Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Le nouveau venu faisait une figure longue d’une aune, puis tournait les talons.
— Je repasserai demain ! grogna-t-il.
Et il s’en alla.
L’huissier 'etait revenu s’asseoir `a son bureau, aupr`es duquel se tenait M. Valleret.
— Avez-vous lu les journaux ? demanda-t-il au fonctionnaire.
— Oui, fit ce dernier. Il s’en passe de belles !
— Oh ! dit l’huissier, ce sont l`a des scandales 'epouvantables, qui v'eritablement ne devraient pas arriver.
« Notre police, voyez-vous, M. Valleret, est tr`es mal organis'ee. Les services de la S^uret'e fonctionnent quand ca leur passe par la t^ete… Para^it qu’ils se d'etestent les uns les autres, qu’ils se jouent des tours chaque fois qu’ils le peuvent !
— Comme chez nous, cher monsieur, interrompit M. Valleret, comme chez nous… comme d’ailleurs dans toutes les administrations !
— C’est possible, reconnut l’huissier, mais nous, ca ne fait de mal `a personne, tandis qu’en proc'edant de la sorte, `a la S^uret'e, depuis le grand chef jusqu’au plus petit inspecteur, leur m'esentente a pour r'esultat de laisser les crimes impunis et de permettre aux bandits de commettre leurs forfaits en toute libert'e. Enfin, quand je pense que ces deux agents Nalorgne et P'erouzin, auxquels on avait confi'e deux prisonniers, n’ont pas 'et'e capables de les garder !…
— Les prisonniers, dit M. Valleret, doivent rudement le regretter ! Para^it qu’ils ont 'et'e affreusement mutil'es, qu’on leur a arrach'e la langue !… Et dire qu’on ne sait pas l’auteur de ce crime monstrueux !
— Mais si, fit l’huissier, n’avez-vous pas lu qu’on attribuait ce forfait `a Fant^omas ?
— Oh, c’est facile `a dire ! Fant^omas ! toujours Fant^omas !… Je commence `a croire que Fant^omas n’a jamais exist'e !
L’huissier prit une allure myst'erieuse pour r'epondre :
— Fant^omas existe, n’en ayez crainte, M. Valleret ! M^eme ce qui m’inqui`ete, c’est qu’il m’a l’air d’y avoir un lien plus ou moins direct avec les drames qui viennent de se passer hier et les incidents myst'erieux qui se produisent ici depuis quelques jours !
M. Valleret, `a son tour, changeait de figure.
— Apr`es tout, vous pourriez bien avoir raison ! Savez-vous ce que j’ai dans mon dossier, et ce que je viens dire au patron ?
M. Valleret allait commencer une explication et faire des r'ev'elations `a son interlocuteur, lorsqu’un violent coup de sonnette retentit :
L’huissier sursauta :
— M. le directeur est arriv'e… Je reconnais son coup de sonnette !
Et, d`es lors, il se pr'ecipitait au fond du couloir, ouvrait une double porte rembourr'ee et se pr'esentait quelques secondes apr`es dans le cabinet directorial o`u venait de p'en'etrer, par une porte priv'ee, M. L'eon Drapier.
Le directeur de la Monnaie arrivait tr`es essouffl'e. Il se d'ebarrassait en h^ate de son pardessus et de son chapeau qu’il jetait machinalement sur un bras de fauteuil, puis s’installait devant son bureau o`u 'etait dispos'ee une volumineuse correspondance.
— Combien de personnes `a recevoir ? demanda-t-il.
— Une quinzaine, monsieur le directeur.
— Eh bien, commenca L'eon Drapier, introduisez la premi`ere personne !
Mais l’huissier, fid`ele `a la promesse qu’il avait faite, articula :
— Y a M. Valleret, l’employ'e de la comptabilit'e, qui sollicite une audience de monsieur le directeur.
— Ah ! tr`es bien, fit L'eon Drapier, qu’il entre avant tout le monde.
Cependant que l’huissier s’'eloignait lentement, de ce pas majestueux et tranquille qui caract'erisait sa solennit'e, L'eon Drapier, sans m^eme jeter un coup d’oeil sur le courrier amoncel'e devant lui, se prit la t^ete dans les mains comme un homme exc'ed'e.
Depuis quarante-huit heures, L'eon Drapier ne dormait plus. Les aventures les plus myst'erieuses se produisaient, les drames les plus tragiques 'eclataient autour de lui. Il avait l’impression qu’un filet se resserrait autour de sa personne, filet aux mailles invisibles dont il sentait l’influence sans les voir.
L'eon Drapier avait 'egalement l’impression qu’au fur et `a mesure que le temps passait il devenait personnellement suspect `a son ministre, aux membres du gouvernement. Des faits incompr'ehensibles s’'etaient produits en effet, et les pi`eces d’or monnay'ees qui avaient disparu constituaient un fait qui n’'etait pas pour le r'ehabiliter dans l’esprit du ministre, d’autant plus que, malgr'e ses efforts, L'eon Drapier n’avait pas pu d'ecouvrir l’origine de ces fuites.
Puis, ce matin-l`a, `a la lecture des journaux qu’il avait faite en se levant, L'eon Drapier avait 'et'e abasourdi ; les d'etails du drame de la veille 'etaient pour lui comme un coup de massue qu’il recevait sur la t^ete.
Il avait esp'er'e que les apaches que l’on avait arr^et'es porteurs des pi`eces d’or non encore mises en circulation se d'ecideraient `a faire des aveux et que leurs d'eclarations mettraient sur la piste de leur pourvoyeur d’argent, c’est-`a-dire de l’audacieux coupable qui volait `a la Monnaie.
Or voici que ces mis'erables venaient d’^etre atrocement mutil'es, et qu’il apparaissait certain que cette mutilation avait 'et'e faite par quelqu’un qui avait le plus haut int'er^et `a les terroriser par quelques repr'esailles, afin de les emp^echer de parler.
Quel 'etait le formidable bandit assez f'eroce pour avoir imagin'e un aussi cruel supplice ?
Spontan'ement, un nom 'etait venu aux l`evres de L'eon Drapier, nom qu’il avait trouv'e d’ailleurs imprim'e en toutes lettres dans les journaux qu’il lisait, nom qui, certainement, 'etait dans la pens'ee de tous :
Fant^omas !… Fant^omas !… Fant^omas !…
D`es lors, `a l’anxi'et'e curieuse qu’il 'eprouvait, au d'esir imp'erieux qu’il ressentait en lui de savoir la v'erit'e sur ce qui s’'etait pass'e, sur ce qui se passait, se m^elait une inqui'etude effroyable, une crainte affreuse `a l’id'ee que peut-^etre lui-m^eme L'eon Drapier 'etait involontairement m^el'e `a une aventure de Fant^omas.