Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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C’est une sorte d’Asni`eres gigantesque, un Orl'eans ou un Est-Ceinture d’une importance extr^eme.
Tous les trains, m^eme les plus grands rapides, qu’ils aillent dans un sens ou dans l’autre, marquent l’arr^et `a Willesden Junction.
Lorsque les convois qui montent vers le Nord de l’Angleterre se mettent en route, lentement, comme tous les trains anglais, remarquables par leur douceur de d'emarrage, le voyageur qui consid`ere le paysage `a travers les grandes glaces du compartiment voit, `a la sortie de la station, d'efiler devant ses yeux un joli panorama de banlieue verdoyante qui peu `a peu se transforme en pleine campagne.
En consid'erant les petites maisons align'ees, uniformes, puis les cottages isol'es les uns des autres, et enfin les propri'et'es de plus en plus grandes, on a l’impression de traverser successivement Neuilly, Bois-Colombes, Argenteuil et Poissy…
Le quartier de Willesden est 'eminemment calme et paisible.
Habit'e par de braves bourgeois tranquilles, le silence absolu s’y affirme d`es les premi`eres heures du cr'epuscule, et sit^ot la nuit tomb'ee, l’ombre envahit le quartier d’une facon universelle, on s’y couche de bonne heure et la plupart des int'erieurs sont 'eteints…
***
…Par une des larges avenues trac'ees dans ce quartier de repos, une femme envelopp'ee dans un manteau sombre cheminait ce soir-l`a avec une h^ate f'ebrile.
Elle semblait mal conna^itre la r'egion qu’elle parcourait et, comme la nuit 'etait tomb'ee, profitant de la lueur falote des ampoules 'electriques install'ees aux carrefours, elle 'etudiait avec attention les plaques indiquant le nom des rues.
C’'etait le soir, ou pour mieux dire la nuit qui suivait celle o`u Juve avait arr^et'e l’apache Beaum^ome, cependant que Nini Guinon, sans nouvelles de son complice, restait seule jusqu’au lever du jour dans l’appartement tragique o`u gisait, `a c^ot'e de son cercueil, le cadavre de Francoise Lemercier.
La promeneuse affair'ee s’engagea dans Rosendal Avenue.
C’'etait 'evidemment l’itin'eraire qu’elle devait suivre, elle reconnaissait son chemin, car, d'esormais, malgr'e l’obscurit'e, elle avanca d’un pas plus assur'e.
Parvenue `a l’extr'emit'e de l’avenue, la promeneuse avisa la derni`ere maison, et d’une main qui tremblait l'eg`erement, elle appuya sur le bouton de la sonnette plac'ee `a c^ot'e de l’entr'ee du jardin.
Ayant sonn'e deux fois, elle vit la grille s’ouvrir, d'eclench'ee par un mouvement automatique.
D'elib'er'ement la visiteuse p'en'etra dans la propri'et'e.
Elle avisa au fond du parc une masse sombre : c’'etait la maison vers laquelle elle allait se diriger.
Par les all'ees sem'ees de gravier que faisaient crisser les pas, elle se rapprocha de l’immeuble.
Le jardin 'etait vide. Aucun autre bruit que celui de la marche saccad'ee de la promeneuse.
Le porche de l’habitation, vers lequel elle se dirigeait, 'etait 'eclair'e par un rayon de lune qui faisait miroiter la plaque de cuivre, recouvrant la derni`ere marche du perron.
Les grands arbres, de part et d’autre de l’all'ee frissonnaient avec un bruissement doux sous la caresse d’un vent ti`ede.
La visiteuse 'etait arriv'ee.
De sa main finement gant'ee, elle frappa trois coups `a la porte, et au bout de quelques instants celle-ci s’entrouvrit sur un trou noir.
L’int'erieur de la maison n’'etait pas 'eclair'e.
Une voix dans l’ombre murmura ce simple mot :
— Daniel…
Et l’arrivante, d’un ton mal assur'e, r'epondit :
— Francoise…
La porte qui s’'etait seulement entreb^aill'ee s’ouvrit plus grande, la voix qui venait de l’int'erieur reprit :
— Entrez, madame…
La visiteuse ob'eit, la porte se referma sur elle. L’arrivante sentit alors qu’on lui prenait la main, et qu’on la conduisait `a t^atons.
Une autre porte grinca, et la visiteuse eut l’impression que l’on passait du vestibule dall'e de mosa"ique, dans une pi`ece au sol garni d’un tapis.
Tant de myst`ere l’inqui'etait, et elle ne put s’emp^echer d’observer `a mi-voix :
— Comme il fait noir, pourquoi n’a-t-on pas de lumi`ere ici ?
La myst'erieuse personne qui avait introduit ainsi l’'enigmatique nouvelle venue tint compte de la remarque qui lui 'etait faite, car un instant apr`es on entendit le claquement sec d’un commutateur 'electrique, et la pi`ece s’'eclaira.
Dans un salon coquettement d'ecor'e de meubles clairs, aux formes 'el'egantes, les deux femmes se d'evisag`erent.
Toutefois celle qui venait d’ouvrir `a l’autre, en apercevant sa visiteuse, laissa 'echapper un grand cri de stup'efaction :
— Nini Guinon, s’'ecria-t-elle…
Nini Guinon, car c’'etait elle, en effet, qui venait d’arriver dans la maison solitaire de Rosendal Avenue, parla `a son tour.
— Mais qui ^etes-vous, demanda-t-elle, en apercevant la personne qui venait de la reconna^itre…
Nini Guinon 'etait en face d’une grande femme, jeune, 'el'egante et mince, dont l’abondante chevelure blonde avait des reflets 'etincelants d’or fauve.
Cette femme avait une ligne majestueuse, une silhouette admirable. Instinctivement, on 'etait tent'e de dire qu’elle avait un port de reine.
Ces traits, cette tournure, Nini Guinon, peu `a peu croyait pouvoir les identifier. Elle connaissait cette physionomie, ce visage.
Elle creusa sa m'emoire, et soudain la lumi`ere se fit dans son esprit.
— Madame Garrick… vous ^etes madame Garrick… n’est-ce pas ?
La grande dame blonde ne broncha pas, mais un imperceptible tremblement confirma Nini Guinon dans sa supposition.
— Pourquoi est-ce vous ? comment se fait-il que je vous trouve ici, chez moi, alors que j’attendais Francoise Lemercier ?…