Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
Шрифт:
L’enterrement, auquel avaient 'et'e invit'ees toutes les personnalit'es de Saint-Calais, auquel s’'etaient rendues toutes les notabilit'es habitant le pays `a dix lieues `a la ronde, auxquelles s’'etaient jointes bien des personnes venues de Paris, d'eroulait ses m'eandres le long de la route de campagne, entre les champs, par les vallons, dans une simplicit'e grandiose de d'ecors que doublait encore le tragique apparat de la c'er'emonie.
Le pays ne poss'edant qu’un corbillard fort modeste, nulle voiture de deuil ne l’accompagnait, les proches suivaient `a pied et, ainsi qu’il est coutume dans la Sarthe, la veuve marchait seule au premier rang tandis que le fun`ebre cort`ege `a pas ralentis se dirigeait vers l’'eglise et que le clerg'e, venu tout entier op'erer la lev'ee du corps, se tenait sur les bas c^ot'es de la route, pr'ec'ed'e d’un crucifix port'e par un enfant de choeur et psalmodiant les graves cantiques d’esp'erance et de foi.
En arri`ere du cort`ege, un peu `a l’'ecart, se groupant par sympathie naturelle, les magistrats de Saint-Calais 'echangeaient des propos qui n’'etaient pas empreints de bienveillance exag'er'ee.
— Vous direz tout ce que vous voudrez, monsieur le pr'esident, affirmait le procureur g'en'eral, mais pour moi, ce d'ec`es demeure archi myst'erieux. Il est inadmissible qu’il s’agisse d’un accident. Et d’autre part, il est impossible que l’assassin de Tergall soit le m^eme que celui de Chamb'erieux. Que diable pour M. Chamb'erieux, nous sommes tous d’accord, maintenant. C’est de Fant^omas qu’il faut parler. Chamb'erieux a 'et'e tu'e, comme cons'equence directe, j’imagine, du vol des bijoux dont il avait 'et'e victime. Fant^omas s’est d'ebarrass'e de lui, peut-^etre parce que Chamb'erieux le g^enait. Peut-^etre parce que le jour du meurtre le bijoutier avait sur lui une somme importante. On n’en sait rien encore. Quelle explication, au contraire, peut-on proposer `a la mort de Maxime de Tergall ? Fant^omas n’assistait pourtant pas au d'ejeuner de chasse qui a pr'ec'ed'e l’assassinat.
Le pr'esident, un homme doux et tranquille, haussa les 'epaules ennuy'e.
— Mon cher procureur, r'epondit-il, on ne sait pas, on ne peut pas savoir. Il ne faut rien affirmer.
Apr`es un petit instant de silence, le pr'esident questionna :
— D’ailleurs, qui soupconneriez-vous, Roche ?
— Moi ? monsieur le pr'esident, personne. Cependant, la veuve avait int'er^et.
Le juge d’instruction Pradier, qui marchait derri`ere le pr'esident pressa un peu l’allure pour se mettre `a la hauteur du magistrat.
— Messieurs, messieurs, dit-il d’un ton grave, croyez bien que l’instruction fera tout le n'ecessaire pour conna^itre la v'erit'e relativement au d'ec`es de M. de Tergall, mais croyez bien aussi que, si je n’ai point inculp'e M me Antoinette de Tergall, c’est qu’il m’est apparu, d`es le d'ebut de mon enqu^ete, qu’elle 'etait parfaitement innocente, radicalement hors de cause.
C’'etait l`a une d'eclaration p'eremptoire.
Les deux magistrats s’inclin`erent d’autant plus volontiers que, depuis son arriv'ee au Tribunal, Fant^omas avait trouv'e le moyen de s’attirer la sympathie universelle.
Tout en devisant, d’ailleurs, ceux qui accompagnaient Maxime de Tergall `a sa derni`ere demeure venaient de faire le long trajet s'eparant le ch^ateau de l’'eglise.
