L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Si rien ne cloche, songeait seulement le journaliste, si je ne me tue pas, je r'eussirai. Seulement voil`a, j’ai beaucoup de chances de me tuer.
Compl`etement d'egag'e de l’essieu, il se trouvait maintenant suspendu au centre m^eme du wagon, n’ayant plus d’autre appui que les tuyauteries branlantes auxquelles il se cramponnait. Or, comme il avancait avec pr'ecaution, d'eplacant une main apr`es s’^etre assur'e de la prise qu’il pouvait trouver, voil`a qu’il fit une abominable d'ecouverte. Le tuyau d’air comprim'e qui lui servait dans son p'erilleux voyage 'etait mal attach'e. Il se cassait petit `a petit, il allait dans quelques secondes c'eder sous son poids.
J'er^ome Fandor se rendait compte qu’`a c^ot'e de lui, rien d’autre ne pouvait lui permettre de s’accrocher… Les fils d’'eclairage 'etaient trop faibles. La tuyauterie de secours 'etait trop 'eloign'ee.
— Je suis fichu, se dit le journaliste. Jamais je n’arriverai au bout.
Il eut la force d’^ame pourtant de ne pas pr'ecipiter la manoeuvre. Aussi lentement qu’auparavant, avec des gestes aussi mesur'es, il r'eussit `a avancer d’un m`etre encore. Mais aller plus loin c’'etait folie. J'er^ome Fandor venait de s’apercevoir qu’une des pattes d’attache de la tuyauterie 'etait d'efaite. Sans soutien d`es lors, le tuyau ballottait `a cet endroit. Il ne pouvait plus se confier `a lui.
— De mieux en mieux, murmura Fandor, je suis irr'em'ediablement fichu.
En d'epit de sa r'esistance, d’ailleurs, la t^ete commencait `a lui tourner. Le sang affluait `a ses oreilles qui bourdonnaient, une crampe horrible lui tordait le cou. Il fut sur le point de se laisser aller.
— Je suis perdu, se dit-il.
Il allait ouvrir les mains, se laisser tomber sur le ballast, quand une pens'ee se fit jour dans son esprit :
— H'el`ene m’attend ! Manquer le rendez-vous ? jamais !
Fandor, risquant le tout pour le tout, trouva moyen de prendre dans sa poche, une petite lampe 'electrique qu’il avait emport'ee par acquit de conscience. Les timides rayons 'eclairaient un instant le dessous du wagon, le journaliste poussa un soupir de soulagement :
— Allons, le diable est avec moi.
Il laissa tomber la lampe. Il tendit le bras, il r'eussit un tour de force, et sans m^eme savoir comment il pouvait y r'eussir, il attrapa une nouvelle tuyauterie, la tuyauterie du lavabo qui, par bonheur, au milieu du wagon rejoignait la timone du frein. Cinq minutes plus tard, J'er^ome Fandor `a moiti'e mort, mais sauf, se trouvait `a cheval sur les tampons qui s'eparaient le wagon p'enitentiaire des autres wagons.
Le long du wagon, pour la facilit'e des manoeuvres, des crampons de fer saillaient, destin'es `a permettre aux hommes d’'equipes de monter sur la toiture. J'er^ome Fandor les franchit, sans plus s’occuper des cahots qui cependant menacaient `a chaque instant de lui faire l^acher prise. On e^ut jur'e qu’un homme, dans les conditions o`u il se trouvait, ne pouvait parvenir sur le toit du wagon p'enitentiaire. Fandor lui, s’y hissa en un rien de temps.
Restait le plus difficile. Le toit du wagon, en effet, apparaissait redoutablement lisse. S’y maintenir semblait quasi impossible. Mais `a coup s^ur, J'er^ome Fandor avait pr'evu la difficult'e. De sa poche, il tirait encore une s'erie de cordes, l’une d’elles se terminait par un noeud coulant, il l’envoyait autour du chapiteau form'e au centre du wagon par le support de la lanterne.
`A plat ventre alors, les bras 'ecart'es, les jambes 'etendues, il avanca sur le toit du wagon. Bient^ot il eut rejoint le chapiteau de la lanterne. Il l’'etreignit de ses jambes nerveuses, puis, tranquillement, ayant atteint le terme de sa course, 'evidemment renseign'e et document'e, il tira de son sac, qu’il parvint `a faire glisser le long de son corps, un petit vilebrequin, une scie et il se mit en devoir de d'ecouper le toit du wagon.
