Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Mon-Gnasse avait parl'e du Cochon-Graspour gagner du temps, et sans croire que cela allait prendre. Cela n’avait pas pris en effet, mais Juve, lui aussi, voulait gagner du temps, et c’est pourquoi il avait accept'e la proposition.
D'esormais, Mon-Gnasse et la Puce, s'epar'es par quelques tables de Nalorgne et de P'erouzin, pouvaient causer sans ^etre entendus.
— Quels ballots !… disait Mon-Gnasse. Ils coupent dans tous les ponts !… Et comment qu’on les balade en bateau ! Si on a un peu d’veine, demain, on d’mandera `a aller dans un aut’caboulot…
La Puce approuvait.
— Ah, t’es rien bath, mon homme ! disait-elle avec admiration. T’as des id'ees de costaud tout d’m^eme !… On contera comme ca qu’on a pas rencontr'e l’type en question et on s’f’ra vadrouiller ailleurs. C’est quinze jours de lichage aux frais d’la princesse… Veine, alors !
Le plan 'etait tr`es simple. Restait `a le mettre `a ex'ecution, d’autant que, bien probablement, Mon-Gnasse l’estimait du moins, les agents se lasseraient de les promener et l’on finirait par les remettre en libert'e.
Ils en 'etaient l`a de leurs projets lorsqu’un homme entrait brusquement dans le cabaret `a la facon d’un habitu'e. Cet homme marchait droit `a Mon-Gnasse et `a la Puce.
— Tiens, les poteaux ! criait-il. Et comment qu’ca va, les vieux ? Ca circule toujours ?
`A la vue de cet homme, Mon-Gnasse et la Puce se trouvaient fort interloqu'es. Qui diable 'etait-ce ? Ils ne le connaissaient aucunement. Ils pensaient ne l’avoir jamais vu !
Mon-Gnasse, pourtant, ne perdait pas trop son sang-froid.
— Ca, y a pas d’doute, jugea-t-il en un instant de r'eflexion, c’est un trafalgar qui s’pr'epare ; c’est des copains qui nous envoient c’type-l`a, histoire de nous faire barrer !
Mon-Gnasse se fit aimable en cons'equence.
— Eh oui, ca circule ! d'eclarait-il. On n’est pas bons encore pour les pissenlits !… Et toi, ma vieille, quoi d’neuf ?
Mon-Gnasse, d’un petit geste de la main, avait fait signe `a Nalorgne et P'erouzin. Les deux agents tressaillaient d’aise.
— Cela doit ^etre l’individu ! 'ecrivit Nalorgne.
P'erouzin r'epondit :
— Ouvrons l’oeil, et le bon !
Ils furent tout yeux, tout oreilles.
La conversation continuait.
— J’ai pas longtemps `a moi, d'eclarait le poteau de Mon-Gnasse et de la Puce, tout juste le temps de faire un cafouillou. Ca colle-t-il ?
Mon-Gnasse n’ignorait pas qu’il n’y avait pas de billard dans l’'etablissement. La proposition de l’inconnu le confirma donc dans cette pens'ee qu’il avait des propositions `a lui faire.
— Ca colle ! r'epondit-il.
— Alors, cavale dans la salle du fond !
L’inconnu se retournait vers le patron, il criait :
— Eh, t^olier ! On s’en va au cafouillou… Tu porteras les verres l`a-bas !
Le t^olier poussa un grognement qui pouvait ^etre `a la rigueur une r'eponse affirmative.
Mon-Gnasse et la Puce se levaient cependant. Ils suivaient l’inconnu, adressant toujours des petits gestes `a Nalorgne et P'erouzin qui ne se tenaient pas d’aise. La correspondance reprit entre les deux personnages.
— Ca marche ! 'ecrivait Nalorgne.
— Ca galope ! affirmait P'erouzin.
Et, prenant une feuille neuve, Nalorgne 'ecrivait encore :
— S^urement l’individu qui vient d’entrer est un apache int'eressant. Ils ont fait des signes, attendons !
— Attendons ! acquiesca P'erouzin.
Ils attendirent, en effet, sans inqui'etude, car ils 'etaient persuad'es qu’il n’y avait point d’autre sortie, pendant un bon quart d’heure. C’'etait `a peine s’ils trouvaient le temps long et s’ils commencaient `a se demander s’il ne serait pas bon d’aller voir dans la salle basse ce qui se passait, lorsqu’un 'ev'enement, `a coup s^ur impr'evu, se produisit brusquement.
Enfonc'ee d’un coup d’'epaule, la porte de la salle basse s’ouvrait.
Un homme apparaissait dans l’embrasure. C’'etait Juve !
Juve 'etait livide, et Juve criait :
— `A l’aide, nom d’un chien ! Nalorgne, allez vite chercher une voiture ! P'erouzin, aidez-moi !… On s’assassine l`a-dedans !
Alors, une sc`ene horrible se passait.
Tandis que Nalorgne, affol'e, ob'eissait machinalement, quittait le cabaret et courait chercher un fiacre, P'erouzin, accompagnant Juve, se pr'ecipitait dans la salle basse.
L’aspect de la pi`ece 'etait 'epouvantable.
Par une fen^etre situ'ee `a mi-hauteur, une fen^etre dont les grilles 'etaient arrach'ees et qui avait servi `a Juve pour entrer, un jour p^ale p'en'etrait. Il 'eclairait une sc`ene abominable.
Le sol 'etait couvert de sang. Le sang avait d’ailleurs gicl'e jusqu’au plafond, souillant les murs, 'ecrivant un horrible carnage.
Mais ce n’'etait point le sang qui retenait les regards. Ce qui laissait P'erouzin muet d’effroi, ce qui l’'epouvantait au point qu’il pensait d'efaillir, c’est qu’il apercevait, `a l’instant m^eme, deux formes humaines, deux corps qu’agitaient de convulsifs mouvements, le corps d’un homme, le corps d’une femme, le corps de deux malheureux qui 'etaient Mon-Gnasse et la Puce et qui, tous deux souill'es de sang, r^alaient `a moiti'e !
— Mon Dieu ! g'emit P'erouzin.
Et, machinalement, il cherchait un troisi`eme personnage, le costaud qui avait accompagn'e Mon-Gnasse et la Puce.
— Imb'eciles ! Brutes ! Comprenez-vous votre maladresse, au moins ? Vous les avez perdus de vue !… Ah, sang Dieu, dire que je suis arriv'e trop tard !
Juve, en fait, 'etait parvenu au Cochon-Grasjuste `a l’instant o`u Mon-Gnasse et la Puce suivaient l’inconnu pour entrer dans la salle basse ; le policier, qui allait p'en'etrer dans le cabaret, avait vu, `a travers la porte, Nalorgne et P'erouzin laissant tranquillement s’'eloigner les deux apaches dont ils avaient la garde.