L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Mais comment se fait-il alors, qu’il ne soit pas l`a ?
— Parce qu’on ne fait pas monter les d'etenus dans la gare, faisait l’homme. Ils embarquent un peu plus loin sur les voies, on attelle le wagon `a la locomotive. Puis il est refoul'e avec elle et comme il continue directement jusqu’`a Cherbourg, il n’y a pas d’inconv'enient `a ce qu’il soit en t^ete de train.
J'er^ome Fandor n’en demandait pas plus.
`A la r'eponse du chef de train qu’il remercia de son obligeance, un sourire ind'efinissable avait paru sur ses l`evres.
Parbleu, il le savait bien que c’'etait l’express de Cherbourg qui emmenait le wagon p'enitentiaire. Depuis huit jours, il multipliait les d'emarches, au minist`ere et dans les bureaux de la gare, avec quelle habilet'e, pour arriver `a se documenter sur la question. Non seulement il savait que l’express de Cherbourg allait emmener le wagon p'enitentiaire, mais encore il connaissait dans ses moindres d'etails la disposition mat'erielle de ces wagons. Fandor savait qu’il 'etait exactement dispos'e comme les voitures cellulaires que l’on rencontre dans Paris. Le couloir central divisant le wagon en deux parties est perc'e de part et d’autre d’une s'erie de petites portes qui toutes communiquent avec un 'etroit r'eduit o`u peut prendre place un prisonnier ou une prisonni`ere. Les si`eges sont d’ailleurs dispos'es exactement encore comme dans les voitures qui servent au transfert des d'etenus.
Fandor, document'e sur les dispositions du wagon, savait qu’un garde, un gendarme, ou le plus souvent des agents de la S^uret'e, voyagent, install'es dans le couloir central, afin de veiller au bon ordre et, le cas 'ech'eant, couper court `a toute tentative d’'evasion. Il n’ignorait pas davantage que le wagon p'enitentiaire ne sert que tr`es rarement. On ne l’attelle en effet aux trains qui se rendent en province que lorsqu’il y a lieu de transporter le m^eme jour pour la m^eme destination un nombre important de prisonniers.
Fandor qui avait continu'e sa promenade le long du quai, apr`es une attente qui devait lui para^itre interminable, vit la locomotive manoeuvrer dans les lointains de la gare, puis, s’atteler enfin `a une masse grise, indistincte dans la nuit et avec de sourds hal`etements, de subits 'echappements de vapeur, reculer lentement, pour prendre sa place en t^ete du fourgon. L’employ'e qui l’avait renseign'e ne s’'etait pas tromp'e, la locomotive avait bien 'et'e s’atteler au wagon p'enitentiaire. Or, ce wagon, ce wagon r'ebarbatif fait de t^ole, qui ne portait aucune vitre, o`u se d'ecoupaient seulement les minces jours de souffrance de tout petits volets aux mailles serr'ees, ce wagon p'enitentiaire, Fandor le regardait avec des yeux que l’'emotion, une 'emotion bizarre, e^ut-on cru, faisait troubles et indistincts. Fandor pourtant r'eagit :
— Cr'edibis`eque, murmura-t-il, il ne sera pas dit que je me laisserai accabler par l’'enervement au moment de r'eussir. Allons, je ne risque pas grand-chose… En ce qui la concerne, je suis pr^et `a tout.
Sans mot dire, Fandor revint sur ses pas. Il s’'eloigna de la t^ete du train, il rentra sous la marquise et se dirigea vers la queue du convoi. Fandor sortait du quai o`u il venait de faire les cent pas, il s’'elanca bient^ot, marchant de plus en plus vite, le long d’un quai voisin, sur lequel il s’engageait, tout en jetant un rapide coup d’oeil pour s’assurer que nul employ'e n’avait remarqu'e son passage. Sur le quai o`u passait le jeune homme, un train de banlieue stationnait, qui partirait apr`es l’express. Sa pr'esence n’avait donc rien l`a qui p^ut para^itre extraordinaire. Or, Fandor, n’'etait pas arriv'e en t^ete du train de banlieue qu’il avisait un compartiment encore d'esert, y montait, fermait soigneusement la porti`ere, puis, traversant le compartiment, descendait `a contre-voie. Il se trouvait alors tout naturellement entre le flanc de l’un des 'enormes et lourds wagons qui devaient former le rapide de Cherbourg. Mais que voulait donc Fandor ?
Serr'e entre les deux trains, ayant peu de place disponible, le jeune homme se livrait `a une op'eration bizarre. Il releva le col de sa veste, le ferma herm'etiquement, au moyen des pattes qu’il comportait. Il ferma encore l’emmanchure de ses manches, assujettit sur son dos, au moyen d’une ceinture, le bienheureux sac qu’il portait, puis il tira de l’une de ses poches de tr`es longues cordes, une mince courroie. Cela fait, pr^et sans doute `a l’exp'edition qu’il m'editait, J'er^ome Fandor toussa, rit, s’accroupit.