***
Les gardiens dormaient. En tout, vingt-quatre prisonniers et trois prisonni`eres `a convoyer jusqu’`a Cherbourg. Les prisonniers 'etaient pour la plupart des matelots arr^et'es `a Paris alors qu’ils tiraient une
Les prisonni`eres 'etaient deux femmes arr^et'ees pour un meurtre commis aux environs de Cherbourg, outre H'el`ene, H'el`ene que, pour les besoins de l’instruction, on transf'erait de Saint-Lazare `a la prison de Cherbourg.
H'el`ene avait 'eprouv'e une joie folle en apprenant son d'epart.
— Quand on vous transf'erera, avait dit Fandor, je vous ferai 'evader, H'el`ene. Co^ute que co^ute, je vous ferai 'evader.
Depuis elle vivait dans cet espoir, avec cette pens'ee qui ne l’abandonnait pas une seconde. Elle ne voyait pas comment Fandor pouvait r'eellement la tirer de sa terrible situation, mais du moment qu’il avait promis, il tiendrait parole. Or, jusqu’alors, et il 'etait bient^ot minuit, rien n’'etait venu apprendre `a H'el`ene que Fandor f^ut r'eellement en train de pr'eparer son 'evasion. Mont'ee dans le wagon p'enitentiaire en m^eme temps que les deux autres prisonni`eres, dont l’une n’'etait autre que la vieille paralytique, H'el`ene avait 'et'e enferm'ee dans son 'etroit compartiment et l`a, elle attendait, presque sans espoir. Et puis soudain, au-dessous de sa t^ete, juste au sommet de son 'etroit compartiment, un bruit r'egulier, continuel, extraordinaire. H'el`ene se redressa. En un instant, toute son attention se concentra sur ce bruit.
— Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce qui se passe ? se demanda la jeune fille.
En d'epit du bruit de la marche du train, elle entendait nettement le va-et-vient, elle ne pouvait s’y tromper, le va-et-vient d’un outil qui, sans doute, entamait le plafond de sa cellule. Et, dans la p'enombre, H'el`ene se redressa. Elle r'eussit `a s’extraire en quelque sorte de son cachot, s’'ecorchant les genoux, elle trouva le moyen de se d'esembo^iter de son banc, elle monta dessus, elle passa sa main sur le plafond. H'el`ene fut sur le point de hurler de douleur. T^atonnant, sa main avait rencontr'e un mince outil qui avait transperc'e le plafond : la lame d’une scie, et cette scie l’avait coup'ee.
— Mis'ericorde, pensa la jeune fille, c’est Fandor, ce ne peut ^etre que Fandor.
`A la joie de la d'elivrance proche succ'edait pourtant une horrible inqui'etude. Fandor, en sciant le plafond, faisait en r'ealit'e un bruit croissant. H'el`ene l’avait entendu, les gardiens allaient l’entendre ! On viendrait, on trouverait le plafond `a moiti'e ouvert. L’'evasion serait manqu'ee. Or, `a ce moment, comme le bruit redoublait, comme il y avait r'eellement danger que les gardiens ne fussent attir'es par les manoeuvres de Fandor, dans la cellule contigu"e `a la cellule d’H'el`ene, quelqu’un se mit `a chanter `a plein gosier.
Et, sans comprendre, ravie pourtant, H'el`ene pensa :
— Mais c’est la vieille paralytique qui hurle de la sorte. Ah Dieu soit lou'e ! Si elle continue `a faire cette vie, on n’entendra plus Fandor.
***
— Tenez-vous bien, n’ayez pas peur, l`a, laissez-vous glisser dans mes bras, vous sentez les crampons de fer ? Parfait, le train va tout doucement `a cause des travaux, vous allez sauter. Quand je vous le dirai.
C’'etait chose faite. L’'evasion avait r'eussi.
H'el`ene, gr^ace `a lui, avait pu se hisser de son wagon. Parvenue sur le toit, les deux amoureux avaient 'echang'e un long, un ardent baiser, puis, sans mot dire, car les minutes pressaient, l’un et l’autre s’'etaient remis `a fuir.