’examiner soigneusement les titres invoqu'es par les candidats, il avait v'erifi'e leur 'etat civil, leurs preuves d’honn^etet'e, maintenant il les conduisait avec ses coll`egues vers un gymnase o`u devaient avoir lieu les 'epreuves pratiques.
M. Chatham, descendu dans les sous-sols de Scotland Yard fit entrer les quatre futurs policemen dans une grande cave am'enag'ee de facon bizarre. Aux murs des agr`es de gymnastique, au fond de la salle des barres parall`eles, une 'echelle, une corde lisse, `a droite, un tremplin, avec une fosse remplie de li`ege en copeaux, contre le mur, des cibles.
— Le gymnase, messieurs !…
Et, tout de suite, Chatham ajouta :
— Vous savez, n’est-ce pas, pourquoi tout `a l’heure, dans mon cabinet, je vous ai fait distribuer des menottes ? vous ^etes pri'es, au cours de ces exercices pratiques, et `a l’improviste, de vous les passer les uns aux autres au commandement… Comme il n’y a que deux places `a prendre et que vous ^etes quatre… j’imagine que deux d’entre vous seulement arriveront `a passer les menottes `a leurs camarades… Ce sera une premi`ere 'elimination…
Les quatre candidats inclinaient la t^ete, souriant, trouvant l’'epreuve originale…
— Voyons, poursuivit M. Chatham qui faisait tout par lui-m^eme et paraissait, seulement pour la forme, consulter de temps `a autre d’un coup d’oeil rapide ses coll`egues, voyons, passons `a l’'epreuve des revolvers. Vous savez qu’il convient d’^etre tireur et bon tireur chez nous ?… Voici des armes, mod`ele d’ordonnance, prenez-les et, l’un apr`es l’autre, passez devant la cible… Vous d’abord, vous ^etes Belge ?
L’un des candidats s’avanca, hochant la t^ete affirmativement…
— Oui, pour une fois, monsieur, tu sais…
L’homme se campa sur la planche et, bien d’aplomb, d'echargea sur un carton les six balles de son arme. Deux mouches, trois noires, une balle hors cible…
— Pas trop mal ! fit M. Chatham, indulgent…
Et, prenant un autre revolver, il le tendit au second candidat :
— Vous ^etes Francais, mon ami ?
— Oui, monsieur…
— Bien. Allez…
Mais l’aspirant policeman, au lieu de tirer, traversait la salle, se dirigeant vers la cible :
— Eh bien ? demanda, surpris, le chef du jury, que faites-vous ?…
— Je cache la mouche…
Le candidat, en effet, retourna sur la plaque de t^ole le carton cible. Il revint alors prendre position au fond du stand et l`a, tranquillement, presque sans prendre le temps de viser, haussant six fois de suite le bras d’un mouvement r'egulier, il tira…
Les six balles trou`erent le carton, exactement en son centre, se couvrant l’une l’autre, 'emiettant la mouche, 'ecornant `a peine le noir !…
Un tonnerre d’applaudissements saluait cette performance. Pour M. Chatham, bon tireur lui-m^eme, il n’en croyait point ses yeux.
— Dieu gracieux ! murmurait-il, je comprends maintenant les 'eloges de vos anciens chefs, mon ami, je n’avais jamais vu tireur comme vous… vous recommenceriez ce tour d’adresse ?
— Je recommencerai, monsieur…