Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Il s’appelait Jo'e Lamp, et c’'etait le patron de Dame Betty. Au surplus, il n’y avait pas `a se tromper sur sa r'eelle qualit'e, `a la facon dont il r'eprimandait, brutal et col'ereux, sa fid`ele femme de charge.
— Quoi ! criait-il, il est huit heures six et vous songez seulement, femme paresseuse que Dieu damnera, `a servir la pratique… Dieux Gracieux ! Cela ne m’'etonne point, maintenant, que les affaires soient de moins en moins bonnes. Parbleu, comme de mon temps, j’imagine, les bonbons et les jouets doivent s'eduire les enfants, et s’il s’en vend moins, c’est que les marchands de votre sorte suffiraient `a mettre en fuite la client`ele. Vous imaginez-vous donc, Betty, qu’`a Jackson Coll`ege, les professeurs vont autoriser les 'el`eves `a sortir pendant les cours, pour vous acheter des sucreries ? Ne pouvez-vous faire l’effort n'ecessaire pour ^etre pr^ete `a les recevoir lorsqu’ils se rendent `a l’'ecole ?
Dame Betty haussa les 'epaules et avec cette familiarit'e qui est l’apanage des vieux serviteurs, r'epondit :
— Vous avez tort, Jo'e Lamp, de vous mettre ainsi en col`ere… Je n’ai manqu'e aucun client et vous voil`a tout congestionn'e.
— Ca ne vous regarde pas, Betty, allez plut^ot vous occuper de vos caramels.
La vieille servante joignit les mains…
— Si c’est Dieu possible, dit-elle, mais, oui, vraiment, cela vous jouera un mauvais tour… Vous n’^etes pas de sant'e si solide… Et avec le m'etier que vous faites.
— Le m'etier que je fais ne vous regarde pas.
— Je m’en flatte, monsieur Jo'e…
— Et moi, Dame Betty, je vous ordonne de vous taire.
Le m'etier de Jo'e Lamp dont parlait, avec tant d’horreur, Dame Betty, 'etait l’un des plus fr'equents sujets de discussion entre la m'enag`ere et son ma^itre.
Jo'e Lamp n’'etait pas seulement marchand de bonbons et de jouets. De sa boutique il ne tirait que de maigres revenus, et pourtant, commun'ement, dans tout Broadway on e^ut affirm'e qu’il 'etait riche, qu’il poss'edait de nombreux sacs de souverains, de nombreuses liasses de bons banknotes, encore quelques
Jo'e Lamp en effet, bien que petit, faible, col'ereux et ch'etif, moralement et physiquement, exercait depuis trois ans, une profession…
Lui qu’on voyait paisiblement d'ebiter aux enfants de l’'ecole des polichinelles de six pence, des caramels ou des bonbons `a la menthe, rev^etait `a certains matins un veston noir de mauvaise coupe, mais d’allure officielle. Ces matins-l`a, Dame Betty se signait `a tout bout de champ. Elle invoquait l’autorit'e des pasteurs pour se garantir des revenants, auxquels elle croyait avec plus de sinc'erit'e qu’elle ne croyait `a Dieu : elle 'etait boulevers'ee, elle ne pouvait tirer de sa pens'ee l’image de son ma^itre, filant le long des rues vers le lointain quartier de la prison de Pentonville, de cette prison o`u il se rendait alors pour exercer son terrible office de bourreau.
Alors qu’en France M. de Paris est un objet d’effroi, un personnage myst'erieux, horrifiant, le bourreau jouit en Angleterre de l’estime et de la consid'eration publique. Il passe, en g'en'eral, pour un fonctionnaire des plus ordinaires, faisant un m'etier d’importance quelconque, le faisant bien ou mal, et m'eritant seulement pour cela la consid'eration ou la r'eprobation publique.
Or la malchance, le destin avait voulu que pr'ecis'ement `a l’'egard de la profession du bourreau, Dame Betty n’eut en rien les sentiments ordinaires. Tout le monde consid'erait Jo'e Lamp, tout le monde le f'elicitait d’avoir su devenir l’ex'ecuteur des hautes oeuvres, seule Dame Betty marquait `a chaque occasion possible l’horreur que lui inspirait ces fonctions.
Or, depuis quelques jours, Dame Betty, plus que jamais, se montrait irritable. Dame Betty, d'ej`a, tremblait, en songeant qu’`a coup s^ur, d’un matin `a l’autre, elle allait encore voir son ma^itre rev^etir le sinistre veston noir et s’en aller `a Pentonville nouer autour du cou du condamn'e la corde fatale qui devait le faire passer de vie `a tr'epas…
Jo'e Lamp pourtant n’'etait pas homme `a se laisser intimider.
— Allons, allons, dit-il, je n’ai que faire de vos stupides r'eflexions. Occupez-vous donc, ma ch`ere, encore une fois, je vous l’ordonne, de votre commerce.
La vieille servante qui se permettait ainsi de discuter les opinions de son ma^itre regagna la boutique, suivie de Jo'e Lamp.
Visiblement, d’ailleurs, ce dernier 'etait pr'eoccup'e. Tandis que la vieille bonne, enfin ob'eissante, disposait `a l’'etalage le caramel qui devait servir, plus que tout autre friandise `a attirer les disciples de Jackson Coll`ege, Jo'e Lamp, t^ete basse, se promenait de long en large dans la boutique.
Il grommela bient^ot quelque chose d’`a peu pr`es inintelligible, puis il appela encore :
— Betty ?
— Monsieur.
— Pourquoi ^etes-vous si sottement peureuse, et si sottement stupide ? Pourquoi me reprochez-vous toujours d’avoir accept'e d’^etre bourreau ? Savez-vous que cette charge me rapporte gros, et que j’ai pr'ecis'ement l’intention d’augmenter vos gages, d’ici quelque temps, de deux shillings par mois ?
La proposition 'etait si extraordinaire que Dame Betty, de saisissement, abandonnait sa t^ache et, les poings sur les hanches, consid'erait son ma^itre.
— M’augmenter ? dit-elle. Seigneur Dieu, ce serait il possible ?… Voici quinze ans que je suis `a votre service et jamais vous n’aviez parl'e de pareille chose.
Puis, subitement soupconneuse, Dame Betty reprit :
— Mais vous savez bien, monsieur Jo'e, que je ne veux pas de cet argent-l`a ?
— De quel argent, Dame Betty ?
— De l’argent que vous gagnez `a faire sonner la cloche `a Pentonville.
Jo'e Lamp tapa du pied :
— H'e ! qui vous parle de cela, vieille folle ? Ce que je gagne avec ma corde est pour moi et non pour vous, j’en ai la peine, je dois en avoir le profit. Mais, continua-t-il d’un ton plus doux, il y a, vous ne l’ignorez pas, des cas o`u je puis avoir un petit b'en'efice, pour des services exceptionnels, par exemple. Et comme alors je pourrais avoir besoin de vous…
— Besoin de moi ? des petits b'en'efices ? Monsieur Jo'e Lamp, que voulez-vous dire ?