L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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L’agent, en effet, avait interpell'e l’un des apaches les plus redoutables qui f^ut `a Paris. On le d'esignait dans la p`egre sous le nom de « B'eb'e », sobriquet qu’il avait d^u, jadis, `a sa jeunesse, mais qui surprenait `a pr'esent. Comment B'eb'e se trouvait-il l`a et par suite de quel hasard avait-il recu une blessure dans la bagarre qui avait succ'ed'e `a l’entr'ee de l’autobus 412 dans les bureaux du Comptoir National ?
Quiconque aurait connu en d'etail la client`ele qui pr'ecis'ement ce jour-l`a occupait l’autobus, n’aurait pas h'esit'e `a faire un rapprochement, d’ailleurs tr`es significatif, entre la pr'esence dans le v'ehicule de personnages aussi mal cot'es que Bec-de-Gaz, OEil-de-Boeuf, Beaum^ome, et la pr'esence de B'eb'e place Clichy au moment de l’accident. Il y avait 'evidemment l`a un guet-apens ourdi par les apaches. Toutefois, ceux-ci n’'etaient que le bras agissant. Quel devait donc ^etre le ma^itre qui les dirigeait ?
Au moment o`u B'eb'e remontait vers la place Clichy, enveloppant dans un mouchoir son poignet teint'e de rouge, un homme qui s’enfuyait l’aborda et, d’une voix haletante, lui murmura `a l’oreille :
— Faudrait voir `a te d'ebiner rapidement et surtout `a te nettoyer !
B'eb'e regarda son interlocuteur, celui-ci n’'etait autre que le m'ecanicien qui, quelques instants auparavant, avait conduit l’autobus 412, volontairement ou non, devant la devanture de l’'etablissement de cr'edit.
Celui-ci cependant poursuivait :
— Tu es tout `a fait d'ego^utant B'eb'e, tes v^etements sont couverts de salet'es et tes cheveux remplis de cambouis !
L’apache, en apercevant le m'ecanicien qui lui parlait sur un ton de commandement, avait pris une attitude respectueuse pour lui r'epondre :
— Cela va bien, je m’en vais aller me nettoyer.
Le m'ecanicien s’'eloigna. Il revint au bout d’une seconde et recommanda :
— Je ne veux pas que tu puisses jaspiner de toute la soir'ee, et pour t’emp^echer de le faire, je t’ordonne d’aller prendre un bain dans le premier 'etablissement que tu rencontreras.
— Entendu, fit B'eb'e, mais quand j’aurai fini, patron, qu’est-ce qu’il faudra faire ?
Les deux hommes avaient continu'e `a marcher, s’'eloignant rapidement de la place Clichy ; ils suivaient maintenant le boulevard des Batignolles, et, tout en causant, ils regardaient derri`ere eux pour s’assurer qu’ils n’'etaient point suivis.
Le myst'erieux m'ecanicien de l’autobus reprit :
— Quand tu seras sorti de ton bain, tu iras en prendre un autre, et quand le second sera fini, eh bien, mon cher B'eb'e, il faudra aller en prendre un troisi`eme et ainsi de suite, jusqu’`a la fermeture des boutiques, apr`es quoi tu iras te coucher tout seul !
B'eb'e interloqu'e haussa les 'epaules imperceptiblement et se dit :
— S^ur, le patron est piqu'e ! Enfin, il faut faire ce qu’il veut, sans quoi la d'esob'eissance avec lui fait toujours du vilain.
Cependant le myst'erieux m'ecanicien de l’autobus que B'eb'e avait qualifi'e de
***
Quelques heures s’'etaient 'ecoul'ees et l’activit'e commencait `a r'egner dans les bars interlopes ou les bouges innommables du quartier de la Chapelle. Dans l’assommoir dirig'e rue de la Charbonni`ere par le p`ere Korn [5], les apaches, `a leur habitude, 'etaient nombreux et d'egustaient `a grand bruit les absinthes gomm'ees et des m^el'e-cass [6]. Ils 'etaient entour'es de pierreuses au visage fard'e qui, dans l’intervalle de leurs occupations professionnelles, venaient absorber des ap'eritifs avec leurs amis.
Soudain, la porte s’ouvrit, et ce fut dans l’'etablissement une clameur g'en'erale, des bravos, des approbations :
— Tiens, cria-t-on, voil`a des revenants.
Deux personnages venaient en effet d’entrer dans l’assommoir et ils distribu`erent autour d’eux quelques cordiales poign'ees de main. C’'etait des apaches fort connus dans le quartier : Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf.
Il y avait d'ej`a quelques ann'ees, deux ou trois ans peut-^etre, qu’ils ne s’'etaient pas montr'es dans le cabaret du p`ere Korn qui poss'edait toujours sa fameuse et terrifiante r'eputation et dans lequel la police faisait de si fr'equentes incursions.
Bec-de-Gaz et OEil-de-Boeuf s’'etaient rapproch'es du comptoir et, comme s’ils l’avaient vu la veille, serraient cordialement la main au tenancier du bouge. Tandis qu’ils commandaient leurs absinthes, ils f'elicitaient le p`ere Korn sur l’affluence toujours consid'erable de son 'etablissement.
— N’emp^eche, ajouta Bec-de-Gaz, mon vieux p`ere Korn, que tu commences `a ^etre d'ejet'e, t’as plus de cheveux sur la t^ete et tu prends du ventre. C’est pas comme moi, toujours sec comme un coup de trique et mince comme un b^aton de chaise.
OEil-de-Boeuf approuvait en souriant.
— Et puis, ajoutait-il, on est toujours l`a nous autres, avec du p`eze plein les profondes.
Et, comme pour justifier cette affirmation, que le p`ere Korn, d’un haussement d’'epaules semblait mettre en doute, OEil-de-Boeuf fit tinter l’argent qui gonflait les poches de ses v^etements.
Les deux amis, apr`es avoir vid'e un premier verre sur le comptoir allaient s’installer au fond du bouge `a une petite table et command`erent de nouvelles consommations au garcon.
— Dis donc, recommanda Bec-de-Gaz, faudrait voir `a nous servir vivement une assiette de cervelas et un saladier de rouge.
OEil-de-Boeuf rassura le garcon sur l’avenir r'eserv'e `a cette commande somptueuse, en ajoutant :
— On a la dent ce soir, et il faut se caler les joues ! On est plein aux as et on raquera d’avance si tu veux.
Cette d'eclaration ne manquait pas de faire sensation dans le bouge. De nombreux consommateurs, qui avaient relev'e la t^ete, consid'er`erent avec sympathie et admiration ces clients qui annoncaient somptueusement qu’ils 'etaient d'ecid'es `a payer d`es qu’on le leur demanderait, et des murmures flatteurs coururent dans l’assistance. Quelqu’un sugg'era `a mi-voix :
— S^ur que c’est des aminches qui viennent de faire un bon coup.
Bec-de-Gaz avait entendu, il lanca un coup de pied dans les tibias de son compagnon :
— Esp`ece de tourte, fit-il, t’as pas besoin de raconter comme ca au monde, que nous avons de la galette ! Ca donne des soupcons et si jamais le patron le savait, qu’est-ce qu’il te casserait !
OEil-de-Boeuf, malgr'e sa belle assurance, rougit jusqu’`a la racine des cheveux.
'Evidemment, ce que venait de lui dire Bec-de-Gaz l’impressionnait. Il suffisait donc d’'evoquer aupr`es de ces deux apaches la m'emoire du myst'erieux patron pour qu’aussit^ot l’on pr^it peur ?