Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Na"ivement, la petite bonne normande formulait `a Juve la question que depuis quelques instants le policier se posait `a lui-m^eme.
Il 'etait assez perplexe, 'etonn'e de ce qu’il venait d’entendre ; toutefois les choses commencaient `a se pr'eciser dans son esprit. Il lui apparaissait d'esormais 'evident, certain, que trois hommes 'etaient venus successivement voir Paulette de Valmondois.
Le premier c’'etait lui, le dernier L'eon Drapier. Quand au second, le mal poli, comme disait la bonne, l’homme au visage dissimul'e par son collet de manteau et son chapeau, celui qu’on n’avait point vu sortir de l’appartement, c’'etait l’inconnu, c’'etait le myst`ere…
— Ce que j’en pense ? r'epondit Juve, mais pas grand chose, ma petite. Ce que je vous en ai dit, c’est histoire de bavarder.
La Normande 'etait enchant'ee de l’importance qu’elle prenait dans l’aventure. Elle avait encore soif, mais cette fois elle demanda `a la concierge :
— Encore du vuln'eraire !
Elle y prenait go^ut d'ecid'ement. Juve la consid'era d’un oeil de piti'e.
— Pauvre petite gamine ! pensa-t-il. Encore une qui aurait bien mieux fait de garder ses vaches dans sa campagne que de venir `a Paris o`u elle se perdra, t^ot ou tard.
Juve, cependant quittait la loge, non sans avoir, comme on dit vulgairement, graiss'e la patte `a la concierge pour la f'eliciter de la facon adroite dont elle s’'etait comport'ee pendant cet interrogatoire que Juve faisait clandestinement subir `a la Normande.
Le policier se disposait `a monter d'esormais `a l’appartement de Paulette, mais `a peine 'etait-il engag'e dans l’escalier qu’il dut reculer.
Des hommes descendaient lentement, portant une civi`ere qu’ils avaient grand-peine `a faire passer dans les tournants brusques de l’escalier.
Juve recula, se dissimula dans un angle du vestibule ; la civi`ere passa devant lui.
Le policier eut tout le temps d’observer la malheureuse qui se trouvait sur ce lit de douleur.
C’est `a peine s’il reconnaissait la s'eduisante jeune femme qu’il avait vue, quelques heures auparavant, si coquettement attif'ee, si gracieuse dans son d'eshabill'e d’int'erieur.
Ses joues fra^iches n’avaient plus leur coloration rose et velout'ee. Ses yeux p'etillants 'etaient clos, les paupi`eres s’'etaient abaiss'ees, dissimulant l’'eclat des prunelles, et lorsque l’une d’elles s’entrouvrait, elle laissait filtrer un regard vitreux, sans expression.
Ses l`evres 'etaient toutes p^ales, et les cheveux de la malheureuse, au lieu d’^etre savamment 'ebouriff'es sur ses tempes, 'etaient tir'es en arri`ere, natt'es par les soins d’une infirmi`ere. Son front apparaissait bas et fuyant, compl`etement d'enud'e.
'Etendu sur la civi`ere, le joli corps de Paulette de Valmondois semblait n’^etre plus qu’une loque informe, sans consistance et sans gr^ace.
Un vague g'emissement ininterrompu partait de cette d'epouille que la plupart des assistants s’accordaient `a consid'erer comme une d'epouille mortelle.
— Elle n’est pas encore d'ec'ed'ee, chuchotaient les comm`eres qui surgissaient de tous les c^ot'es, mais elle n’en vaut gu`ere mieux !
— Une balle de revolver dans la poitrine, ca ne pardonne pas !
On avait jet'e sur la malheureuse une sorte de grand drap qui ressemblait `a un suaire. Elle 'etait `a demi-nue sous ce drap.
Au moment o`u la civi`ere passait devant Juve, celui-ci s’approcha de la bless'ee et voulut soulever ce drap afin de voir la plaie, mais l’une des deux infirmi`eres qui 'etaient l`a l’en emp^echa brusquement.
— Voyons, monsieur ! gronda-t-elle, que faites-vous ?
Juve s’excusait.
— Pardon ! fit-il, j’aurais voulu observer quelque chose sur la plaie elle-m^eme.
L’infirmi`ere paraissait suffoqu'ee.
— Et qui ^etes-vous donc, pour vous permettre de vous occuper de ces choses-l`a ?
Juve allait se nommer, il n’en fit rien.
— Je le saurai toujours ! se dit-il.
Et d`es lors, renoncant `a son premier projet, dont il ne pr'ecisait point le but ni l’importance, Juve, laissant les porteurs emmener leur malade dans la voiture d’ambulance, grimpait `a l’appartement de Paulette de Valmondois, o`u il se trouva soudain face `a face avec M. Havard, son chef.
Celui-ci tendit les mains cordialement au policier.
— Eh bien ! mon cher Juve, vous voil`a enfin !
Et il ajoutait avec une ironie satisfaite :
— Par exemple, vous arrivez comme les carabiniers… En retard de deux heures, Juve !… Deux heures, ce n’est rien dans l’existence d’un homme ! C’est encore moins dans l’histoire des si`ecles, c’est 'enorme lorsqu’il s’agit d’une enqu^ete de police !… Enfin, que voulez-vous ! On ne peut pas ^etre partout `a la fois !… Heureusement que vous avez un chef de la S^uret'e qui se d'eplace, et c’est pourquoi, mon cher Juve, je m’en vais pouvoir vous donner quelques renseignements sur le drame qui vient de se produire !
Juve acceptait sans broncher les ironies railleuses de M. Havard.
Celui-ci ne dissimulait pas sa satisfaction d’^etre arriv'e le premier sur les lieux du drame ; Juve ne pr'etendait point lui contester cette vaine gloire.
— Mon cher, articula M. Havard, la chose est des plus simples. Cette petite demi-mondaine 'etait la ma^itresse, comme vous savez, de L'eon Drapier. Il est probable qu’elle a d^u commettre quelque gaffe, ou alors simplement se faire surprendre par son amant en compagnie d’un gigolo, car L'eon Drapier a certainement rompu avec elle.
« C’'etait beaucoup d’argent qui s’en allait avec L'eon Drapier ; peut-^etre, au surplus, la petite l’aimait-elle !
« Toujours est-il, en tout cas, que lorsque son amant lui signifiait la rupture, elle s’est log'ee une balle dans la poitrine dont elle ne r'echappera probablement pas. Voil`a les faits tels qu’ils se sont pass'es, la tentative de suicide est indiscutable, l’affaire fort banale…
« Je vous avoue que si vous aviez 'et'e `a la S^uret'e lorsque j’ai 'et'e inform'e du drame, je me serais bien abstenu de venir !… Si je l’ai fait, c’est uniquement parce qu’il s’agissait de la ma^itresse d’un haut fonctionnaire et que j’ai voulu, en prenant moi-m^eme l’enqu^ete en main, pr'evenir, 'eviter une gaffe toujours possible de la part d’un subordonn'e !