— Et maintenant, messieurs, dames, murmura le journaliste, en voiture !
Une seconde plus tard, J'er^ome Fandor s’'etait gliss'e sous le compartiment p'enitentiaire. Quelques minutes plus tard, il 'etait sinon confortablement, du moins solidement attach'e `a l’essieu des roues du dernier boggey.
`A cet instant, sur le quai du rapide, des porti`eres claquaient, des employ'es pressaient les voyageurs, des coups de sifflets retentissaient. On allait partir. On partait. Or, Fandor, accroupi dans une position 'epouvantable, ne manifestait nullement l’envie de quitter son poste. Avait-il r'esolu de voyager ainsi, attach'e `a l’essieu sous le wagon p'enitentiaire ? Que m'editait-il donc ? Quel projet formidable et audacieux pensait-il r'ealiser ?
J'er^ome Fandor, au moment pr'ecis o`u le rapide d'emarrait, tandis qu’il sortait de la gare, lentement d’abord, plus vite ensuite, franchissant les aiguilles, sautant au passage des blocs de s^uret'e, J'er^ome Fandor songeait :
— Si rien n’est venu contrarier mes projets, si r'eellement tout s’est bien pass'e, je suis s'epar'e d’H'el`ene par cinquante centim`etres de t^ole peut-^etre, et cinquante centim`etres de t^ole, ca se perce, ca se d'emolit.
***
Deux heures plus tard, le rapide de Cherbourg, `a toute allure, filait dans la nuit noire. On avait d'epass'e 'Evreux, nul autre arr^et n’'etait `a craindre avant une bonne heure au moins. Or, `a cet instant, tandis que le train cahot'e roulait `a une vitesse vertigineuse, un homme qui n’'etait autre que J'er^ome Fandor se livrait `a la plus p'erilleuse des acrobaties. J'er^ome Fandor, jusqu’`a ce moment, en effet, s’'etait tenu coll'e `a son essieu qu’il serrait entre ses deux bras avec une 'energie farouche. Dissimul'e sous l’un des premiers wagons du convoi, il 'etait perp'etuellement recouvert par les escarbilles enflamm'ees qui s’'echappaient du foyer de la locomotive. De plus, une fum'ee ^acre, m'elang'ee de vapeur br^ulante, l’environnait constamment. Situation intenable, position effroyable que celle du journaliste mais cependant, il n’avait pas l^ach'e prise. Pas une seule seconde, il n’avait song'e `a abandonner son perchoir incommode.
'Evreux d'epass'e, J'er^ome Fandor dont les mains 'etaient 'ecorch'ees, dont les v^etements 'etaient en lambeaux, dont le visage saignait, car une pierre arrach'ee du ballast l’avait frapp'e au front, J'er^ome Fandor commencait `a se d'elier. Il devait alors non seulement lutter contre la fatigue qui r'esultait de sa longue station sous le wagon, contre le froid qui roidissait ses membres, contre le vertige qui le prenait par moments, `a consid'erer le sol fuyant tout pr`es de lui, `a une allure folle, mais encore il devait r'esister aux secousses de la vitesse. Le rapide, en effet, ayant le champ libre devant lui, foncait dans la nuit, d’autant qu’il avait du retard `a rattraper.
N’importe. Fandor, tranquillement, d'efaisait ses cordes, r'ealisait des prodiges d’'equilibre, des merveilles d’adresse et de sang-froid, il se lib'erait, il 'etait libre. Autour de lui, courant en-dessous du plancher du wagon une infinit'e de tuyauteries passaient. Il y avait l`a le canal central de l’air comprim'e, puis encore des tuyaux de vapeur, les commandes des freins de secours, les canalisations 'electriques, les commandes de gaz d’'eclairage, tout un enchev^etrement de c^ables. C’'etait `a ces c^ables, `a ces tuyaux, `a ces conduites que J'er^ome Fandor devait confier sa vie. Cramponn'e des deux mains `a l’appui branlant que pouvait lui offrir le tube de cuivre rouge du frein d’air comprim'e, J'er^ome Fandor rampait sous le wagon. La vitesse, `a cette minute, 'etait si grande, qu’il 'etait litt'eralement suffoqu'e par le vent que d'eplacait le convoi. Il devait tourner la t^ete pour respirer, et en m^eme temps bander ses muscles, tendre ses nerfs pour ne point faiblir, pour se retenir, et m^eme pour se tenir tr`es droit, car s’il avait laiss'e le moins du monde pendre son corps, il e^ut certainement racl'e les traverses du ballast.