Le magistrat cambrioleur (Служащий-грабитель)
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Profitant encore une fois de sa qualit'e de juge d’instruction, le bandit avait fini par convaincre les deux apaches de la n'ecessit'e qu’il existait pour eux d’ex'ecuter ses ordres.
Et Fant^omas avait si bien manoeuvr'e, si bien mis en oeuvre tous les 'el'ements de persuasion qu’il pouvait tirer de sa situation de magistrat, qu’apr`es une heure de causerie, B'eb'e, tout comme l’'El`eve, 'etaient d'ecid'es `a tuer l’ex-d'etenu de Louvain.
Fant^omas-Pradier, avait donc sign'e une premi`ere ordonnance de mise en libert'e, permettant aux deux apaches de partir pour ex'ecuter la mission dont il les chargeait.
***
Fant^omas, pourtant, le soir m^eme de cette extraordinaire journ'ee o`u il avait appris que Juve allait ^etre extrad'e et ramen'e `a Saint-Calais, o`u il avait trouv'e moyen de parer `a ce terrible danger en organisant l’assassinat du policier avec l’aide de l’'El`eve et de B'eb'e, arr^et'es par lui la veille et remis en libert'e `a cette fin, Fant^omas 'etait inquiet.
Aussi bien un 'etrange 'ev'enement venait de le troubler.
Fant^omas sortant de table – il 'etait pensionnaire de l’ H^otel Europ'een– avait 'et'e fort surpris en effet en se coiffant de son chapeau, de s’apercevoir que ce chapeau pris au portemanteau s’enfoncait sur sa t^ete jusqu’aux sourcils. Comment 'etait-ce possible ?
Tout naturellement Fant^omas avait imagin'e d’abord qu’il s’'etait tromp'e de coiffure. Mais un examen rapide l’avait convaincu du contraire. Il n’y avait point d’autre chapeau accroch'e au portemanteau et, de plus, les initiales C. P.
Dans ces bagages, Fant^omas avait d'ecouvert plusieurs chapeaux. Ces chapeaux 'etaient trop grands pour lui mais il avait pu s’en servir n'eanmoins, en garnissant leurs coiffes de bandes de papier journal.
Si maintenant le melon qu’il prenait au portemanteau lui entrait si avant sur le cr^ane c’est que le journal qui r'etr'ecissait la coiffe, en avait 'et'e enlev'e. Or, qui donc avait retir'e le journal ? Fant^omas se le demandait avec inqui'etude. Il se le demandait m^eme avec d’autant plus d’effroi que l’h^otelier lui avait annonc'e quelques minutes avant :
— Vous savez, monsieur Pradier, je vous annonce la visite `a Saint-Calais d’un journaliste parisien, M. J'er^ome Fandor.
Et Fant^omas maintenant, rentr'e dans sa chambre, songeait avec effroi :
Ne serait-ce pas J'er^ome Fandor qui a touch'e a mon chapeau ?
26 – 'EVASION COMBIN'EE
Avec un grand bruit de sabres, d’'eperons heurt'es, de bissacs jet'es `a la vol'ee sur les banquettes, au milieu d’un concours de population rassembl'ee dans un 'elan de commune admiration, les gendarmes qui amenaient Juve de Louvain `a Saint-Calais, le consid'erant toujours comme 'etant le redoutable Fant^omas, venaient de s’installer dans le wagon de deuxi`eme classe r'eserv'e. C’'etaient de braves gendarmes, respectueux des consignes qu’on leur confiait. Ils se montraient, `a l’'egard de leur prisonnier, d’une scrupuleuse et savante m'efiance.
— Mettez-vous l`a, ordonna l’un des pandores, d'esignant `a Juve le coin du wagon. Mettez-vous l`a, prisonnier, et ne vous avisez pas de vouloir faire le malin.
Juve sourit, s’assit avec une docilit'e parfaite `a la place qu’on lui indiquait.
Depuis le temps qu’il croupissait en prison, Juve avait pris l’habitude de ne jamais se r'evolter, de ne jamais r'ecriminer. Il acceptait tout avec une parfaite qui'etude d’^ame. Aussi bien, `a quoi aurait-il donc servi `a l’excellent policier de se plaindre ? S’il 'etait prisonnier, si c’'etait lui que ramenait en France l’ordonnance d’extradition enfin sign'ee, c’'etait parce qu’il l’avait voulu et rien n’arrivait jusqu’ici qui n’e^ut 'et'e combin'e, machin'e par Juve. L’inspecteur de la S^uret'e pouvait bien pour mieux jouer son personnage, feindre une ^ame de r'esignation, prendre une attitude apitoyante. En r'ealit'e, au fond de lui-m^eme il 'etait radieux.
— Dans quelques heures, pensait le policier, je serai `a Saint-Calais et une fois `a Saint-Calais, bien malin sera celui qui m’emp^echera de d'ebrouiller toutes les affaires qui m’intriguent en ce moment. Bien malin si Fant^omas ne finit pas en me retombant entre les mains.
Or, tandis que Juve se plongeait dans des r'eflexions que la certitude d’une victoire proche faisait joyeuses, tandis que les gendarmes qui l’accompagnaient, s’'etendaient `a leur tour sur les banquettes, en des poses nonchalantes, tandis que les voyageurs commencaient `a monter dans les compartiments voisins, car le train allait bient^ot partir, un employ'e essouffl'e sautait sur le marchepied du wagon, appelait :
— H'e, messieurs les gendarmes.
— Pr'esents, qu’est-ce qu’il y a ?
— Il y a, continuait l’employ'e, que je ne comprends rien du tout `a ce qui arrive. C’est bien vous qui ramenez un prisonnier de Belgique ? C’est bien pour vous que l’on a retenu ce wagon ?
Le gendarme, chef de convoi charg'e du transfert de Juve, exhiba un papier crasseux, jaun^atre, d'echir'e, et le tendit au fonctionnaire :
— Voil`a notre r'equisition, commencait-il, il y a tous les cachets voulus et vous pouvez lire qu’il y est dit qu’`a la gare Montparnasse, on nous r'eservera un wagon, ainsi…
— C’est exact, bizarre tout de m^eme cette aventure. Figurez-vous qu’il y a deux autres gendarmes et un prisonnier qui vont comme vous jusqu’`a Connerr'e et qui r'eclament le wagon r'eserv'e.
— Alors ? interrog`erent les deux gendarmes, tr`es inquiets et s’attendant `a ce qu’on les fit descendre. Alors qu’est-ce que vous allez faire ?
— Dame, je ne sais pas. Je ne peux pas r'eserver un wagon de mon autorit'e pour l’administration p'enitentiaire. D’ailleurs, au service du mouvement, on n’a indiqu'e qu’un seul wagon r'eserv'e.
L’employ'e souleva sa casquette, se gratta le front, m^achonna un porte-plume qu’il finit par poser sous son couvre-chef en un 'equilibre instable, puis il proposa :
— Des fois, messieurs les gendarmes, vous verriez un inconv'enient, `a ce que je fasse monter vos coll`egues avec vous ? Ca arrangerait tout, vous comprenez.
D'ej`a les deux pandores s’'etaient consult'es du regard.
Il ne leur d'eplaisait pas, `a vrai dire, d’avoir des compagnons de route appartenant comme eux `a la mar'echauss'ee. Et puis, ils 'etaient imbus de cette timidit'e sp'eciale qui est la timidit'e des gendarmes. Comme tous ces braves militaires, ils avaient un respect infini pour les lois et r`eglements et aussi une crainte superstitieuse d’^etre, malgr'e eux, en contravention.