Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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French n’h'esita pas.
Se levant rapidement, il jeta quelque menue monnaie au garcon et gagnant la table o`u se trouvait le myst'erieux boucher, il vint d’un air naturel, lui poser la main sur l’'epaule :
— H'e ! vieux, appelait French du ton le plus faubourien qu’il p^ut prendre, cependant qu’interloqu'e, le boucher le regardait. Qu’est-ce que t’as donc `a roupiller ? 'Ecoute voir un peu : j’ai une affaire `a te proposer, veux-tu venir deux minutes avec moi ?…
Rapidement, la voix sifflante, French ajouta, br^ulant ses vaisseaux, car il 'etait maintenant persuad'e qu’il avait reconnu Juve :
— Vite, sortons. Je suis le d'etective French, police anglaise. Je vous ai reconnu, monsieur Juve, j’ai besoin de vous, mais pas un mot ici…
Et `a voix haute :
— Alors quoi ! c’est-y que tu dors encore, mon poteau ? t’as l’air vraiment de me regarder `a la facon d’une vache voyant un a'eroplane… h'e ! vieux fr`ere !
Franchement, en effet, le visage du boucher qu’interpellait ainsi le d'etective anglais, sans que d’ailleurs personne autour de lui y pr^it garde, respirait un profond ahurissement.
L’homme ne paraissait rien comprendre `a ce que lui disait French.
— Une affaire `a me proposer ?… faisait-il enfin. Qu’est-ce que vous me chantez l`a vous ? ne pas causer de ca ici ? pourquoi ? et puis pourquoi que vous me r'eveillez ? j’vous connais pas, moi… En voil`a des mani`eres, `a la fin ! qu’est-ce que que c’est que c’t’enfl'e-l`a !… les affaires, ca se traite le verre `a la main !… Soyez-vous ! on causera, si vous voulez… mais quoi, d’abord, comment que vous vous appelez ?…
Et cette fois, devant l’ahurissement du boucher, French eut une seconde de r'eel effroi.
Ah c`a ! s’'etait-il tromp'e ? n’'etait-il pas en face de Juve ? avait-il commis la gaffe abominable de s’adresser `a un r'eel membre de la p`egre ?
Fallait-il craindre qu’un scandale n’'eclat^at et que, d'enonc'e comme policier aux clients du Cabaret des 'Egorgeurs, il n’e^ut bient^ot `a d'efendre sa peau contre une vingtaine d’apaches… Non, non, il ne se trompait pas. Son oeil exerc'e de d'etective n’'etait point victime d’une ressemblance : c’'etait Juve ! c’'etait bien Juve…
Et pourtant l’homme r'ep'etait, inlassable :
— Eh bien ! j’vous dis, comment que vous vous appelez ? c’est-y que vous ^etes devenu muet `a c’te heure ? hein ? vous en faites, vrai, un dr^ole de particulier !
Il fallait 'evidemment prendre une d'ecision…
D’ailleurs une remarque rassurait French. Alors qu’il avait dit carr'ement :
Mais cependant…
Une second encore, French connut la plus cruelle ind'ecision… Que faire ?
— Soyons prudent, pensa-t-il… Partie remise n’est pas partie perdue…
Et reprenant son ton faubourien, `a son tour, il r'epondit :
— Ah ben quoi ! ne te f^ache pas, mon poteau, si je ne te r'eponds pas c’est que, vrai, j’en suis comme deux ronds de flanc… mince alors ! j’avais cru te reconna^itre ! j’t’avais pris pour un autre, pendant que tu roupillais !… Mais, maintenant, je vois que je me suis tromp'e… t’es pas le gars que je cherche… pardon…. excuse !…
Le boucher se vautra `a sa table, grommelant :
— En voil`a un louf ! s^ur qu’il est bu !… enfin…
Et, accoud'e, l’homme feignait de se rendormir. Pour French, mentalement, il se r'ep'etait :
— Juve ! c’est Juve ! j’en suis s^ur !… mais peut-^etre ne veut-il pas ^etre reconnu ? Ah ! nom d’un chien ! j’en aurait le coeur net !…
Tra^inant les pieds, parfaitement `a l’aise, French s’'eloignait pourtant vers la sortie du Cabaret des 'Egorgeurs.
— Nous verrons bien ! pensait-il, nous allons bien voir !
Le d'etective anglais d'ej`a venait d’inventer une ruse qui lui permettrait de savoir l’exacte identit'e du boucher, de ce boucher qu’il s’obstinait `a prendre pour Juve…
13 – SOMBRES PROJETS
— Quelle gonzesse, bon Dieu, quelle gonzesse. Si y a pas de quoi s’en couper le ventre en petits morceaux, je veux bien que le loup me croque en commencant par les pieds. Elle serait de la r’naque qu’elle ne ferait pas plus de magnes… les femmes… les femmes… vrai, on a beau ^etre `a la coule ca vous fait toujours baver des ronds de chapeaux… Mais qu’est-ce qu’elle veut cette girie-l`a ?…
Beaum^ome, qui se promenait sur la berge d'eserte de la Tamise, tout pr`es de London Bridge, 'etait d’humeur massacrante…
Il s’approchait d’un bec de gaz dont la lueur clignotante percait mal l’atmosph`ere de fum'ee et de brouillard, et il relut, s’arr^etant a chaque mot pour en peser le sens, la lettre que le matin m^eme, comme il venait de prendre le rhum, pour tuer le ver, au bar du Old Fellow, le patron de l’'etablissement lui avait remise. Cette lettre 'etait ainsi concue :
« Viens ce soir, `a 8 heures, sur les berges de la Tamise, pr`es de London Bridge, j’ai des choses graves `a te dire.
Nini
— Des choses graves `a me dire ! r'ep'eta l’apache qui s’impatientait, attendant Nini depuis plus d’une heure, qu’est-ce que ca peut-^etre des choses graves ? Elle n’est pas « faite » puisqu’elle m’'ecrit… Et tant qu’on n’est pas « fait », il n’y a rien de grave. Tout s’arrange…