Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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« Celui-ci, qui couche dans la chambre voisine, d'eclare n’avoir rien entendu alors que M me Drapier, qui habite l’autre extr'emit'e de l’appartement, a 'et'e r'eveill'ee par des bruits suspects. Premi`ere invraisemblance. M. L'eon Drapier est un homme fort bien constitu'e et qui n’est aucunement atteint d’une infirmit'e connue sous le nom de surdit'e !
« Pourquoi donc M. L'eon Drapier n’a-t-il rien entendu ?
« Oh ! la chose est fort simple ! M. Drapier n’a pas voulu entendre. M. Drapier, au surplus, pendant une bonne partie de la nuit, 'etait absent de son domicile. O`u 'etait-il, M. Drapier ?… Il 'etait chez une certaine demoiselle Poucke, connue dans la galanterie sous le nom de Paulette de Valmondois. C’'etait sa ma^itresse, et M. Drapier en 'etait fort jaloux. Quelle fut, au cours de cette nuit, la conversation intervenue entre M lle Poucke, dite Paulette de Valmondois, et son amant M. L'eon Drapier ? Nul ne le sait, mais il faut croire que M. L'eon Drapier apprit certaines choses et notamment les relations qui existaient entre la demoiselle et son nouveau valet de chambre Firmain. Il a cru, `a tort d’ailleurs, que Firmain 'etait l’amant de sa ma^itresse. M. Drapier est alors rentr'e chez lui. C’est un homme vif et col'ereux.
« Il a trouv'e dans son cabinet ce Firmain qui y faisait je ne sais trop quoi, les deux hommes se sont disput'es, battus, M. L'eon Drapier a eu le dessus… il a assassin'e le domestique !
— Qu’en dites-vous, monsieur ? hurla L'eon Drapier.
— Je dis, poursuivit l’homme qui r'epondait au nom de Mix, il n’est que huit heures trente-trois et j’ai encore deux minutes `a vous consacrer pour mon discours, conform'ement `a mon programme fix'e… La police survient, ne comprend rien `a ce qui s’est pass'e et M. L'eon Drapier se rassure, au fur et `a mesure que s’'ecoulent les heures qui succ`edent au drame.
« Toutefois, lorsqu’il vient chez sa ma^itresse, il lui fait une sc`ene 'epouvantable et lui reproche les faux certificats gr^ace auxquels Firmain a pu s’introduire chez M. Drapier.
« M. Drapier, qui n’est pas mauvais homme `a l’ordinaire, voit rouge, sit^ot qu’il s’agit d’un danger couru par sa propre tranquillit'e personnelle. Il apprend que Firmain 'etait, non point l’amant de sa ma^itresse, mais le fr`ere de cette femme. Il se rend compte qu’elle va ^etre interrog'ee si ce n’est d'ej`a fait, qu’elle va parler, r'ev'eler qu’elle 'etait la ma^itresse de M. L'eon Drapier ; une altercation s’ensuit, M. L'eon Drapier tire sur Paulette de Valmondois et s’enfuit terrifi'e, tr`es heureux que la police, d'ecid'ement bien maladroite, prenne le drame pour un vulgaire suicide…
Une fois encore L'eon Drapier interrompit.
— Ah c`a, monsieur, c’est de la pire folie ! Vous imaginez tout cela ! Votre roman ne tient pas debout ! Car c’est un roman…
M. Mix regardait la pendule, il articula `a mi-voix :
— Huit heures trente-quatre et demie, encore trente secondes !… C’est effectivement un roman, monsieur, mais un roman parfaitement plausible et je sais qu’`a l’heure actuelle c’est la version officielle qui pr'evaut dans les milieux policiers !
« Il y a en outre des preuves qui paraissent convaincantes `a votre 'egard !
