Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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La malheureuse ch^atelaine se penchait sur le corps de Maxime de Tergall qui gisait sur le sol, inanim'e, la face violac'ee, la langue pendante, une 'ecume rouge^atre aux l`evres. Tomb'e l`a, semblait-il, du haut de son lit voisin, dont les couvertures froiss'ees, d'efaites, attestaient que le ch^atelain, quelques instants auparavant, dormait encore ; dans l’horrible odeur du gaz.
***
— Charles. Mon fr`ere.
On avait 'eteint les lumi`eres du grand salon qui se peuplait d’ombres fantastiques aux reflets tremblotants d’une bougie pos'ee sur une table et agit'ee par les courants d’air. Antoinette de Tergall se dressait, secou'ee de tressaillements nerveux, face au juge d’instruction.
Apr`es la d'ecouverte du drame, apr`es la certitude acquise que Maxime de Tergall 'etait mort, bien mort, asphyxi'e pendant son sommeil par le gaz d’'eclairage s’'echappant du po^ele myst'erieusement 'eteint, les invit'es s’'etaient h^at'es de se retirer, pr'etextant `a qui mieux mieux le souci
Seul 'etait rest'e, victime du devoir professionnel, Charles Pradier, le juge d’instruction, dont le calme, la tranquille assurance, avaient fait l’admiration universelle.
D`es que le corps du malheureux marquis de Tergall eut 'et'e 'etendu sur un lit, entour'e de cierges, dress'e en un autel improvis'e, le juge d’instruction s’'etait empress'e :
— Reposez-vous, je vous en prie, avait-il murmur'e `a l’oreille de celle qui le consid'erait comme son fr`ere.
Plus bas, Fant^omas avait ajout'e :
— Venez, j’ai `a vous parler.
Et dans le grand salon o`u ils 'etaient descendus, une sc`ene horrible, tragique, o`u toute la duplicit'e froide de Fant^omas se donnait libre cours, 'eclata.
— Charles, mon fr`ere, que voulez-vous me dire ?
Fant^omas affectait de se taire quelques instants, puis lentement d'eclara :
— Antoinette, je voulais vous dire que j’ai peur.
— Peur de quoi ? Peur ? Pourquoi ? Qu’imaginez-vous ? Que croyez-vous ?
Fant^omas se tut encore. Il sembla vouloir parler. Ses l`evres s’agitaient.
— Mon Dieu ! votre silence est une cruaut'e ! mon fr`ere. Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Qu’avez-vous ?
Pradier, lentement :
— Je n’ai rien. Non. Si. J’ai peur.
Il se croisa les bras, il sembla prononcer des phrases sans suite :
— Vous n’aimiez pas votre mari, Antoinette ? Vous m’avez dit qu’il avait une ma^itresse ? oh j’ai peur, j’ai peur. Et dire que c’est moi, moi Charles Pradier, moi, votre fr`ere, moi, qui suis juge d’instruction `a Saint-Calais, qui devrais me charger de cette affaire. Antoinette, avez-vous song'e `a cela ?
— Sans doute. Mais je ne vois pas.
— Vous y avez pens'e, malheureuse ? Vous l’avouez ? Vous vous ^etes donc dit qu’'etant juge d’instruction, je saurais fermer les yeux ? ne pas voir ? ne pas comprendre ? ne pas trouver l’assassin de votre mari ? Ah ma soeur, mais vous ne savez donc pas que mon devoir m’oblige maintenant `a me dessaisir de cette instruction ? C’est mon beau-fr`ere qui vient d’^etre assassin'e, et assassin'e par qui ? par ah… je ne peux pas le dire. Je ne peux pas.
— Vous ^etes fou, cria Antoinette. Vous ne croyez pourtant pas que c’est moi qui ai tourn'e le compteur, qui ai 'eteint le po^ele, qui ai asphyxi'e mon mari ? Vous ne pouvez pas croire cela ? dites ? dites ?
D’une voix accabl'ee, Fant^omas r'epondit :
— Qui ajouterait foi `a vos d'en'egations, Antoinette ? Qui donc, instruisant cette affaire, ne conclurait pas comme moi, sachant ce que je sais.
— Je vous dis que c’est monstrueux. Que ce n’est pas moi. Que je n’y suis pour rien.
Implacable, Fant^omas r'epliqua :
— Il faut que je me dessaisisse de l’instruction, et si je me dessaisis vous ^etes perdue.
Il r'ep'etait lentement :
— Vous ^etes perdue, perdue d’avance.
Alors Antoinette de Tergall s’affola.
Dans un 'eclair de pens'ee, sous le coup de l’'emotion nerveuse o`u elle se trouvait encore, elle vit comme en un r^eve toutes les menaces qui s’accumulaient contre elle. Elle vit que personne ne pouvait ^etre soupconn'e d’avoir tu'e Maxime de Tergall, sauf elle. Elle vit qu’elle ne pouvait m^eme convaincre son fr`ere de son innocence. Fant^omas, quelques minutes auparavant, jouait une sinistre com'edie quand il disait qu’il avait peur mais Antoinette de Tergall, elle, connut en un instant l’ab^ime insondable du d'esespoir.
R'eellement, elle se vit perdue.
— Piti'e, cria-t-elle, il ne faut pas qu’on puisse croire une chose pareille. Charles, nul ne sait que vous ^etes mon fr`ere, nul ne s’en doute. Ah, je vous en conjure, piti'e ; ne vous dessaisissez pas de l’instruction. Vous, vous ne pouvez pas me condamner. Piti'e, piti'e pour votre soeur.
Charles Pradier se promenait lentement de long en large dans le salon. Fant^omas, qui, dans le secret de sa conscience, se f'elicitait de la torture qu’il infligeait `a la malheureuse marquise, affectait d’^etre boulevers'e.
— Vous demandez piti'e, dit-il, je ne devrais pas vous entendre. Je suis juge. Mon devoir de juge devrait m’emp^echer de vous c'eder.
— Vous ^etes juge, mais vous ^etes mon fr`ere aussi.
D’une voix bris'ee, Fant^omas r'epondit :
— Oui, je suis votre fr`ere. Et cela est horrible. Je suis votre fr`ere.
Il ajouta d’une voix presque indistincte :
— C’est donc votre fr`ere qui aura piti'e de vous. Sachez vous taire. Je ne dirai rien. Je vous sauverai. Non, n’ajoutez pas un mot, Antoinette, je ne veux rien savoir. Rien. Si ce n’est que vous ^etes ma soeur.