Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
Шрифт:
Pourquoi faire ?
Les deux gendarmes n’'etaient pas tr`es renseign'es et n’'eprouvaient d’ailleurs `a ce sujet qu’une curiosit'e relative, bien qu’on leur e^ut dit de faire tr`es attention `a leurs personnes, de se munir de menottes et de garnir les 'etuis de leurs revolvers.
— M’est avis, reprit le brigadier, que nous allons proc'eder `a une op'eration importante. Peut-^etre m^eme `a des arrestations.
— C’est aussi mon avis.
Le chef poursuivit :
— Hein, tout de m^eme, ca remue, dans le pays, depuis le commencement de l’hiver, et surtout depuis quelques jours, depuis l’installation `a Saint-Calais de M. Pradier, le nouveau juge d’instruction. En voil`a un qui n’a pas l’air de badiner et qui se donne du mal. Tout ce qu’il entreprend a l’air de lui r'eussir.
— C’en est un, prof'era Sicoche, qui veut arriver et se faire une belle carri`ere ; peut-^etre qu’un jour il sera procureur g'en'eral.
Le brigadier haussa les 'epaules et, consid'erant Sicoche avec un air de piti'e, reprit sentencieux :
— Vous n’y entendez rien, gendarmes. Un juge d’instruction n’appartient pas `a la magistrature debout comme le procureur. Par cons'equent, il doit rester toute sa vie dans la magistrature assise, mais il est exact qu’un magistrat comme M. Pradier peut arriver aux plus hautes situations, tel que pr'esident du Tribunal, conseiller `a la Cour d’appel, `a la Cour de cassation m^eme.
— Ca, observa Sicoche admiratif, c’est ce qu’on appelle une situation. Pr'ef'erable `a celle de gendarme.
— Tout d'epend de la mani`ere de voir, fit le brigadier.
Cependant, les deux hommes, au d'etour du chemin, voyaient s’approcher plusieurs de leurs coll`egues dont le galon d’argent du k'epi scintillait `a la lueur des lanternes que portait l’un d’eux. C’'etaient les d'el'egu'es de la brigade de Bouloire qui venaient, avec les agents en civil du Mans, `a la rencontre de leurs coll`egues de Saint-Calais.
Un vieux brigadier, plus ancien encore que Boulinard, commandait le petite d'etachement et il expliqua `a ses subordonn'es :
— Voici les ordres qu’il s’agit d’ex'ecuter. Nous sommes command'es de service pour aller les uns et les autres s'epar'ement, mais sans nous perdre de vue, afin de pouvoir nous pr^eter main-forte, au lieu dit de la Mare-aux-Oies, `a trois kilom`etres d’ici. Il s’agit de surveiller une bande d’individus suspects qui, depuis quelque temps, se donnent rendez-vous au bal public qui s’est install'e `a proximit'e dudit lieu de ladite Mare-aux-Oies. Nous aurons sur place deux inspecteurs de la S^uret'e du Mans, qui nous donneront les instructions d'efinitives, et nous feront conna^itre les gens `a arr^eter s’il y a lieu.
Et le vieux brigadier, prenant famili`erement le bras de son coll`egue Boulinard, ajouta, se penchant `a son oreille :
— Je crois m^eme que le juge d’instruction de Saint-Calais, votre nouveau juge, se trouvera pr'esent.
— Sapristi, s’'ecria Boulinard, voil`a ce que M. Morel n’aurait jamais fait.
— Il aurait eu bien trop peur, tout au moins pour ses rhumatismes, de s’aventurer dehors la nuit.
Puis, les chefs ayant donn'e encore `a leurs hommes quelques instructions de d'etail, se remirent en marche, les pr'ec'edant en direction de la Mare-aux-Oies.
***
Le bal qui s’'etait install'e `a proximit'e de Bouloire, `a l’extr'emit'e d’un champ, `a la lisi`ere d’un petit bois, 'etait une nouveaut'e dans le pays. Des forains venus l`a, avec deux roulottes tram'ees par des chevaux 'etiques. Des hommes d’'equipe avaient pos'e sur le sol une sorte de plancher qu’ils avaient surmont'e d’une grande tente `a peu pr`es imperm'eable. Ils avaient dispos'e `a l’int'erieur un 'eclairage sommaire. Dans un angle de la tente, un comptoir de zinc avec quelques bouteilles de vin ou d’alcool, et de part et d’autre, ce comptoir 'etait flanqu'e de barriques de cidre destin'ees, elles aussi, `a 'etancher la soif de la future client`ele. Sur la porte, un 'ecriteau :
Puis, par des prospectus multicolores, les entrepreneurs avaient avis'e le voisinage, `a trois lieues `a la ronde, que tous les soirs, de huit heures `a onze heures, on pourrait venir danser `a la Mare-aux-Oies moyennant un droit de dix centimes pour les cavaliers et de cinq centimes pour les dames.
Depuis quinze jours que le bal public 'etait install'e, et bien que ce f^ut la mauvaise saison, il faisait des affaires d’or. C’'etait en effet l’'epoque o`u les travailleurs de la terre ne sont pas tr`es occup'es et o`u celle-ci n’exige pas que l’on soit au travail aux premi`eres lueurs du jour. Pourtant, le local o`u l’on conviait les danseurs `a venir se r'eunir n’avait rien de bien engageant. Le plancher 'etait raboteux, mal joint, l’orchestre uniquement constitu'e par un vieil orgue de Barbarie que tournait, le moins souvent possible, une esp`ece d’Arabe qui, dans la journ'ee, allait essayer de vendre dans les fermes des peaux de biques et des tapis d’Orient. La caisse 'etait tenue par une grosse femme `a laquelle des cheveux blancs ne r'eussissaient pas `a donner un air respectable.
Quant `a la d'efense du comptoir contre les envahisseurs trop assoiff'es, elle 'etait principalement assur'ee par un grand diable long et maigre, `a la figure farouche, et au poing vigoureux.
La client`ele qui fr'equentait le bal se composait non seulement des in'evitables amoureux qui profitent de toutes occasions bonnes ou mauvaises, pour se r'eunir et se prodiguer des tendresses, mais encore de temps en temps de quelques familles d’honn^etes paysans qui, na"ivement, venaient se fourvoyer en ce mauvais lieu, auxquels se m^elait toute une population interlope et peu recommandable de filles et de souteneurs.
Ce bal public de la Mare-aux-Oies, 'etait inqui'etant et on aurait vite compris pourquoi, si l’on avait su que les forains, ou soi-disant tels, qui dirigeaient cette entreprise, n’'etaient autre que des membres de la bande des T'en'ebreux, qui, en venant s’installer en pleine campagne, m'editaient autre chose que de donner `a danser aux populations chaque soir, pour la modique somme de deux sous.
La m`ere Toulouche, vieille r'ecidiviste, habitu'ee des maisons centrales, ancienne receleuse et criminelle impunie remplissait les fonctions de caissi`ere. Au comptoir, tr^onait le grand Bec-de-Gaz, l’'evad'e de l’^ile de R'e, le forcat condamn'e pour le meurtre de sa ma^itresse, quelques ann'ees auparavant. Et enfin, le chef d’orchestre, comme il s’intitulait d’ailleurs, non sans pompe et avec exag'eration, n’'etait autre que l’Alg'erien Mahamoud dit Peau-de-Z'ebi.