L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Paul hocha la t^ete, approuvant le monologue de sa m`ere, mais ne r'epondit pas. On apporta un t'el'egramme, l’ing'enieur le lut et nerveusement froissa le papier bleu, le jeta au panier :
— D'esesp'erant, fit-il.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Rien, dit Paul nerveusement, ou plut^ot si, tiens, la Soci'et'e des Forges nous annonce que d'ecid'ement elle ne passe pas la commande pour laquelle nous 'etions d’accord.
— Ah, fit simplement Mme Granjeard, dont les joues se d'ecolor`erent.
`A ce moment on frappa `a la porte :
— Entrez.
Quelqu’un p'en'etra dans la pi`ece, souleva sa casquette, c’'etait Landry, le contrema^itre :
— Pardon, excuse, si je vous d'erange, fit-il, en s’adressant `a Mme Granjeard, mais c’est les quinze cents kilos de plaques de t^ole que le camionnage apporte.
— Eh bien, ca va bien, dit Mme Granjeard, faites-les placer dans le hangar.
— Elles y sont, dit le contrema^itre.
— Je suppose que vous avez v'erifi'e la livraison ?
— Sans doute, fit le contrema^itre, tout est bien en 'etat, mais…
— Mais quoi ?
— Eh bien, le camionneur dit comme ca qu’il faut qu’on le paie. La marchandise est envoy'ee contre remboursement.
Mme Granjeard se leva :
— C’est un peu raide, fit-elle, des fournisseurs que nous avons depuis dix ans et que l’on paie toujours `a trois mois, qu’est-ce qui leur a pris ?
Mme Granjeard se montait :
— Mais c’est une erreur, s^urement. Ce n’est pas que je refuse de payer, mais enfin il y a l`a une question de principe avec laquelle je ne transigerai pas.
Paul Granjeard, de plus en plus sombre, questionnait son contrema^itre :
— Combien doit-on ?
— Quatre mille deux cents francs.
L’ing'enieur instinctivement, se fouilla pour tirer son trousseau de cl'es et fit mine d’aller vers son coffre-fort particulier, mais il interrompit ce mouvement et, se tournant vers sa m`ere, il lui d'eclara :
— Mieux vaut en finir et payer, que d’avoir des histoires. Voulez-vous donner la somme, ma m`ere ?
Mme Granjeard avait, elle aussi, un coffre qui lui servait de caisse particuli`ere. Machinalement, elle esquissa le mouvement de s’en approcher, puis elle s’arr^eta :
— Apr`es tout, fit-elle n'egligemment, r`egle toi-m^eme, je ne dois pas avoir de monnaie.
— Moi non plus, dit Paul.
De la pi`ece voisine, simplement s'epar'ee par une cloison qui s’arr^etait `a mi-hauteur, Robert Granjeard avait entendu toute cette conversation, sans y prendre part. Il crut, toutefois, devoir intervenir.
Quittant le bureau devant lequel il travaillait et abandonnant les 'ecritures compliqu'ees auxquelles il se livrait, le jeune homme prit son chapeau.
— Le plus simple, d'eclara-t-il, c’est que j’aille `a l’agence du Comptoir National, je prendrai la somme exacte qu’il faut pour payer cette note. Landry, venez avec moi.
Robert Granjeard sortit du bureau avec le contrema^itre. Sa m`ere et son fr`ere a^in'e restaient en t^ete-`a-t^ete, seuls, silencieux.
L’un et l’autre, d’abord, affect`erent de ne point s’adresser la parole, de para^itre plong'es dans des travaux absorbants. Mais 'evidemment, ils avaient, tous deux quelque chose sur le coeur. Mme Granjeard n’y put tenir. Ce fut elle qui rompit le silence.
— Paul, appela-t-elle.
— Qu’est-ce qu’il y a maman ?
— Il y a, d'eclara-t-elle, que la maison nous claque dans la main. Pas besoin de s’illusionner, cette affaire qui nous est arriv'ee nous fait le plus grand tort.
— Nous 'etions innocents. D’ailleurs nous avons obtenu un non-lieu.
— Notre meilleur client nous abandonne, nos plus anciens fournisseurs doutent de notre cr'edit. Ils exigent des paiements d’avance. Du train dont ca va, nous serons par terre dans trois mois.
— Que voulez-vous y faire ? Nous travaillons comme par le pass'e. Pour moi j’en fais plus encore qu’auparavant. Vous-m^eme, ma m`ere…
— Il ne s’agit pas de savoir si nous travaillons beaucoup, mais bien de d'eterminer si nous travaillons utilement. Nous venons de recevoir un choc. Notre r'eputation commerciale est compromise. Il faut la relever `a tout prix.
— Quoi faire ?
— Nous avons de l’argent disponible, d'epensons-le. Faisons de la r'eclame. Baissons nos prix. Concurrencons nos coll`egues. Marchons `a caisse ouverte pendant le temps qu’il faudra pour rattraper les affaires, pour les augmenter, et surtout faisons dire partout, dans les journaux, dans le monde, que nous avons 'et'e victimes de la mauvaise chance, que nous ne sommes pour rien, absolument pour rien dans la mort de Didier, et que la maison Granjeard, loin de diminuer, augmente, qu’elle cr'ee des succursales partout. Qu’est-ce que tu veux, inventons n’importe quoi, faisons quelque chose pour qu’on parle de nous.
La porte s’ouvrit. Robert entra :
— C’est r'egl'e ? demanda sa m`ere.
— Oui, j’ai remis les fonds `a Landry, il s’occupe avec l’employ'e du chemin de fer qui accompagne le camionneur de faire r'egulariser la facture.
— Bien, 'Ecoute, Robert, ton fr`ere et moi, nous venons de prendre une grande d'ecision, en ce qui concerne notre association. Il est bon que tu sois au courant.
— Un instant Nous causerons plus tard. En rentrant ici j’ai rencontr'e quelqu’un qui venait nous voir et que j’ai d^u faire entrer dans le petit salon o`u il attend en ce moment.
— Qui ?
— Juve, l’inspecteur de la S^uret'e.
Mme Granjeard devint toute p^ale.
— Encore cet homme, fit-elle, qu’est-ce qu’il peut bien nous vouloir ?
— Je me demande quel parti pris vous avez contre ce policier. Certes il a 'et'e rude avec nous, brutal lorsqu’il nous a fait arr^eter, mais il a 'et'e aussi ardent ensuite, `a faciliter notre libert'e lorsqu’il a reconnu notre innocence, dit Robert.
'Etouffant un soupir, cependant que son fils Paul se mordait les l`evres, Mme Granjeard pr'ec'eda ses deux enfants dans le salon o`u Juve attendait, en effet.