Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Nini Guinon prit une mine hypocrite, elle feignit un air d'esol'e :
— Francoise Lemercier, murmura-t-elle, madame n’est plus de ce monde… elle est morte hier… elle m’a charg'e de la remplacer aupr`es de vous…
M meGarrick – ou tout au moins cette femme que Nini Guinon avait identifi'ee comme telle, sur la foi de sa ressemblance avec les portraits publi'es par les journaux de la femme disparue, – eut un rire ironique, et d’une voix fr'emissante d’indignation, elle apostropha son interlocutrice :
— Nini Guinon, dit-elle, vous ^etes un monstre… si Francoise Lemercier est morte, c’est parce que vous l’avez assassin'ee… Ah, j’ai 'et'e pr'evenue trop tard… il aurait fallu agir plus t^ot…
Nini Guinon pinca les l`evres, serra les poings.
Peut-^etre l’horrible femme regrettait-elle son audace, peut-^etre maintenant qu’elle se sentait d'ecouverte, d'emasqu'ee, craignait-elle d’^etre tomb'ee dans un pi`ege tendu par un redoutable adversaire, par quelque subtil justicier…
Nini Guinon paya d’audace :
— Je viens chercher, dit-elle, l’enfant de Francoise Lemercier…
Nini Guinon fit quelques pas vers la pi`ece voisine, o`u elle venait d’apercevoir, sommeillant sur un fauteuil, le jeune enfant de la malheureuse d'efunte.
Mais son interlocutrice se jeta devant elle, l’emp^echait de passer :
— Nini Guinon, d'eclara-t-elle, c’est assez d’avoir vol'e Daniel une premi`ere fois, vous ne recommencerez pas…
Nini Guinon p^alit affreusement… Cette femme savait donc tout… Qui pouvait-elle bien ^etre ?
Mais Nini Guinon, soudain, eut un 'eclair.
Les derni`eres paroles de la grande femme blonde venait d’orienter son raisonnement, elle avait d'esormais le souvenir, de plus en plus pr'ecis d’une silhouette myst'erieuse… de la silhouette de la personne qui, quinze jours auparavant, une certaine nuit, alors que Nini Guinon 'etait ivre et reposait sur son grabat, gorg'ee de whisky, 'etait venue lui enlever le petit Daniel que jusqu’alors Nini Guinon faisait passer pour Jack.
Perdant toute mesure, la meurtri`ere de Francoise Lemercier menaca son interlocutrice :
— Ah ! je sais maintenant, s’'ecria-t-elle, je sais tout… C’est vous qui avez pris Jack, c’est vous qui m’avez vol'e mon fils… Rendez-le moi… Madame qu’en avez-vous fait ?
La grande dame ne se laissa pas intimider par les impr'ecations de Nini Guinon.
— Eh bien oui, reconnut-elle, c’est moi… c’est moi qui ait 'et'e reprendre Daniel chez vous, Nini Guinon, car je sais aussi que le petit Jack est mort, et que pour tromper votre mari, vous avez fait passer Daniel `a sa place…
— Mis'erable, cria Nini Guinon qui se pr'ecipita sur la grande dame, vous me perdez…
Celle que Nini Guinon prenait, `a juste titre peut-^etre pour M meGarrick ne recula pas, et toisant d'edaigneusement l’abominable pierreuse :
— C’est possible, fit-elle… je vous perds, mais vous le m'eritez…
— L’enfant, je veux l’enfant…
— Inutile, vous ne l’aurez pas, et, l’auriez-vous, qu’il ne vous servirait `a rien. Lord Duncan est pr'evenu de l’horrible substitution que vous avez faite…
— Pr'evenu… hurla Nini Guinon… par qui ?…
— Pr'evenu par moi.
Ces paroles 'etaient tomb'ees comme un glas. Il y eut un silence.
Mais soudain, l’interlocutrice de Nini Guinon poussa un cri de terreur.
La pierreuse, trompant la surveillance dont elle 'etait l’objet, avec la rapidit'e de l’'eclair s’'etait 'elanc'ee dans la pi`ece voisine o`u sommeillait le petit Daniel.
Elle 'etait arm'ee d’un poignard.
Nini Guinon, au paroxysme de la col`ere, se pr'ecipita sur l’enfant, et dans un geste affreux, lui perca la poitrine de l’arme dont elle s’'etait empar'ee.
Daniel ne poussa pas un soupir, mais un flot de sang rouge jaillit de sa blessure, cependant que soudain ses l`evres blanchissaient…
— Voil`a, hurla Nini Guinon… vous n’avez pas voulu me le rendre. Il ne sera pas `a vous non plus…
Nini Guinon n’acheva pas.
Une d'etonation retentit, la mis'erable s’'ecroula sur le plancher en poussant un cri.
Son interlocutrice venait de la foudroyer d’un coup de revolver `a bout portant…
D'esormais sur le tapis moelleux du salon, le sang de Nini Guinon venait se m^eler `a celui de l’innocente victime, que la mis'erable avait assassin'ee, l’instant pr'ec'edent, pour assouvir sa rage folle.
Mais `a la vue de ces deux cadavres la femme blonde p^alit `a son tour, manqua d'efaillir en consid'erant le spectacle.
Ainsi donc, en l’espace de quelques instants, deux ^etres avaient trouv'e la mort. Ce salon d'elicat, charmant, meubl'e avec go^ut, une v'eritable bonbonni`ere, devenait brusquement le th'e^atre du plus affreux carnage.
La grande dame s’appuyait au chambranle de la porte, sentant ses jambes se d'erober sous elle :
— Qu’a-t-elle fait, g'emit-elle, la malheureuse qu’a-t-elle fait ?…
Puis elle murmurait encore :
— Et moi-m^eme, qu’ai-je fait ?
— … Vous avez fait justice, madame, d'eclara une voix grave.
La meurtri`ere se retourna, et cette fois `a la vue du personnage qui se pr'esentait devant elle, elle demeura muette de terreur.
Le nouvel arrivant la consid'erait impassible, les bras crois'es.
La femme blonde s’effondra, elle tomba `a genoux dans le sang :
— Juve, fit-elle… c’est vous… Juve… comment ^etes-vous ici ?…