L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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17 – CHEZ LES BIFFINS
— Et alors, la m`ere, est-ce qu’on s’en va prendre une tourn'ee ?
— On ira, le p`ere, on ira. Tout de m^eme, tu peux bien attendre que j’aie fini de donner `a manger `a Papillon ?
— D’accord, si Papillon a faim.
— Eh oui, il a faim, la brave b^ete. D’ailleurs, soit dit sans te le reprocher, mon homme, depuis quelques jours, tu ne t’occupes plus assez de lui. C’est de l’ingratitude, ca, vois-tu. Ca n’est pas parce qu’il a onze ans bien sonn'es qu’il faut le laisser crever de faim.
— D’accord, la m`ere, d’accord.
Papillon 'etait un grand vieux cheval, d'egingand'e, qui, depuis de longues ann'ees, tra^inait la roulotte familiale le long des routes de France.
Papillon, qui 'etait une b^ete, avait, pr'etendait la m`ere Zizi, plus d’intelligence que bien des hommes.
La brave femme citait `a l’appui de ses dires ce fait remarquable `a son compte, que Papillon mangeait beaucoup plus l’hiver que l’'et'e.
— Voyez donc, affirmait la m`ere Zizi, si ca n’est pas une preuve qu’il comprend que l’hiver on est en vacances, que c’est le moment de prendre du bon temps.
Dans la bizarre industrie qu’ils exercaient, le p`ere et la m`ere Zizi faisaient de l’ann'ee deux parts in'egales : du mois de f'evrier au mois d’octobre, ils 'etaient boh'emiens, couraient la campagne, gagnant pi`etrement leur vie en pr'esentant des spectacles forains, puis, le mois d’octobre arriv'e, ils regagnaient en toute h^ate la banlieue parisienne, s’installaient dans la plaine de Saint-Ouen et l`a, prenaient leurs quartiers d’hiver en vivant de petite besogne d’occasion : paniers tress'es, oiseaux apprivois'es, tous m'etiers qui ne les rendaient pas millionnaires, mais qui les aidaient `a passer la mauvaise saison. Et la m`ere Zizi trouvait plaisant de remarquer que, pendant les beaux mois de l’ann'ee, Papillon mangeait cent fois moins.
— Cette b^ete, affirmait-elle, elle est sobre comme un chameau, tout cheval qu’elle est. Quand elle travaille, elle se contente de peu de chose, quand elle ne fait rien, elle passe son temps `a manger.
En fait, l’explication 'etait plus simple : Papillon, qui 'etait un philosophe, pr'ef'erait tout bonnement l’avoine qu’on lui servait pendant l’hiver `a l’herbe fra^iche qu’on lui laissait brouter le long des routes l’'et'e.
Ce jour-l`a, le p`ere et la m`ere Zizi, install'es depuis quelque temps d'ej`a dans la plaine de Saint-Ouen, avaient projet'e de se rendre au march'e aux oiseaux.
Ils avaient donc d'etel'e le matin Papillon, l’avaient attach'e `a l’envers, la t^ete pr`es de la roulotte, puis, ils 'etaient partis de compagnie vers le Quai aux Fleurs.
Les affaires avaient bien march'e. Le p`ere Zizi avait gagn'e quelques sous et, le soir venu, les deux Boh'emiens d'ecid`erent, apr`es avoir toutefois vers'e `a Papillon sa ration habituelle d’avoine, d’aller faire un tour chez le petit bistro voisin.
Le p`ere et la m`ere Zizi s’'etaient donc 'eloign'es de leur roulotte, en devisant. Ils avaient travers'e l’extraordinaire agglom'eration que constituent les cabanes de chiffonniers, des biffins parisiens qui habitent en grand nombre derri`ere la porte de Saint-Ouen, sur les terrains de zone militaire.
Aussi bien les deux boh'emiens 'echangeaient en passant de nombreux bonjours, donnaient force poign'ees de mains. Ils 'etaient populaires, les deux 'epoux, il y avait bien dix ans qu’ils venaient chaque ann'ee camper `a la m^eme place, et il n’'etait pas un seul biffin qui ne t^int `a honneur de leur pr'esenter ses devoirs.
— Et alors, ca va, la m`ere Zizi ?
— Pas trop mal, mon vieux, pas trop mal. Et vous, la chiffonnerie ?
— Euh, le cuivre ne donne rien cette ann'ee, il y a un peu de bo^ites de sardines et des bouteilles d’eau min'erale, mais c’est bien tout.
— De quoi joindre les deux bouts, alors ?
— Comme vous dites, la m`ere Zizi. Mais il y a un gosse de plus `a la maison.
Le p`ere Zizi 'eclatait de rire.
— Ah bien vous, alors, vous suffiriez `a repeupler la France. Combien donc que vous ^etes ?
— Quatorze, maintenant. Tous bien portants et travailleurs.
Plus loin, par-dessus la haie, se trouvait un petit enclos, dont le sol 'etait exhauss'e d’un amas de d'etritus tir'es des poubelles parisiennes et class'es avec un soin extr^eme : `a droite des bouchons, un peu plus loin des vieux papiers, plus loin encore les morceaux de ferraille.
Un autre couple interpellait le p`ere et la m`ere Zizi :
— Eh l`a, les deux rentiers, la sant'e est bonne ?
— Mais oui, mais oui, et vous-m^emes ?
— Toujours excellente chez nous. Dites donc, vous avez des nouvelles de votre m^ome ?
— Non, vous l’avez vue ?
— Elle est chez l’Accapareur.
— Eh bien, elle fera quelques sous.
— S^ur et certain, si elle est travailleuse.
— Oh, elle l’est.
Quelle 'etait donc
Huit jours avant, alors que les deux boh'emiens venaient `a peine d’arriver aux portes de la capitale, tandis qu’ils s’occupaient d’installer leur campement, ils n’avaient pas 'et'e peu surpris de voir appara^itre devant eux celle qu’ils avaient surnomm'ee « la merveilleuse jeune femme », et qui n’'etait autre que la fille de Fant^omas.
— Bonjour, p`ere et m`ere Zizi, comment donc allez-vous ?
De stup'efaction, le p`ere et la m`ere Zizi avaient failli tomber `a la renverse.
Apr`es l’accident de Morlaix, l’accident au cours duquel leur compagne, si malencontreusement, avait bless'e un malheureux jeune homme, puis s’'etait vue arr^et'ee, les deux boh'emiens, effray'es, terrifi'es m^eme, s’'etaient h^at'e de reprendre la route.
Ils avaient voyag'e `a marche forc'ee. Alors qu’ils s’appr^etaient `a faire encore campagne pendant un mois, le p`ere et la m`ere Zizi brusquement avaient d'ecid'e de regagner Paris, esp'erant bien que la police, la justice, institutions qui veulent du mal aux pauvres gens, perdraient leurs traces et ne les retrouveraient pas dans la plaine de Saint-Ouen.