Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Beaum^ome bondit sous l’outrage.
— Pas assez costaud… non, mais tu ne m’as pas regard'e… Sais-tu que j’ai du coeur au ventre, et pas froid dans les yeux, surtout quand j’ai quelqu’un dans le nez… J’en avais ma claque, de ce French… deux ou trois fois il m’avait poiss'e pour des b^etises de rien… Aussi, quand la Nini Guinon m’a dit : « Faudrait voir `a lui faire un sort, `a c’t’homme l`a », je n’ai pas h'esit'e `a le d'ebarquer par-dessus bord pour le donner `a nourrir les poissons… Ah, ca n’a pas 'et'e long… quel plongeon il a fait, du haut du bateau, dans la grande tasse…
— Du boniment, dit l’autre, des histoires.
Beaum^ome qui continuait `a boire, ne l’entendait pas de cette oreille.
— Non, mais de quoi ?… c’est-y que je n’ai pas l’air d’un mec `a la redresse ?… Flanquer un homme `a l’eau… ca n’est rien, un enfant qui vient de na^itre vous arrangerait cela… D’ailleurs, poursuivait-il, on a fait du plus beau travail, nous deux Nini…
Juve qui, jusqu’alors, avait sembl'e dormir, s’'etira lentement, comme s’il se r'eveillait…
— Du plus beau travail ?… c’est `a savoir… t’en serais capable ?
C’en 'etait trop.
Beaum^ome, lanc'e, gris'e et de plus en plus content de lui, raconta avec la plus parfaite imprudence tout ce qu’il savait.
Il vida la bouteille d’abord, puis d’une voix p^ateuse, s’embarrassant dans des phrases trop longues, m'elangeant le francais et l’anglais, escamotant les mots difficiles `a prononcer, il raconta jusque dans ses plus infimes d'etails, le lent empoisonnement de la malheureuse Francoise Lemercier, crime dont il s’attribuait la plus grande part pour se donner une importance, mais dont le principal auteur 'etait, en r'ealit'e, Nini Guinon.
Juve avait 'ecout'e, avec la plus grande attention le monologue de Beaum^ome.
Il lui posa une derni`ere question :
— Mais pourquoi avez-vous refroidi la Francoise Lemercier ? c’est-y qu’elle te g^enait ou qu’elle embarrassait Nini Guinon ?
Beaum^ome prit un air myst'erieux pour r'epondre :
— C’est l`a des choses que tu ne peux pas comprendre… des affaires compliqu'ees, mais je peux bien te dire que si la Nini Guinon a d'emoli la Francoise, c’est rapport au sal'e… Une gonzesse de la haute avait 'ecrit `a la Lemercier qu’elle allait lui restituer son gosse… Or, le gosse de la Lemercier, le m^ome Daniel, c’'etait comme qui dirait, depuis la mort de l’enfant de Nini, son remplacant… le remplacant du petit Jack… Mais ce n’est pas la peine que je t’explique… tu ne peux pas comprendre… l’autre non plus…
Ce que disait Beaum^ome 'etait exact en ce qui concernait l’agent de police charg'e de l’espionner. Il ne comprenait rien, en effet, `a cette histoire embrouill'ee, mais Juve, lui, avait tr`es bien saisi, et la lumi`ere se faisait dans son esprit…
Parbleu, l’affaire 'etait claire, et
Juve se sentait 'emu, brusquement, la clef du myst`ere allait ^etre en sa possession.
— La gonzesse, r'ep'etait Beaum^ome d’une voix de plus en plus embarrass'ee, la gonzesse de Willesden, elle a bien roul'e Nini… et c’est ce qui m’a fait rigoler…
— La « gonzesse de Willesden »… voil`a d'ej`a une indication, pensa Juve, l’indication du quartier o`u habite cette femme.
`A tout hasard, il affirma, plaidant le faux pour savoir le vrai :
— Celle qui demeure dans Wilbur street… pas vrai, Beaum^ome ?
— Pas du tout, je vois bien que tu n’y comprends rien, `a cette histoire-l`a… La gonzesse de Willesden n’habite pas dans Wilbur street, mais, au contraire, dans Rosendal avenue… Si tu connais ce quartier-l`a, c’est la derni`ere maison avant le pont du chemin de fer…
Juve, notant le renseignement, s’efforcait de demeurer impassible.
En r'ealit'e, il 'eprouvait une joie immense. D'ecid'ement, ses enqu^etes marchaient bien… Non seulement il venait d’arr^eter Beaum^ome, de d'ecouvrir l’horrible crime de Nini Guinon, mais encore il avait la conviction que la grande dame de Willesden, qui d'etenait l’enfant de Francoise Lemercier, ne pouvait ^etre autre que… lady Beltham.
L’aube pointait. Beaum^ome parlait toujours.
Mais, peu `a peu, les vapeurs de l’ivresse s’appesantirent sur son esprit.
La langue dess'ech'ee, la gorge br^ulante, les paupi`eres lourdes, Beaum^ome s’affala sur le sol et s’endormit comme une masse.
Ses compagnons alors se lev`erent, sortirent de la cellule que leur ouvrit doucement un gardien…
…Et tandis que Juve s’entretenait longuement avec le sergent, l’inspecteur qui avait pass'e la nuit en compagnie de Beaum^ome pour cuisiner le prisonnier commencait un rapport accablant.
26 – JUSTICI`ERE ET COMPLICE
Les trains du Northwestern Railwayqui partent de Euston Station `a Londres pour aller desservir l’'Ecosse enti`ere, traversent, avant de s’enfoncer dans la verte campagne, une banlieue pittoresque peupl'ee de jolis cottages, entour'ee de grands arbres.
Cette r'egion septentrionale de Londres est quelque peu accident'ee, et la voie du chemin de fer passe fr'equemment `a travers des tranch'ees, et m^eme sous des tunnels.
Au bout de dix minutes, le train, qui n’a pas encore pris son 'elan d'efinitif, ralentit sensiblement puis s’arr^ete le long des quais d’une vaste gare, g'en'eralement silencieuse et d'eserte, dont le nom se d'ecouvre difficilement sur les murs au centre d’affiches multicolores innombrables.
C’est Willesden Junction, gare de raccordement de la ligne du Nord, avec les voies des autres Compagnies ; gare gr^ace `a laquelle certains trains peuvent contourner la capitale de l’Angleterre sans avoir `a p'en'etrer dans l’int'erieur de la ville.