La gu?pe rouge (Красная оса)
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'Erick Sunds faisait de tout, en effet. Il 'etait r'eparateur d’objets d’art, artiste peintre, sculpteur, fabricant de meubles anciens, et aussi reproducteur de pi`eces authentiques qu’il copiait d’une merveilleuse facon.
L’existence du Danois 'etait fort boh`eme. Pendant quelques semaines, son int'erieur avait eu quelques vagues apparences de r'egularit'e. C’'etait au moment o`u il vivait maritalement avec Nadia la Circassienne. Mais le Danois, inconstant, en avait eu vite assez de cette brune ma^itresse et avait 'et'e fort content de la voir courtis'ee dans le restaurant o`u ils allaient le plus souvent prendre leurs repas, par l’Italien Mario Isolino. Et un certain soir, ou plut^ot un certain matin qu’il 'etait rentr'e fort tard `a son domicile, 'Erick Sunds avait pouss'e un profond soupir de soulagement en s’apercevant que Nadia la Circassienne ne l’avait pas pr'ec'ed'e.
Il avait compris, `a l’absence de ses v^etements qu’il constata, qu’elle 'etait partie pour ne plus revenir.
— Ouf, s’'etait dit le Danois, me voil`a veuf d'esormais, et pour longtemps.
Puis, avec cette incons'equence qui est le propre et le charme des caract`eres artistes, il s’'etait imm'ediatement dit, apr`es avoir dormi deux heures :
— Il va falloir que je la remplace.
Et il 'etait parti, ayant fait une toilette sommaire, pour battre le quartier de Montmartre, avec l’intention bien arr^et'ee d’y trouver une ma^itresse.
'Erick Sunds n’avait pas de chance ce jour-la, il n’avait trouv'e en tout et pour tout, qu’une ancienne marchande de quatre-saisons qui cherchait une place de femme de m'enage dans un int'erieur bourgeois.
Sunds lui avait dit :
— J’ai votre affaire, venez chez moi, la place est excellente, et aussi bourgeoise que possible, avec cette diff'erence toutefois que la bourgeoise n’existe pas.
Cela avait dur'e environ quarante-huit heures. Puis la marchande de quatre-saisons avait donn'e son compte `a Sunds, ou, pour mieux dire, le lui avait demand'e. Elle n’'etait pas difficile, mais elle en avait assez de vivre dans cet effroyable capharna"um. Elle avait dit `a son ma^itre ses v'erit'es. Sunds ne s’'etait pas 'emu, il avait pay'e et dignement reconduit `a la porte la femme de m'enage. Il allait la lui fermer au nez, pour 'eviter les injures que d'ecoche toujours la bonne qui s’en va, mais son attention fut soudain retenue par une assez curieuse apparition, qui surgissait au coin de la place.
'Erick Sunds, sans plus s’occuper d'esormais de son ancienne femme de m'enage, regarda venir vers lui un jeune ouvrier `a la mine d'elur'ee, intelligente, qui tra^inait ses savates sur le trottoir, avec ce d'ehanchement particulier de tous les gaillards qui se sentent trop jolis garcons pour se donner du mal et travailler.
— Un mod`ele probablement, pensa Sunds. C’est curieux que je ne le connaisse pas, et cependant, il me semble que j’ai d'ej`a vu cette bobine-l`a quelque part.
Sunds resta sur le seuil de sa porte. Le jeune homme vint `a passer, se dandinant, avancant d’un pas nonchalant.
— H'e l`a, interrogea le Danois, qu’est-ce que tu cherches par ici ?
Le passant se retourna, consid'era Sunds des pieds `a la t^ete, d’un air assez m'eprisant, puis, d’une voix qu’il semblait s’efforcer de rendre grasse et faubourienne, il d'eclara :
— Je cherche du turbin, je suis fauch'e comme les bl'es. Rien bouff'e depuis deux jours !
— Qu’est-ce que tu sais faire, petit ?
— Moi, fit le jeune homme, mais comme tous les autres, rien et tout.
— Rien et tout, c’est bien dans le genre de ce qu’il me faut. Dis voir, petit, poursuivait-il, des fois qu’on te donnerait la cro^ute et le pieu, resterais-tu par ici `a faire des menus travaux ? Balayer le plancher, nettoyer le carreau, aller au march'e, faire la cuisine, poser `a l’occasion ?