« On a mis sous scell'es, aussi bien chez vous que chez Paulette de Valmondois, des objets qui vous appartiennent. Lorsque la justice reconstituera les deux crimes, vous y serez si directement m^el'e qu’il faudra bien que vous fournissiez des explications aux magistrats… Encore quatorze secondes ! Si je vous parle, monsieur Drapier, c’est parce que je sais que d’ici demain matin vous serez inculp'e d’un double crime. Encore dix secondes !… et que je suis le seul homme capable qui peut vous tirer d’affaire, car seul je poss`ede les preuves de votre innocence. Encore trois secondes pour les derniers mots !… et que seul je suis capable de les faire valoir !
« Les cinq minutes sont 'ecoul'ees, monsieur Drapier, vous avez jusqu’`a huit heures quarante pour r'efl'echir sur la situation !
« De deux choses l’une : ou vous allez vous d'ebattre entre les magistrats, les inspecteurs de la S^uret'e, le Parquet et les fonctionnaires de votre administration, ou vous allez en vous confiant `a moi 'eviter d’^etre m^eme inqui'et'e un seul instant…
« De deux choses l’une : ou vous allez risquer un scandale et le divorce ensuite, la perte de l’h'eritage de votre tante enfin, si l’on apprend que vous 'etiez l’amant de Paulette de Valmondois, ou alors gr^ace `a moi, nul ne pourra jamais d'eclarer que M. L'eon Drapier a 'et'e, f^ut-ce cinq minutes, en relations avec la fille Poucke !
« Vous ne risquez rien `a m’employer, d'ecidez-vous, monsieur Drapier !
Quelques instants, le directeur de la Monnaie demeurait profond'ement perplexe.
Il se m'efiait de cet individu qu’il ne connaissait point, et d’autre part l’homme parlait avec une telle assurance, il venait de formuler une chose si juste que, malgr'e lui, M. Drapier 'etait bien tent'e de lui accorder sa confiance.
— Apr`es tout, qu’est-ce que je risque ? se disait-il. Il n’est pas interdit d’avoir un homme d’affaires lorsqu’on a des soucis dans une entreprise commerciale, et je ne crois pas qu’il soit mals'eant d’avoir son d'etective priv'e si, d’aventure, on risque des ennuis avec la justice criminelle !… Cet homme doit avoir raison. Il m’offre ses services, si je le paye, il me sera d'evou'e.
L'eon Drapier n’'etait pas l’homme des h'esitations longues.
Il se tourna vers Mix et lui d'eclara :
— Monsieur, c’est une affaire entendue. Vous me proposez la d'efense de mes int'er^ets. Vous avez, dites-vous, d’excellents arguments, non point pour prouver mon innocence, c’est inutile, je ne suis pas criminel, mais pour que ma mise hors de cause s’effectue sans scandale. Eh bien, soit ! je suis d’accord avec vous, j’accepte votre proposition…
Pas un muscle du visage de M. Mix ne bougea.
— C’est bien ! fit-il, nous sommes d’accord ! Mille francs par mois, trois mois garantis, vous allez me faire un papier.
Il regardait la pendule.
— Nous avons d'ej`a gagn'e deux minutes sur l’horaire. Il n’est que huit heures trente-huit au lieu de huit heures quarante !
M. Mix, plus imperturbable, ajoutait encore :
— Nous avons donc sept minutes pour r'ediger le contrat, c’est plus qu’il n’en faut !
— Dr^ole d’homme ! pensa M. Drapier.
M. Mix, cependant, s’'etait lev'e. Les bras crois'es, il allait et venait dans la pi`ece, semblant r'efl'echir profond'ement. Enfin il articula :
— Mettons-nous en r`egle d’abord ! Voulez-vous 'ecrire sous ma dict'ee, monsieur Drapier ?
Et, comme le directeur de la Monnaie prenait une plume en h'esitant, Mix le rassura :
— Il s’agit simplement du petit engagement de me payer mes appointements, et non d’autre chose. Vous ne risquez rien `a mettre sur ce papier blanc : Je soussign'e, m’engage `a payer `a M. Mix, pour ses bons services, la somme de mille francs par mois, et ce, pendant trois mois cons'ecutifs.Veuillez dater et signer, monsieur L'eon Drapier.