Le cort`ege, au moment pr'ecis o`u Charles Pradier intervenait entre le procureur g'en'eral et le pr'esident pour innocenter Antoinette de Tergall, s’immobilisait brusquement. Le corbillard arr^et'e devant l’'eglise de Bouloire 'etait d'echarg'e des couronnes entass'ees sur le cercueil, le drap noir recouvrant la bi`ere, apparaissait, puis de robustes campagnards – les quatre plus vieux fermiers d'ependant du ch^ateau des Loges – charg`erent sur leurs 'epaules le cercueil, qu’ils d'epos`erent `a l’entr'ee de l’'eglise o`u le clerg'e, group'e, entonnait les pri`eres de la b'en'ediction.
Or, au moment m^eme o`u, d’une voix de basse, le cur'e de la paroisse lancait vers le ciel les paroles traditionnelles qui crient si bien le d'esespoir, la douleur humaine, et aussi l’esp'erance et la confiance chr'etiennes, tandis qu’en haut du clocher le glas r'esonnait, lourdement sonn'e par le battant de la grosse cloche, soudain ce fut un long hurlement. Puis la ru'ee folle de ceux qui 'etaient encore mass'es sous le porche de l’'eglise, et qui voulaient p'en'etrer dans la nef, bousculade insens'ee derri`ere Antoinette de Tergall elle-m^eme qui perdait l’'equilibre.
Sur le cercueil, tombant du haut du clocher, cr'epitant sur le ch^ene de la bi`ere, une pluie 'etrange s’abattit. Pluie de diamants, pluie de rubis que l’on vit scintiller dans les rayons de lumi`ere descendant des vitraux.
Et maintenant, oubliant la tragique horreur du moment, poussant des cris que le glas dominait avec peine, les assistants se bouscul`erent presque pour ramasser les pierres pr'ecieuses. Chacun voulait voir, savoir, chacun voulait toucher les joyaux extraordinaires tomb'es du ciel. Puis stupeur nouvelle. On avait vu tomber des diamants et des rubis. On ne ramassait que des diamants. Mais non les rubis que l’on avait apercus. C’'etaient des gouttes de sang qui tachaient le sol, qui tachaient le cercueil, qui marquaient de rouge les v^etements noirs de la foule accourue `a l’enterrement du marquis de Tergall.
***
R'eveill'e par les pr'eparatifs d’un desservant et d’un sacristain, Ribonard, qui sommeillait, toujours attach'e au battant de sa cloche, dominant ainsi le choeur m^eme de l’'eglise, assistait `a toute une mise en sc`ene qui, d’abord, lui parut incompr'ehensible.
Le pr^etre et le sacristain balay`erent avec un soin extr^eme un espace qu’ils venaient de d'egarnir de chaises. Ils 'etal`erent alors sur le sol de lourdes 'etoffes noires, sem'ees de larmes d’argent, sur lesquelles bient^ot ils dispos`erent des chandeliers garnis de longs cierges, puis deux tr'eteaux, qu’une housse recouvrit.
— Qu’est-ce que c’est que tout ca ? se demandait Ribonard, une messe noire ? Ah, c’est rien farce.
Mais soudain, une grimace s’'ebaucha sur le visage de l’apache :
— Une messe noire, oui, ronchonnait-il, mais pas une messe noire `a la blague. Eh bien, ca va ^etre gai. C’est un enterrement qui se pr'epare.
Ribonard ne se trompait pas. Il venait en effet d’^etre le t'emoin des dispositions prises pour l’enterrement du marquis de Tergall.
— Ca va bien. Ca va de mieux en mieux. Cet enterrement-l`a, c’est la certitude que Fant^omas ne pourra pas venir me d'ecrocher avant cet apr`es-midi ou m^eme ce soir. Il y aura du monde dans l’'eglise tout le temps d’ici l`a. Le patron ne pourrait pas op'erer.
Ribonard d’abord, s’int'eressait `a surveiller de son observatoire les manoeuvres des gens d’'eglise, mais bient^ot il se lassa, et, s’arrangeant au mieux sur les liens qui le maintenaient, se disposa `a faire un nouveau somme.
— J’m’en vas toujours roupiller le plus longtemps possible. J’ai grande chance de ne pas d'ejeuner, t^achons de dormir. Qui dort d^ine.
Il 'etait dit que Ribonard se verrait contrari'e dans tous ses projets. L’apache n’'etait pas reparti au pays des songes, qu’il en 'etait brusquement tir'e par le bruit fait par un homme gravissant le petit escalier conduisant au plancher inf'erieur du clocher.