'Erick Sunds n’avait pas achev'e, qu’un 'eclair de satisfaction brillait dans les yeux du jeune garcon. Il d'eclara, rougissant un peu :
— Je ne suis pas un dur, moi, et du moment que je trouve `a coucher et `a me nourrir, ca peut toujours marcher, quelque temps au moins.
Quelques instants apr`es, Sunds et le jeune homme 'etaient attabl'es chez le marchand de vins. Le Danois payait la bienvenue `a son nouvel ami, qui, provisoirement, allait lui servir de bonne `a tout faire.
— Au fait, demanda-t-il, en remplissant pour la seconde fois les verres d’un gros vin rouge qu’on leur avait servi, au fait, comment t’appelles-tu ?
— Je m’appelle Daniel.
Tandis que le Danois buvait, le jeune Daniel regardait ce qui se passait dans la rue.
Un observateur peu perspicace aurait affirm'e qu’il ne s’y passait rien et peut-^etre, si l’on avait consult'e Sunds, aurait-il 'et'e de cet avis. Mais Daniel, semblait-il, avait remarqu'e quelque chose, quelqu’un. Ce quelqu’un c’'etait un vieillard `a la grande barbe blanche, et qui s’acheminait `a petits pas. Il portait sur les 'epaules une lourde besace, il s’appuyait sur un b^aton.
Il semblait bien fatigu'e, le pauvre homme et, sans doute, le voyage qu’il avait effectu'e pour parvenir jusqu’au sommet de Montmartre lui avait 'et'e fort p'enible ! C’'etait pour cela, 'evidemment, qu’il s’'etait assis, sur le bord du trottoir, `a l’angle de la place du Tertre, presque en face de la maison o`u se trouvait l’atelier du Danois 'Erick Sunds.
Et l`a, semblant vouloir s’endormir d'esormais, il demeurait les yeux obstin'ement clos.
Dormait-il v'eritablement, cependant, et d’o`u venait-il, ce vieillard ?
Avant d’arriver `a Montmartre, on l’avait vu monter la rue Rochechouart, et lorsqu’il avait pris cette rue au carrefour Lafayette, c’est qu’il venait de d'eboucher de la rue de Tr'evise dans laquelle il s’'etait engag'e alors qu’il sortait d’une maison de la rue Richer.
Ce vieillard, en effet, qui d'esormais se reposait au sommet de Montmartre, n’'etait autre, fort bien grim'e, ma foi, que le journaliste J'er^ome Fandor.
6 – FANT^OMAS EN PRISON
Il 'etait trois heures de l’apr`es-midi, et, suivant l’invariable emploi du temps arr^et'e une fois pour toutes pour les prisonniers, Fant^omas avait encore pr`es de deux heures `a rester seul dans sa cellule avant que les gardiens ne vinssent le chercher pour accomplir la promenade quotidienne dans le pr'eau. Fant^omas 'etait seul et, assis sur le lit de camp qui garnissait le fond de son cachot, r^evait, m'elancoliquement.
Quelles 'etaient au juste les r'eflexions du G'enie du Crime ? `A quoi pouvait-il penser ? Quels regrets, quels remords pouvaient hanter son esprit en cet instant, o`u, peut-^etre, plus que jamais, il se rendait compte de la formidable audace qu’if avait eue en se livrant `a Juve ?
Les murs de la prison, 'epais, imp'en'etrables, semblaient peser sur lui d’un poids 'ecrasant. Par moments, il se prenait le front `a deux mains et il soupirait alors profond'ement, emplissant sa poitrine d’air, comme s’il e^ut eu brusquement l’impression qu’il 'etouffait et qu’il allait mourir mis'erablement, l`a, dans ce cachot o`u sa volont'e seule l’avait conduit. Puis, Fant^omas paraissait r'eagir, il se levait, il marchait de long en large, il d'etirait ses bras dans un geste f'eroce, ses yeux lancaient des 'eclairs, un sourire menacant glissait sur ses l`evres. Il 'etait 'evident qu’il roulait de formidables pens'ees, qu’il m'editait de terribles desseins.